Quoi de plus prestigieux que de s’essayer à la réalisation et au jeu dans la « Maison de Molière » ? Pendant deux jours, les collégiens de Bobigny ont posé leur caméra à la Comédie-Française pour y tourner leur court métrage imaginé dans le cadre du programme des Enfants des Lumière(s), créé par le CNC en partenariat avec les académies de Paris, Versailles et Créteil. Les élèves ont choisi de revisiter la figure du Malade Imaginaire par le genre du docu-fiction dont le titre est encore en réflexion. « Notre court métrage raconte l’histoire d’une élève, Uranie – ndlr : du nom de l’un des personnages de La Critique des femmes de Molière – qui refuse de participer aux activités au cours d’une sortie à la Comédie-Française. Elle fait semblant d’être malade, et se met à l’écart. Pour la suite…suspens ! », sourit Darine. Progressivement, la jeune Uranie va se prendre de passion pour le stage de théâtre et décider de monter une bande de filles, « Les Précieuses », pour jouer la comédie... Accompagnés de leurs professeurs coordinateurs, Saliha Aklouf, enseignante de français, et Sébastien Druesne, professeur de technologie, les collégiens ont travaillé cette histoire de bluff avec leur « tutrice », la réalisatrice Inès Loizillon. « Je n’avais jamais exploré la frontière entre le documentaire et la fiction. Nous sommes partis d’eux pour esquisser le scénario », raconte la cinéaste qui voue une « passion cinématographique » à l’adolescence.
Apprivoiser Molière par la caméra
Destiné aux jeunes scolarisés en zone d’éducation prioritaire, le dispositif des Enfants des Lumière(s) leur permet de découvrir les métiers du cinéma par la théorie et la pratique sur une durée de deux ans. « C’est un programme qui fait la part belle au temps long, souligne Inès Loizillon. On a le temps de s’apprivoiser. Ce précieux climat de confiance, on le fabrique ensemble ». C’est à ses côtés, à raison d’un atelier par semaine, que les élèves ont multiplié les exercices pour être prêts le jour J : prêts à tourner, à filmer, à « faire l’acteur », à se glisser dans la peau d’un perchiste ou d’un régisseur dans le but de célébrer le génie de Molière. « Au départ, on trouvait que son langage ne nous correspondait pas. Je n’ai pas tout de suite accroché avec la pièce découverte à la Comédie-Française, mais j’ai fini par être impressionné par le sérieux des comédiens : ils se regardent droit dans les yeux en jouant les scènes comiques sans rire, moi j’aurais craqué ! », assure Fahim. Darine, sa camarade, dont Le Bourgeois Gentilhomme est devenu la pièce préférée, raconte avoir été « touchée par la beauté des costumes, des décors, et par le jeu des comédiens. Finalement, Molière ça s’adresse à tous les âges », témoigne l’adolescente.
Pour les sensibiliser au septième art et à la réalisation, Inès Loizillon leur a montré des extraits des Quatre Cents Coups (François Truffaut), de La Boum (Claude Pinoteau) et de Diabolo Menthe (Diane Kurys). « Ils étaient particulièrement sensibles au langage. Ils ne voulaient pas réaliser un film caricatural sur des élèves de banlieue. Diabolo Menthe les a particulièrement marqués. Ils ont bouleversé toutes les idées reçues », remarque Inès Loizillon pour qui encadrer des ateliers était une première. À l’aube de mes 30 ans et après le tournage de Tifs (2021), mon dernier court métrage, j’ai ressenti l’envie d’une mise en danger qui ne passait pas par la réalisation. Je voulais appréhender un nouveau terrain ».
