Est-ce que Ulysse & Mona est né d’une envie de parler d’art contemporain ?
Sébastien Betbeder : J’ai passé un Bac arts plastiques avant de faire les Beaux- Arts puis Le Fresnoy. Adolescent, j’ai été littéralement bouleversé par les découvertes de La belle noiseuse de Rivette et du Van Gogh de Pialat. Et dans chacun de mes films depuis 2 automnes, 3 hivers (qui racontait le parcours d’un étudiant aux Beaux- Arts et son rapport au cinéma), existe un rapport à une pratique artistique. C’est donc un sujet qui surgit automatiquement dès que je commence à réfléchir à un projet. Ulysse & Mona n’échappe pas à cette règle. Et pour répondre précisément à votre question, il est même directement né de mon envie de parler d’un artiste contemporain qui a renoncé à créer et se trouve dans une espèce de nihilisme et d’impuissance face à l’époque.
Souvent au cinéma, l’art contemporain est sujet de moquerie et regardé avec une certaine ironie. Comment avez-vous évité ce piège-là ?
Tout d’abord, simplement, parce que je respecte profondément tout individu qui choisit d’entrer en art. Mais aussi parce que j’ai été fortement influencé par le travail de Marina Abramovic et tout particulièrement cette œuvre-performance qu’elle avait créée au MOMA (qu’on retrouve au centre du documentaire Marina Abramovic: The Artist is Present,) où, assise au milieu d’une pièce du musée, elle recevait des visiteurs en face à face. Quand j’ai réfléchi à la manière de montrer un artiste au travail, j’ai énormément pensé à ces moments. Et j’aime cette idée que chez Ulysse, qui a décidé d’arrêter toute création, l’art va (re)naître de sa confrontation avec des proches dont il s’est éloigné et qu’il n’avait jamais eu le cran d’affronter jusque-là. De ce voyage qu’il entreprend pour retrouver ceux qui ont compté dans sa vie, à un moment où la sienne est mise en péril.
Vous ne montrez à l’écran quasiment aucune des œuvres créées par Ulysse avant sa retraite. Pour quelle raison ?
Je me suis beaucoup interrogé à ce sujet et plusieurs de ses œuvres figuraient d’ailleurs dans les premières versions de mon scénario. Puis, au fil de l’écriture, elles se sont effacées. Car j’ai trouvé plus fort de ne montrer qu’un seul de ses tableaux comme une espèce de clin d’œil et une seule de ses performances qui se rapproche du travail de Marina Abramovic, que j’évoquais. A travers ce parti pris, je voulais laisser la place au spectateur de fantasmer sur la pratique de l’art d’Ulysse et d’imaginer ce que pourraient être ses autres créations.
Pour camper cet artiste, il fallait une incarnation forte et puissamment charismatique. Vous avez écrit Ulysse en pensant à Eric Cantona que vous aviez déjà dirigé dans Marie et les naufragés ?
Non car je me suis toujours efforcé de ne jamais penser à des comédiens pendant la phase d’écriture. Je ne me pose cette question qu’une fois le scénario terminé. Mais même à ce moment-là, le nom d’Eric ne s’est pas immédiatement imposé. J’avais pourtant envie de retravailler avec lui car j’avais vraiment vécu sur Marie et les naufragés de grands moments tant humainement que dans le travail avec lui. Mais j’avais besoin que cette intuition soit renforcée par quelque chose d’autre.
Quel a été le déclic ?
Comme je collabore régulièrement à Blow Up, le magazine d’Arte, j’ai décidé de consacrer un numéro à Eric. J’ai donc passé un mois à revoir des extraits de tous ses films avant de fabriquer un court métrage, Je suis un conquérant, dans lequel je lui ai demandé de poser sa voix. C’est ce travail de recherche sur sa personne et sur sa présence à l’image qui m’a conforté dans mon intuition. Et inutile de vous préciser que je suis très heureux de mon choix. Eric est un grand amateur d’art contemporain. On a eu de grandes discussions et il en reste, tout au long du film, des traces qui ont permis de nourrir son personnage.
Vous jouez d’ailleurs avec ce que représente Eric Cantona dans l’imaginaire collectif…
C’est volontaire et totalement assumé. Je voulais que le « personnage » d’Eric dans la vraie vie vienne s’immiscer entre les lignes du scénario. Qu’il puisse laisser libre cours à sa personnalité dans la construction même de son personnage. Mon film le permet car il joue beaucoup sur les silences et laisse donc énormément d’espace. J’ai réellement pensé chaque scène comme une partition musicale avec des moments d’absence et un agencement précis entre silences et moments plus explicites. Le grand pari d’Ulysse & Mona était de parvenir à trouver le rythme de chaque séquence. Tout cela s’est vraiment fabriqué au tournage. Le montage n’a fait qu’accompagner ce mouvement.
Ulysse & Mona, qui sort en salles le 30 janvier, a bénéficié de l’Avance sur recettes après réalisation du CNC.