Comment est née la Guilde des vidéastes ?
Lors de la première édition de FRAMES, nous nous sommes rendu compte, en discutant avec les vidéastes, qu’ils avaient des niveaux d’information différents, notamment sur les statuts. Avec le directeur du festival, nous avons donc créé lors de la seconde édition des rencontres professionnelles pour discuter avec des acteurs importants tels que le CNC, la Scam, la SACD et les plateformes participatives qui sont en contact avec les créateurs. Ces rencontres ont fait naître l’idée de se rassembler pour mutualiser les moyens. Les vidéastes souhaitaient mieux comprendre leur métier et créer une force de dialogue unifiée auprès des grands acteurs du domaine.
Pourquoi avoir choisi la forme associative et pas un syndicat ?
La première raison est technique : pour devenir un syndicat professionnel, il faut un agrément du ministère du Travail, ce qui nécessite du temps. De plus, les vidéastes ne se retrouvaient pas dans le mot « syndicat ».
YouTube date d’une dizaine d’années. Pourquoi a-t-il fallu attendre autant de temps pour qu’une telle initiative voie le jour ?
YouTube est arrivé en 2007 en France, la filière n’a que 12 ans : elle n’est donc pas si vieille. En termes de structure, nous sommes plutôt rapides. Il fallait sortir de cette période très expérimentale de la première génération de créateurs qui ont attiré, en ayant des communautés, les premières plateformes de financement participatif et les régies publicitaires. L’arrivée en 2017 du fonds CNC/Talent a été la première pierre institutionnelle à l’édifice de la professionnalisation des vidéastes et elle est arrivée en 2017, au moment où on évoquait une fédération.
Est-ce une structure qui existe ailleurs ?
Il y a eu une guilde des créateurs aux Etats-Unis pour discuter de la négociation des contrats avec les partenaires. Cet été, un collectif baptisé YouTubers Union, mené par le vidéaste allemand Jörg Sprave, a également dénoncé l’uberisation du métier. Il demandait à être reçu tout en critiquant et menaçant Google ou YouTube. Nous avons une méthode différente avec la Guilde : nous prônons le dialogue.
La création de cette guilde est-elle une réponse à la démonétisation de plus en plus fréquente de certains contenus ?
Il faut remettre la démonétisation dans son contexte historique. Au départ, le robot qui regarde les vidéos a été mis en place pour contrôler le Far West qu’était la publication. YouTube a donc inventé un système pour comparer, à partir des signatures numériques, tout ce qui était publié. La démonétisation est là parce que des annonceurs veulent s’associer à des contenus, mais pas à tous. Un filtrage s’est donc opéré et il est mal perçu par certains créateurs car il peut ressembler à une forme de censure. Nous allons travailler notamment avec YouTube pour qu’il y ait moins de sur-filtrage. Nous essayons également d’accompagner les vidéastes en décortiquant d’abord l’existant, comme le droit à la courte citation (selon l'article L.122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle, il est possible d'utiliser, sans l'autorisation de son auteur, une oeuvre déjà diviluguée lorsqu'il s'agit d' « analyses ou courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées » ndlr), et en les représentant éventuellement dans des instances, pour que demain l’évolution du droit d’auteur et du statut d’artiste en France puisse intégrer aussi les modèles que sont les vidéastes.
Avec cette Guilde, vous ambitionnez de sortir les vidéastes de l’isolement qui est le leur ?
Oui, nous réfléchissons par exemple à une campagne « Paye ta vidéo » pour aider les vidéastes qui ne savent pas comment facturer ou comment travailler avec certaines institutions et marques en leur donnant ce qui est pratiqué pour d’autres créateurs. Il faut éclairer ce qu’est la filière, son histoire et son économie. C’est pour cela que nous avons créé une commission scientifique avec laquelle nous souhaitons devenir l’observatoire de la professionnalisation des vidéastes. Il y a notamment de nombreuses questions sur l’aspect professionnel : « Est-ce qu’il faut faire une nouvelle nomenclature de métier ? », « Est-ce qu’il faut annexer les conventions collectives pour qu’on existe ? »
Comment imaginer une convention collective commune alors qu’il y a tant de disparités au sein des vidéastes ?
Il faut faire une nomenclature ainsi qu’un répertoire des métiers et réinventer comment qualifier certaines compétences multiples. Nous avons un pôle de juristes bénévoles et un pôle de communication pour traiter de nombreuses informations afin de les restituer aux vidéastes ainsi qu’aux partenaires. Nous voulons être un outil de médiation entre les différents acteurs, des sociétés d’auteurs au CNC en passant par les plateformes américaines et les régions. Mais nous sommes conscients que nous sommes juste en train de dessiner les contours de cette nouvelle branche de la filière audiovisuelle.
Aujourd’hui, certains vidéastes ont tourné pour le cinéma, voire réalisé un film et d’autres sont apparus sur le petit écran. L’augmentation des passerelles entre le cinéma, les séries et les vidéos web a-t-elle joué un rôle dans ce processus de professionnalisation ?
L’augmentation des budgets de France TV Slash a joué un rôle tout comme Arte Creative qui a été assez novateur pour aller chercher des auteurs du web afin de créer des émissions sur YouTube. Ces hybridations expérimentales ont participé à la reconnaissance de la qualité du travail de ces jeunes auteurs. Ce n’est pas toujours un métier de rêve : il faut travailler parfois jusqu’à 80 heures par semaine et faire du bénévolat car on produit le contenu avant de le vendre. Ceux qui ont réussi ont rencontré le succès mais ne l’ont pas commandé, contrairement à ce que pensent certains jeunes pour qui cela semble être un dû. Mais si le contenu n’est pas bon, ça ne marchera pas.
Quels sont les défis à venir pour La Guilde des vidéastes ?
Notre manifeste de 2018 a été signé par 80 vidéastes et nous avons pour objectif cette année d’atteindre les 200 adhérents. La Guilde tire ses revenus pour l’instant de ses adhésions (50 euros par vidéaste). Nous avons également fait des demandes de subventions et nous allons produire des films pédagogiques sur le CNC/Talent et le droit d’auteur pour les vidéastes. Nous allons également créer un programme de mécénat car nous avons besoin de moyens pour mettre en route des actions et être présents dans des festivals. Nous sommes dans la phase fragile de création. Le CNC nous a donné notre première lettre de noblesse, à nous de dire au reste du monde que faire de la vidéo sur Internet n’est pas le parent pauvre de la filière audiovisuelle.