« Dordogne », l’histoire d’un jeu vidéo à l’aquarelle

« Dordogne », l’histoire d’un jeu vidéo à l’aquarelle

09 février 2023
Jeu vidéo
La sortie de « Dordogne » est prévue courant 2023.
La sortie de « Dordogne » est prévue courant 2023. Focus Entertainment/UN JE NE SAIS QUOI/UMANIMATION

Dordogne ne ressemble à rien d’autre qu’à lui-même. Dessiné à l’aquarelle, le jeu raconte l’histoire de Mimi, une jeune femme de 32 ans, qui explore la maison de sa grand-mère récemment décédée, avec à la clé de nombreuses énigmes à résoudre. Un titre narratif né de l'imagination de Cédric Babouche, fondateur d’Un Je Ne Sais Quoi, réalisateur et directeur artistique de nombreux films d’animation. Aux côtés d’Aymeric Castaing, PDG d’Umanimation, il revient sur la genèse du jeu et l’attrait généré auprès du public étranger.


Comment l’idée de Dordogne a-t-elle germé dans votre esprit ?

Cédric Babouche : Je réfléchissais à la façon de raconter des histoires autrement qu’à travers le cinéma et la télévision. J’avais aussi envie de maîtriser beaucoup plus la narration, d’être moins dépendant des choix des diffuseurs. Et ce qu’offre le jeu vidéo, c’est justement une totale liberté. Je suis arrivé dans la région bordelaise il y a quatre ou cinq ans, avec sous le bras un projet de jeu vidéo [Mr Tic Toc and the Endless City, un point & click, Ndlr]. J’ai rencontré beaucoup de gens du milieu, et on m’a vite conseillé de faire un jeu plus petit, plus humble et moins cher. Mais tout aussi beau et narrativement intéressant. Avant que je m’associe avec Aymeric, j’ai donc commencé à travailler sur le développement d’une nouvelle histoire, celle d’une petite fille et de sa grand-mère, influencée par des références personnelles. J’ai passé les quinze premiers étés de ma vie chez mon arrière-grand-mère en Dordogne, et c’est le premier endroit où je suis allé quand je suis revenu dans la région Nouvelle-Aquitaine. Les liens se sont faits assez naturellement entre mon histoire et ce département. Aymeric et moi étions déjà en coproduction sur d’autres projets, et nous échangions régulièrement. Notre collaboration fonctionnait, nous avons décidé de fusionner les entreprises. C’est ainsi que l’on a regroupé les bannières d’Umanimation et d’Un Je Ne Sais Quoi sous un même drapeau, et que nous avons réellement lancé le développement de Dordogne.

Je fais de l’aquarelle depuis que j’ai 14 ans, et Dordogne regroupe une grande partie de mon expérience et de mon expertise dans le mélange entre l’aquarelle et la 3D.
Cédric Babouche

Aymeric Castaing : Notre ambition est qu’Umanimation soit la marque média, et qu’Un Je Ne Sais Quoi englobe le contenu à haute valeur ajoutée et graphique.

Ce style graphique si particulier, avec des dessins à l’aquarelle, était-il présent dès le départ ?

Cédric Babouche : Oui, depuis le début du projet. Il s’agit réellement de mon dessin, de ma peinture. Je fais de l’aquarelle depuis que j’ai 14 ans, et Dordogne regroupe une grande partie de mon expérience et de mon expertise dans le mélange entre l’aquarelle et la 3D. Vu que c’était un projet que je portais depuis le départ, je voulais aussi qu’on retrouve ma patte graphique. C’est ce qui donne sa singularité au jeu. Très vite, il a été décidé de rester sur papier et de ne pas faire les dessins numériquement. N’importe quel décor en numérique nous prendrait deux jours, alors que si je le fais moi-même en aquarelle, j’en ai pour deux heures. Au-delà de l’apport artistique, cela avait aussi un sens en termes de production.

Côté gameplay, vous avez imaginé de nombreux mini-jeux qui brisent la monotonie et permettent d’éviter d’enchaîner les scènes cinématiques…

Cédric Babouche : C’est exactement ça. Vu qu’il s’agit d’un jeu essentiellement narratif – l’idée est de découvrir ce qui est arrivé à cette jeune femme, qui ne se souvient plus de son dernier été passé avec sa grand-mère –, on se retrouve vite confronté à l’envie de mettre beaucoup de cinématiques. Nous avons donc essayé de trouver un moyen de contourner cet obstacle. Mais il fallait imaginer quelque chose qui nous corresponde. Comment raconter la même chose qu’avec une cinématique, mais autrement ? Nous avons commencé à développer une succession de mini-jeux, très simples d’utilisation, souvent liés à la mécanique des mots : il faut par exemple en choisir certains pour élaborer la construction des dialogues entre la grand-mère et la petite-fille. Ou bien il s’agit tout simplement de faire du jardinage avec elle, de prendre le petit-déjeuner… Il n’y a aucune complexité, le but n’est pas de gagner ou de perdre. L’idée est d’en savoir plus sur l’histoire et que tous les joueurs, petits comme grands, puissent connaître le scénario dans sa globalité. Sans se retrouver bloqués. On a travaillé sur une forme de simplicité de jeu agréable et – on l’espère – amusante.

