Qu’est-ce qu’un impact producer ?

Qu’est-ce qu’un impact producer ?

04 février 2022
Cinéma
Zero Impunity
Zero Impunity WebSpider Productions, a_BAHN
Travaillant quasiment uniquement dans le milieu du documentaire, l’impact producer est chargé d’aider un film à « aller plus loin » pour changer en profondeur les choses. Explications avec Marion Guth, impact producer pour les documentaires qu’elle produit au sein de la structure a_BAHN qu’elle a cofondée.

« Impact producer, c’est un métier en soi », lance de prime abord Marion Guth, afin de souligner que ce métier ne concerne ni la « production déléguée, ni celle exécutive ». « Il répond à un besoin : celui de permettre au documentaire, et aux équipes de films qui le souhaitent, d’aller plus loin, poursuit cette impact producer qui a également la casquette de productrice. Il permet d’aider à passer du côté artiste à celui plus activiste ».

Métier récent né de l’autre-côté de l’Atlantique, l’impact producer, comme son nom l’indique, doit faire en sorte que le film ait « le plus d’impact et de répercussions possibles sur un champs d’action prédéterminé avec les différentes parties prenantes », souligne la cofondatrice de la société de production a_BAHN située au Luxembourg et en France. En clair, il doit arriver à amener le film à un autre public que les spectateurs se déplaçant en salles, ou prenant place devant leur petit écran pour le découvrir.

Une capacité d’écoute essentielle

Le public-cible n’est pas choisi par hasard : les « campagnes d’impact » sont en effet mises en place pour « ceux qui peuvent aider à changer les choses ». « L’impact producer construit une stratégie indépendante de la distribution et des sorties en festival du film, précise Marion Guth. Cette campagne permet d’utiliser l’œuvre comme une arme pacifique pour pouvoir répondre aux besoins soulevés par le documentaire ». Certaines stratégies sont ainsi réalisées pour une seule personne. « On peut, par exemple, imaginer une campagne adressée au président brésilien Jair Bolsonaro autour d’un documentaire sur la déforestation, afin qu’il comprenne que les décisions qu’il prend sont catastrophiques », explique-t-elle.

Pour que les problématiques mises en lumière par un documentaire soient connues du plus grand nombre, l’impact producer utilise divers outils. « Ça peut être du lobbying, des performances artistiques ou des projections devant certains publics comme des adolescents pour le documentaire Bully de Lee Hirsch sur le harcèlement scolaire », poursuit Marion Guth. Elle en profite pour préciser que dans la majorité des cas, l’impact producer « cherche lui-même des financements pour sa campagne », les réalisateurs de documentaires n’ayant pas toujours les fonds nécessaires pour financer ces actions. Certains n’ont d’ailleurs pas le budget pour recourir à ce type de spécialistes.

Travaillant en lien avec la production du documentaire qu’il accompagne, l’impact producer doit « avoir une grande capacité d’écoute ». « En général, il arrive dans l’aventure quand le film est déjà bien avancé ou fini. Il faut arriver à entendre les motivations derrière le documentaire, la volonté de l’équipe du film et les besoins des premières personnes concernées par l’action menée ». Pour mettre en place des « campagnes d’impact efficaces », il doit également « avoir du réseau, surtout en Europe ». « On peut partir de rien et se faire recevoir à l’Elysée. Certaines campagnes demandent plus de discrétion et de travailler dans des milieux qui ne sont pas forcément ouverts et connus de tous », souligne-t-elle.

Une volonté de « changer les choses en profondeur »

Coproductrice de Zero Impunity (de Nicolas Blies, Stéphane Hueber-Blies, Denis Lambert) qui évoque les « violences sexuelles commises en temps de guerre qui restent impunies », Marion Guth a imaginé avec son équipe, pour ce film primé en 2017 lors du Fipa, « une campagne qui s’adresse à l’armée française, plus spécifiquement aux militaires et soldats qui participent à des opérations de maintien de la paix ». « On souhaite les sensibiliser à la question de la prostitution de survie qui reste une relation de pouvoir. On a commencé cette campagne sous le quinquennat de François Hollande avec le Ministre des Armées de l’époque. Depuis les élections, elle est adressée au nouveau président et au nouveau ministre. Nous suivons ces personnes : nous avons d’ailleurs été reçus il y a deux mois. Nous avons également, prochainement, une audition avec le groupe des Affaires Etrangères à l’Assemblée Nationale. L’objectif est de porter un projet de formation qui permette de sensibiliser les soldats à cette notion de prostitution de survie », souligne-t-elle.

Si Marion Guth s’est lancée dans une carrière de productrice, puis d’impact producer, c’est avant tout par convictions personnelles. « On a créé notre société pour être heureux. C’est une fibre qui est en nous, comme celle qu’ont les gens qui s’engagent dans des ONG ou sur un rond-point. J’ai rencontré, au cours de mes recherches pour Zero Impunity, une survivante du génocide au Rwanda. Je lui ai demandé comment elle trouvait le courage et la force de raconter souvent son histoire à quelqu’un comme moi, qui ne pourrais jamais me mettre dans son vécu. Elle m’a dit qu’elle acceptait de le faire parce qu’elle savait que l’histoire irait au-delà de notre conversation, vers d’autres femmes ailleurs qui pourraient ainsi mettre des mots sur les souffrances dont elles ont été victimes. C’est le genre de rencontre qui sonne comme une promesse. A partir de là, on a défini le film pour qu’il puisse réussir à aider des personnes à libérer leur parole », se souvient-elle.

« La campagne d’impact est venue naturellement. On s’est demandé quels étaient les besoins et ce qui manquait. On s’est servi de l’impact et de la puissance des partenaires que nous avions réunis autour du film et des enquêtes, pour essayer de créer un mouvement de masse qui ne passe pas inaperçu. Il fallait que des citoyens disent : « ça suffit, on ne peut pas laisser les femmes vivre cette vie-là », conclut-elle.

Encadré

Marion Guth a pris part en 2018 au Doc Society : Impact Producers Lab organisé dans le cadre du programme Good Pitch Europe 2018. L’Impact Producer Lab fait se rencontrer des producteurs avec ou sans projet afin de « voir les bonnes stratégies d’impact à développer autour d’un film », explique-t-elle. « Il y a ensuite une semaine uniquement pour les équipes de film où elles préparent le Good Pitch » qui permet à des producteurs de projets développés de se retrouver « autour d’une table avec des fondations, des ONG et des facilitateurs qui leur permettent financièrement, ou avec leur réseau, de lancer leur campagne d’impact ». « C’est vraiment une célébration incroyable. Tout le monde est là pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui », conclut-elle.