Pourriez-vous d’abord revenir sur votre parcours personnel ?
Julien Deparis : À l’origine, je viens du cinéma traditionnel, j’étais directeur de la photographie puis j’ai basculé dans la postproduction des images numériques. C’est à cette occasion que j’ai pu collaborer avec différents studios et que j’ai travaillé sur la fabrication de trucages et d’effets visuels. Des écoles d’animation m’ont progressivement sollicité pour animer des workshops et donner des cours sur différents aspects : création d’images numériques, éclairage, ainsi que toute la chaîne de production, de la décomposition des pixels jusqu’à la postproduction. Ma polyvalence m’a ensuite amené à travailler sur les programmes pédagogiques de certaines écoles de cinéma puis, presque naturellement, à prendre la responsabilité pédagogique au sein d’une école. C’est ce parcours qui m’a mené de l’intermittence du spectacle classique à la création de l’École des Nouvelles Images.
Comment est née précisément l’École des Nouvelles Images ?
Elle est née d’une initiative de parents d’élèves à la suite d’expériences décevantes avec certains établissements dont ils désapprouvaient les choix de gestion. Ils ont opté pour la création d’une école supérieure d’animation et de jeux vidéo sous statut associatif. Très vite, de nombreux studios nationaux et internationaux ont soutenu l’aventure, et nous avons pu lancer l’école à Avignon en 2017, démarrant la première année avec 140 étudiants. Ce fut une belle aventure qui a surtout permis d’aider des étudiants, à l’époque un peu démunis, à poursuivre leur cursus dans une voie plus transparente et plus sereine.
Comment expliquez-vous ce succès initial ?
D’un côté, il y avait l’envie de travailler dans une école en toute confiance. L’approche éthique et le statut associatif de la structure ont été importants. Dans le secteur de l’animation, rares sont en effet les écoles françaises vraiment indépendantes – la plupart appartiennent à des groupes financiers ou à des fonds de pension. Par ailleurs, l’expérience de l’équipe pédagogique qui nous a rejoints a aussi joué en notre faveur. La qualité des intervenants, des professeurs, a séduit de nombreux étudiants.
Comment fonctionne concrètement votre établissement ?
Toutes les parties prenantes pilotent l’école. Les étudiants ainsi que les parents d’élèves participent à nos conseils d’administration et à nos assemblées générales. La transparence est complète, que ce soit au niveau des finances, de la comptabilité ou de la stratégie de développement. Tout le monde est impliqué et tous ont la possibilité de voter lors de ces instances. Il s’agit de métiers artistiques, ce qui, il me semble, nécessite d’avoir une confiance réciproque avec les étudiants. Leur confiance en nous doit être totale et nous devons également avoir confiance dans leur force de travail et leur engagement. Par ailleurs, le fait de ne pas avoir d’actionnaire à la tête de l’école signifie qu’il n’y a pas de délibération sur les frais de scolarité. L’intégralité de ces frais est reversée dans l’enseignement, donc dans le développement de l’école. La conséquence est importante : l’investissement en termes d’encadrement et la qualité du matériel s’en ressentent naturellement. En tant qu’association sans but lucratif, il n’y a pas de bénéfices : tout est réinjecté dans la pédagogie. Chaque année, plus d’une centaine d’intervenants extérieurs travaillant dans des studios viennent transmettre leurs connaissances aux étudiants.
Pourquoi avoir choisi de vous implanter à Avignon ?
Pour plusieurs raisons. Nous voulions d’abord nous établir dans une ville à taille humaine, et Avignon s’y prête bien. Nous souhaitions également une ville culturelle. Le Festival d’Avignon est un partenaire majeur car notre travail sur l’écriture animée et le mouvement s’apparente souvent aux écritures théâtrales – parfois même plus qu’à l’écriture cinématographique. Enfin, il y avait la présence de l’université d’Avignon. Elle est plus petite que d’autres, mais c’est l’une des plus belles. Le partenariat que nous avons pu nouer avec elle nous permet aussi d’être souples et de tenter des choses qu’on ne pourrait pas faire dans certaines universités plus importantes. L’un des objectifs quand on s’est lancés était de faire reconnaître nos formations par l’enseignement supérieur et la recherche. Il n’existe pas d’école équivalente dans le milieu universitaire et il était essentiel d’offrir aux parents et aux étudiants par le biais de ce label universitaire français une garantie de visibilité et de sérieux en termes de qualification.
Quels autres partenariats avez-vous noués en tant qu’association ?
Airbus a été un partenaire de la première heure. Pendant les cinq premières années, nous avons collaboré avec eux sur des thématiques passionnantes. Nous avons notamment réfléchi à la manière dont l’animation pouvait être un vecteur de vulgarisation de propos scientifiques. Nous avons construit des projets pédagogiques sur lesquels Airbus s’est appuyé et qui nous ont permis d’avoir un soutien pour financer, entre autres, les aides aux frais de scolarité sur les premières années. Ensuite, nous collaborons avec des hôpitaux, notamment l’hôpital Saint Joseph à Marseille et l’hôpital d’Avignon, pour lesquels nous avons élaboré des partenariats permettant d’accompagner des enfants au cours de leur parcours hospitalier.
S’agit-il à la fois de partenariats financiers et pédagogiques ?