Dès septembre 2021, les élèves ont travaillé autour de la figure du faux-médecin avec leur professeure Saliha Aklouf. « Nous voulions faire un lien entre Bobigny et la Comédie-Française : de nombreuses personnes (dont nous au début du projet !), ont des a priori sur la présence d’élèves de banlieue dans ce type d'institution », constate Darine. La classe a en effet intégré les Enfants des Lumière(s) en s’inscrivant, en parallèle, en partenariat avec la Comédie-Française afin de célébrer, par le cinéma, les 400 ans de Molière. Après deux visites de repérage, les adolescents se sont emparés des lieux qu’ils ont réussi à « désacraliser » grâce à « leur fougue, leur élan et leur innocence », se souvient Inès Loizillon. « Ma mère m’emmenait énormément au théâtre, enfant. La Comédie-Française me rappelle aussi ces souvenirs d’enfance. Le tournage m’a replongée à cette époque. C’était émouvant ». Du Grand escalier à la Galerie des Bustes en passant par la salle Mounet Sully ou encore la Coupole, les endroits emblématiques de l’institution ont servi de décors au court métrage des collégiens. Un défi pour les cinéastes en herbe, mais également pour les équipes du théâtre. « Accueillir ce type de tournage constituait une grande première pour nous, confie Marine Jubin, responsable du service éducatif de la Comédie-Française. Organiser un tournage signifie privatiser les espaces, or la Comédie-Française est un lieu de travail pour les artistes et les comédiens. Tout cela demande une coordination importante en interne, mais nous avons été séduits par le dispositif des Enfants des Lumière(s), son essence, et également par le fait qu’il s’agissait d’un projet éducatif qui s’inscrivait fortement dans la politique de la ville ».
Depuis une quinzaine d’années, les équipes du service éducatif de la Comédie-Française œuvrent à rendre le théâtre accessible à l’ensemble des publics, et notamment à ceux les plus éloignés de la culture. « Il y a l’idée d’imaginer, inventer, concevoir, réfléchir à des façons d’inviter des jeunes et des moins jeunes, par ailleurs, à franchir nos portes pour la première fois, explique Marine Jubin. Travailler avec les adolescents comme ce fut le cas avec les Enfants des Lumière(s), c’est pour la Comédie-Française le plaisir d’ouvrir ses portes à des jeunes qui pourraient passer une vie entière sans jamais les pousser ».
Sur le plateau de tournage, dans l’enceinte de la « Maison de Molière », Inès Loizillon a mis un point d’honneur à instaurer la même exigence professionnelle qu'elle le fait sur ses propres films. « Je n’ai pas hésité à leur faire refaire des prises. La plupart des personnages sont féminins, et les filles ne pensaient pas qu’il était possible de rejouer autant de fois certaines scènes ». La perche, le jeu, le script, les costumes, les décors… : les jeunes ont touché à tous les métiers du cinéma pour appréhender autant ceux de la lumière que de l’ombre. « Je suis frappée par la façon dont ce type de dispositif pédagogique permet d’éclairer les jeunes sous un nouveau jour, soutient Marine Jubin. Ces jeunes qu’on ne voit pas, qu’on ne repère pas… et bien d’un seul coup, ils prennent un autre visage car on leur parle différemment, on les responsabilise énormément. J’ai été marquée par la manière dont Inès Loizillon, la réalisatrice, Chloé Bouhon, la cheffe opératrice et Anouk Meissner, l’ingénieure du son ont travaillé avec eux ».
Ce n’était pas la première fois qu’Inès Loizillon dirigeait des jeunes sur un tournage. « Il m’est plus naturel de travailler avec des adolescents qu’avec des acteurs adultes professionnels », confie la réalisatrice. « Diriger des jeunes ramène à une pédagogie de base : il faut leur apprendre la concentration et la patience nécessaire à un tournage. Surtout que les élèves tournaient à chaque poste : ils devaient aussi bien réaliser l’image, le son, que le jeu ou la direction d’acteurs ». Les collégiens présenteront leur film lors de la projection annuelle des courts métrages des Enfants des Lumière(s) au Forum des images. Rendez-vous pris le 20 avril 2023 pour découvrir sur grand écran l’histoire d’Uranie et de ses « Précieuses ».
Des tournages dans des lieux prestigieux
Institutions de renom, demeures et châteaux de prestige, et même un ancien fort d’artillerie… : les cinéastes en herbe des Enfants des Lumière(s) ont pu tourner leurs courts métrages dans des lieux remarquables et/ou insolites. En voici quelques exemples :