Les mères au cinéma : accords et désaccords

Les mères au cinéma : accords et désaccords

22 juillet 2020
Cinéma
Madre de Rodrigo Sorogoyen - Noodles Production - Le Pacte - Arcadia Motion Pictures - Caballo Films - Malvalanda - Amalur Pictures
Madre de Rodrigo Sorogoyen - Noodles Production - Le Pacte - Arcadia Motion Pictures - Caballo Films - Malvalanda - Amalur Pictures Le Pacte - Arcadia Motion Pictures - Caballo Films - Malvalanda - Amalur Pictures
Protectrice, envahissante, colérique, douce, fragile ou puissante, la figure maternelle au cinéma est centrale et permet d’explorer à travers elle, le tourbillon des passions. Alors que le cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen signe avec Madre un drame intime autour d’une femme confrontée à la disparition de son enfant, portrait de plusieurs mères qui ont sublimé l’écran.

Le Souffle au cœur de Louis Malle (1971)

Parfum de scandale à la sortie de ce Souffle au cœur en 1971. En cause, la relation incestueuse entre le jeune héros souffreteux de 14 ans et sa mère, aimante, trop aimante. C’est l’italienne Léa Massari, 38 ans à l’époque, qui incarne cette femme, figure centrale du récit. L’action se passe dans les années cinquante dans la province française. Le milieu bourgeois avec ses codes stricts retient prisonniers les personnages. Massari révélée chez Antonioni (L’Avventura), Bolognini (Ça s’est passé à Rome), Zurlini (Des filles pour l’armée) ou Leone (Le colosse de Rhodes) séduit alors également le cinéma français. Alain Cavalier, complice et ami de Louis Malle, l’a dirigée dans L’insoumis et elle vient d’achever le tournage des Choses de la vie de Claude Sautet lorsqu’elle entame celui du Souffle au cœur. Auteur du scénario, Louis Malle, qui rentre à peine d’un voyage en Inde, dessine ici une figure féminine, sensible, profonde et puissante. Le cinéaste Rodrigo Sorogoyen cite ce film comme l’influence principale de son Madre.

Mère & fils d’Alexandre Sokourov (1997)

L’amour d’un fils pour sa mère dépasse les frontières du monde sensible pour s’incarner dans l’au-delà. Ce drame voit une femme mourante vivre ses derniers instants accompagnée de son enfant au milieu d’une nature majestueuse. Le cinéaste russe capte ici un parfum d’éternité. Aux deux extrémités du film, il y a un rêve et une promesse. Un rêve prémonitoire tout d’abord que partagent la mère et le fils. Cette union jusque dans les tréfonds de l’inconscient valide ce lien indéfectible. La promesse, enfin, est la certitude que le fils rejoindra plus tard sa mère dans l’au-delà. Entre ces deux moments, ces deux âmes à l’écart du monde observent ce qui les entoure avec les yeux de l’amour et du pardon. Sokourov envisage ici sa mise en scène comme une succession de tableaux où l’ombre de Millet, du Greco ou de Turner planent. L’image s’anamorphose, les couleurs chaudes emplissent le cadre, pour exprimer ce que les mots ne peuvent plus traduire.

Tout sur ma mère de Pedro Almodóvar (1999)

Film-somme, ce drame baroque et profond exacerbe les thèmes saillants de l’œuvre du cinéaste espagnol (la filiation, les blessures secrètes, les affres de la passion amoureuse, l’innocence perdue…). Au centre de tout, la figure de la mère protectrice mais impuissante à protéger son fils des aléas du destin, incarne à elle seule la tragédie de l’existence. L’accident, au sortir d’un théâtre, qui ouvre le film oblige le personnage principal à une introspection et à se plonger dans les vestiges d’une existence douloureuse. Pedro Almodóvar a confié le rôle de la mère à l’actrice argentine Cecilia Roth qu’il a contribué à révéler dans ses premiers longs métrages. Si jusqu’ici elle faisait figure de muse furtive, ce Tout sur ma mère la place en pleine lumière. Pedro Almodóvar convoque ses modèles avoués (Douglas Sirk, John Cassavetes, Alfred Hitchcock…) et dédicace son film aux actrices Bette Davis, Gena Rowlands, Romy Schneider ainsi qu’à… sa propre mère. Le film a reçu le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film étranger.

J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009)

En 2009, sous le soleil de la Croisette – celui de La Quinzaine des Réalisateurs exactement – apparaissait Xavier Dolan, 20 ans à peine. Le titre provoquant de son film disait déjà tout de l’entreprise : un jeu de massacre entre un fils et sa mère. Sauf que derrière les noms d’oiseaux et les heurts à répétition, se révélait une douceur d’autant plus lumineuse qu’elle émergeait du chaos. Entre cette mère et ce fils, l’électricité produit une passion débordante. Xavier Dolan, devant et derrière la caméra, annonçait la fougue d’un cinéma décomplexé et capturait les visages sur lesquels son œuvre allait s’incarner. Anne Dorval dans le rôle de la mère débordée dessinait déjà les contours d’une autre mère, celle de Mommy, qui allait définitivement consacrer le cinéma de Dolan.

Copacabana de Marc Fitoussi (2010)

Babou (Isabelle Huppert), femme libre mais condamnée à une vie précaire, tente de se rapprocher d’Esméralda, sa fille (Lolita Chammah). Cette dernière, qui aspire à une vie rangée, ne supporte pas la décontraction de sa mère et refuse de l’inviter à son mariage. Copacabana, deuxième long métrage de Marc Fitoussi après La Vie d’artiste, est le récit d’une reconquête. C’est aussi et surtout le portrait d’une femme dont l’indépendance d’esprit se heurte aux normes d’une société bourgeoise érigée en modèle. Loin d’offrir un monde clivé, Marc Fitoussi prône la réconciliation. Dès lors les lieux peuvent se métamorphoser sans pour autant renoncer à leur vraie nature. Ainsi la plage d’Ostende prend soudain les couleurs d’une célèbre plage brésilienne qui donne son titre au film. 

Madre de Rodrigo Sorogoyen (2020)

Avec ses deux thrillers Que Dios nos perdone (2016) et El Reino (2018), Rodrigo Sorogoyen s’est imposé comme le nouveau prodige du cinéma espagnol. Son goût sûr pour une mise en scène toute puissante où le plan-séquence promet le vertige, le rapproche d’un David Fincher. Madre s’ouvre justement par une séquence technique et dramatique. Dans un appartement, une femme reçoit un appel de son fils de six ans. La caméra ne la lâche pas. Très vite, il apparait qu’à l’autre bout du fil, son enfant, seul sur une plage alors qu’un inconnu se rapproche, est en danger. Cette ouverture oppressante reprend trait pour trait celle d’un court métrage du même nom réalisé par Rodrigo Sorogoyen en 2017. L’intrigue du film se déroule après une ellipse de 10 ans et voit la mère inconsolable, errer sur les lieux (une plage des Landes en France) de la disparition de son enfant à la recherche d’un signe de sa part.


Madre, qui sort ce mercredi 22 juillet, a reçu l’Avance sur recettes après réalisation et l’Aide au programme éditorial vidéo 2020 (LE PACTE) du CNC.