Quel est votre rapport au cinéma fantastique ?
Je me nourris des films avec lesquels j’ai grandi. Mon cinéaste préféré, lorsque j’étais adolescent, c’était Tim Burton ! Je regardais aussi énormément de films d’horreur, et je me suis imprégné de cinéastes comme John Carpenter –Halloween était l’une de mes oeuvres favorites ! – ou David Cronenberg un peu plus tard avec son film de science-fiction eXistenZ. Mais le réalisateur de films fantastiques qui a le plus compté pour moi, c’est M. Night Shyamalan. Il a toujours fait confiance au fantastique. Il n’a pas une conception utilitariste du genre : il en a fait le cœur de ses films.
Pourquoi avoir eu envie de vous confronter à ce genre ?
Malgré cet amour pour les cinéastes que je viens de citer, l’idée n’était pas forcément de faire des films fantastiques quand j’ai commencé dans le métier. Mais il se trouve que, très naturellement, une porte vers le fantastique s’ouvrait dans les histoires que j’écrivais et j’en tirais les fils pour construire mon récit. J’aime mélanger des éléments ultraréalistes – où je filme des comédiens non professionnels dans des scènes presque documentaires – avec des aspects fantastiques qui viennent contaminer le réel par petites touches. Je l’ai fait dans tous mes courts métrages. Avec Nos Cérémonies, je pousse plus loin cette démarche car le cœur du récit est littéralement fantastique. L’ambition était de réaliser un film sur un amour fraternel très fort. Puis m’est venue cette idée de résurrection et de mise à mort, comme une métaphore de la relation entre les deux frères dont je me suis servi pour raconter cette histoire.
Le cœur du récit est effectivement fantastique, mais tout est essentiellement suggéré…
Je n’avais pas envie de révéler trop rapidement les choses. Le film est volontairement construit comme une énigme ; il reste très ouvert. Pour préserver cette part de mystère, le fantastique est donc majoritairement hors champ. On le devine, on l’entend, mais on ne le voit concrètement que très tardivement à l’image. Cela me plaisait de jouer sur ce doute : que s’est-il réellement passé ? À la fin du film, les images racontent enfin le « vrai champ », celui qui nous était caché, et certifient que tout était bien réel. C’est à ce moment-là que le film bascule dans le fantastique.
Le surnaturel dans votre film intervient essentiellement à travers le principe du rituel et de la cérémonie. Pourquoi ?
Les rites initiatiques de l’enfance sont des événements qui nous permettent de grandir : je pense aux cérémonies d’anniversaires, aux enterrements ou aux mariages auxquels on assiste… Ces deux frères ont créé leur propre manière de résister au monde. J’ai tout de suite pensé que les voir à l’œuvre pouvait être magnifique et accentuer l’émotion et la mélancolie.
Dans quelle mesure le casting des deux rôles principaux (les frères Raymond et Simon Baur) a-t-il participé au déploiement du fantastique ?
À l’écriture, les personnages étaient très différents l’un de l’autre : le grand frère ultraviolent, le petit frère plus soumis. Quand j’ai rencontré Raymond et Simon, j’ai eu envie d’interchanger les caractères des deux frères. Simon, qui joue le grand frère est en réalité le petit frère de Raymond et se situe à l’opposé de son personnage. Raymond, qui joue le cadet, est l’aîné dans la vraie vie, et est beaucoup plus directif. J’ai inversé la dynamique afin d’éviter une relation clichée. Cela a amené une incertitude qui me plaisait, et qui a permis la création d’un personnage à deux têtes plus que celui de deux êtres individuellement très marqués. Le fait qu’ils soient réellement frères a aussi créé une part de mystère, grâce à leur étrangeté et leur lien très physique l’un à l’autre. Ils sont athlètes de haut niveau et il y a par exemple un travelling au bord de la mer où ils pratiquent du wushu – cette scène en dit plus que n’importe quel dialogue. Avec ce plan, on mesure la puissance de leur relation et leur rapport au corps assez particulier. En les magnifiant à l’image, j’ai essayé de montrer une extrême beauté mélangée à de la noirceur.