Il s’agit de partenariats avant tout pédagogiques. Prenons l’exemple de l’hôpital Saint Joseph. Sa fondation nous a accompagnés financièrement, notamment pour les aides aux frais de scolarité, mais en retour, nos étudiants ont créé plusieurs séries de petits films d’animation, disponibles dans les hôpitaux, qui expliquent aux enfants le parcours de santé qu’ils vont vivre lors de leur hospitalisation. Nous avons aussi des soutiens plus institutionnels de la Région Sud, du Grand Avignon, du département du Vaucluse et de la ville d’Avignon, qui nous accompagnent dans des actions de développement ponctuelles.
Quels sont les cursus dispensés dans votre école ?
Nous proposons une classe préparatoire, avec ensuite des formations initiales disponibles via un concours d’entrée qui débouche sur trois grands domaines : la création d’images de synthèse (avec la 3D, la création de personnages, de décors et d’effets visuels), l’art de l’animation en 2D ou 3D, et un troisième pôle essentiellement centré sur les images interactives, un peu plus technique, et qui utilise principalement des moteurs de jeux vidéo comme Unity ou Unreal. Là, nous avons davantage de profils d’artistes techniques qui vont osciller entre du développement informatique, l’apprentissage du code et tout ce qui touche à l’interactivité. Les jeux vidéo et le cinéma d’animation s’hybrident de plus en plus. L’école s’inscrit dans un temps long et doit s’adapter à la réalité des studios – quand un étudiant entre chez nous, nous devons imaginer l’état des outils techniques et des méthodes de fabrication qui seront à sa disposition dans cinq ans. Il est donc essentiel pour nous de pouvoir proposer à nos étudiants, quel que soit leur cursus, d’appréhender ces deux grands domaines qui débouchent sur nombre de métiers différents : le divertissement, mais également les industries, l’architecture, la création d’images de patrimoine, enfin tout ce qui peut être de l’ordre de la création des images.
Combien d’élèves accueillez-vous ?
Nous accueillons environ 250 étudiants, toutes formations et années confondues. Chaque année, 30 à 40 élèves sortent avec un diplôme. Les recruteurs des différents studios regardent ces chiffres avec attention. Ce qui accélère l’insertion professionnelle tout comme les nombreux prix remportés en festivals par nos films d’école et certains projets de fin d’études fabriqués en cinquième année. En sept ans, nous sommes en effet devenus l’école la plus primée au monde. Nous avons remporté plus de 500 récompenses et avons eu plus de 1000 sélections dans les festivals internationaux. Nous avons gagné deux BAFTA du meilleur film étudiant [Hors Piste en 2019 et Sous la glace en 2020 – NDLR] et avons eu quatre films sélectionnés aux Oscars du meilleur court métrage dont plusieurs ont fini dans la shortlist. L’année dernière, une équipe fraîchement diplômée a obtenu avec leur film étudiant, Boom (2002), la médaille d’or des Student Academy Awards de l’Académie des Oscars. Avec ces prix, les studios voient le potentiel de tous ces jeunes artistes. Ce qui leur permet d’accéder assez rapidement à des postes importants, à la réalisation ou à de la gestion de département. C’est pour nous le meilleur moyen de montrer ce que l’on sait faire.
Dans le cadre de France 2030, vous participez à un projet de data center écoresponsable. De quoi s’agit-il exactement ?
C’est un projet qui existe déjà en version pilote et tourne depuis maintenant un peu plus d’un an sur Avignon. Il s’agit de micro-data centers implantés au cœur des villes, permettant d’optimiser la gestion des données numériques. Ces installations sont propulsées par différentes énergies renouvelables : solaire, géothermie et hydrogène. L’objectif est d’installer ces infrastructures au plus proche des utilisateurs comme les studios ou les écoles. Cette approche se différencie des data centers classiques, généralement installés à l’extérieur des villes, très consommateurs d’énergie et polluants. Dès la découverte de ce projet porté par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), nous nous sommes rapprochés d’elle pour en faire bénéficier notre filière de création d’images numériques. Le consortium réunit les exploitants du data center, l’école, l’université et le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers). Des studios d’animation avignonnais envisagent également d’utiliser ces infrastructures, et nous étudions la possibilité de répliquer ce modèle sur d’autres territoires. Notre industrie est en effet très énergivore. Nous utilisons de nombreux ordinateurs dont la fabrication a un impact environnemental considérable. Le data center permet d’alimenter tous ces équipements en énergie 100 % renouvelable. Il permet également une mutualisation intelligente des ressources : pendant les vacances scolaires, la baisse de consommation de l’école profite à d’autres acteurs, optimisant ainsi notre consommation collective. Au sein du consortium, nous collaborons avec un spécialiste de l’écoconception de serveurs informatiques. Une étude récente a montré que près de 75 % des serveurs installés dans les data centers sont surdimensionnés. Cela représente un gaspillage environnemental important, puisque leur puissance n’est jamais pleinement exploitée.
Quels autres projets élaborez-vous via le plan d’investissement France 2030 ?
France 2030 nous permet d’avancer sur plusieurs fronts. Nous développons notre département jeux vidéo et travaillons sur l’intégration de nouvelles technologies, notamment les passerelles entre l’animation et le jeu vidéo. Ce plan nous aide également à mettre en place, avec l’université, des formations courtes destinées aux professionnels tout au long de l’année. France 2030 nous a également offert une visibilité supplémentaire. Et ce soutien est précieux car, en tant qu’association, nos moyens de communication sont naturellement plus limités que ceux des écoles commerciales du secteur