Cette scène au bord de la mer montre également que vous accordez une place spécifique aux différents éléments, dans une perspective presque mystique…
Absolument. Il y a vraiment deux histoires : celle de leur jeunesse, et autour, celle des éléments du monde qui les entoure, qui amènent la tragédie et le surnaturel. L’étrange passe beaucoup par la mer, le bruit des vagues, le soleil, le souffle du vent
Les couleurs saturées confèrent également une tonalité merveilleuse au film…
J’ai demandé à ma directrice de la photographie, Marine Atlan, une image très marquée : je voulais composer une sorte de fresque picturale saturée et contrastée. C’est une manière notamment d’élever les personnages : avec ces couleurs, ils deviennent tout de suite des héros mythologiques. Tout cela passe par l’image, mais aussi par ces costumes aux couleurs flamboyantes, vectrices d’émotions. Pour raconter cette histoire très triste, je voulais paradoxalement aller vers l’éclat, la lumière. Je ne souhaitais pas faire un film sombre.
Quelles étaient vos exigences en matière d’effets spéciaux ?
J’avais en tête un personnage qui se déconstruit pour se reconstruire. Lors de cet étrange rituel, à chacune des résurrections de Tony, je voulais donner l’impression qu’il laisse derrière lui une empreinte de lui-même, comme un reptile qui mue et se crée une nouvelle peau. Pour cela, il fallait recourir à des effets spéciaux simples et mélancoliques.
Comment avez-vous concrétisé cette vision ?
Il y a deux types d’effets spéciaux dans le film. Les premiers concernent la direction artistique : à quoi ressemble cette mort ? J’étais guidé par cette lumière dorée, orangée, qui apparaît sur le corps de Tony. Je voulais donner l’impression d’un pouvoir qui brûle. Montrer la mort mais de manière lumineuse. Trouver cet ADN a demandé un énorme travail de recherche avec l’équipe des effets spéciaux. Et on les a travaillés dès le plateau, pas uniquement en postproduction, ce qui a permis un certain réalisme : cette lumière mouvante est envoyée sur Tony pendant les prises, avec un système de miroir, pour ensuite être soulignée numériquement. La deuxième partie des effets spéciaux se rapporte à ceux qui participent entièrement à la mise en scène, comme le plan de la chute de l’enfant au début du film, un enjeu important car je voulais un plan fixe et distant. Je pense aussi à celui de la pendaison en plan-séquence de cinq minutes qui était extrêmement compliqué à réaliser. Tout cela nécessitait d’avoir des idées bien en amont du tournage : ces scènes ont été story-boardées.
Comment avez-vous réfléchi à l’intégration de ces moments cruciaux au scénario ?
Du scénario jusqu’au montage, il était fondamental de doser le fantastique pour garder un mystère du début à la fin. Il fallait lui donner la bonne place, à l’instar d’un équilibriste qui marche sur un fil mais qui peut tomber d’un côté ou de l’autre. Je souhaitais rester sur cette ligne où l’on ne sait jamais vraiment où l’on se situe. L’idée était de donner, mais aussi de reprendre par endroits, pour ne pas plonger le spectateur dans un univers très quadrillé, mais sans pour autant créer un film incompréhensible.
NOS CÉRÉMONIES
Réalisation : Simon Rieth
Scénario : Simon Rieth et Léa Riche
Photographie : Marine Atlan
Montage : Guillaume Lillo
Production : Les Films du Poisson, SMAC Productions, Spade
Distribution : The Jokers/ Les Bookmakers
Ventes internationales : Goodfellas
Soutiens du CNC : aide à l'édition vidéo (aide au programme 2022), aide sélective aux effets visuels numériques (anciennement CVS), avance sur recettes avant réalisation, aide sélective à la distribution (aide au programme 2023)