Je pense que les étrangers identifient Dordogne comme un savoir-faire totalement local. Parfois, on dit en rigolant qu’on est en train de faire le Amélie Poulain du jeu vidéo (Rires.)
Aymeric Castaing

Comment expliquez-vous l’attrait international du jeu, qui semble susciter beaucoup de curiosité à l’étranger ?

Aymeric Castaing : Il y a évidemment la qualité du travail de Cédric, qui travaille sa technique depuis trente ans. Et le fait d’utiliser la parallaxe pour transformer une aquarelle peinte à la main en objet 3D, cela fait forcément de l’effet. Les Asiatiques, notamment, sont très intéressés par Dordogne, car ils ressentent le jeu comme quelque chose de typiquement français. Pour eux, c’est presque une image d’Épinal de l’artiste français, mais adaptée en jeu vidéo. Je pense que les étrangers identifient Dordogne comme un savoir-faire totalement local. Parfois, on dit en rigolant qu’on est en train de faire le Amélie Poulain du jeu vidéo (Rires.) C’est presque une blague, mais quand on observe les étrangers se délecter à essayer de prononcer le mot « Dordogne », on se rend compte du bonheur que cela leur procure. Ils ont l’impression de parler un peu français ! Cela nous convient, car cela correspond aussi aux valeurs que nous souhaitons véhiculer : ce côté made in France, artisanat, fait main. 

Cédric Babouche : C’est également assez rare que le jeu vidéo essaie de représenter le territoire français, si l’on met à part Assassin’s Creed. Pour rejoindre ce que disait Aymeric, à l’étranger, les gens n’aiment pas forcément les Français, mais ils aiment la France. (Rires.) Il y a une admiration pour notre culture et notre pays. La Dordogne est la troisième région de France la plus visitée, c’est un lieu connu et qui fait rêver. Je pense qu’on a quelque chose à jouer, en tant que créateurs indépendants, à montrer cette France-là.

C’est assez rare que le jeu vidéo essaie de représenter le territoire français […] Je pense qu’on a quelque chose à jouer, en tant que créateurs indépendants, à montrer cette France-là.
Cédric Babouche


Qu’avez-vous découvert en travaillant sur votre premier jeu ?

Cédric Babouche : En tant que réalisateur venant de contenus linéaires, à la télévision et au cinéma, j’ai plutôt l’habitude d’imposer mes histoires : une fois que les gens sont devant l’écran, ils sont passifs. Et finalement, c’est assez binaire, comme offre. Alors que dans le jeu vidéo, on a beau créer une histoire où l’on balise le chemin, vous pouvez être quasiment certain que le joueur va aller ailleurs. Et en matière d’écriture, c’est assez surprenant. Ça nous impose de penser quelles pourraient être les potentielles réactions de ceux qui tiennent la manette, et de revoir l’écriture en fonction. L’améliorer, la changer… Parfois même couper des passages entiers parce que la masse de travail peut vite devenir titanesque. On ne s’interdit absolument pas de le faire sur nos prochains projets, mais celui-ci étant le premier, il a fallu qu’on apprenne. Il faut rester humble par rapport à certaines choses. On voulait évidemment faire plus gros et mieux sur beaucoup de points, mais on reste extrêmement contents de ce qu’on a fait.

Aymeric Castaing : Je dirais que le monde du jeu vidéo est éminemment sympathique. Ce milieu est rempli de gens passionnés, c’est l’effervescence et il y a beaucoup d’opportunités. Les mastodontes ne s’approprient pas tout l’espace et laissent de la place aux plus petits. Et on a beau être signés par un mastodonte comme Focus Entertainment, on est entièrement libres sur le contenu.

Notre prochain projet sera à la fois un jeu vidéo et un long métrage d’animation – ou du moins un métrage d’une durée longue. Nous avons développé une technique qui nous permet notamment de cumuler les étapes de préproduction, communes au jeu et au contenu linéaire.
Aymeric Castaing

Cédric Babouche : On nous fait des suggestions, mais il n’y a pas de conflits, uniquement des échanges en bonne intelligence.

Vous pariez aussi sur le transmédia. Pourrait-on imaginer que Dordogne soit accompagné par un film d’animation, par exemple ?

Aymeric Castaing : Totalement ! En fait, nous sommes déjà en train de travailler sur un court métrage qui s’appelle Les Ricochets. Le scénario se déroule avant l’histoire de Dordogne, et l’on apprend comment la grand-mère est venue s’installer dans la région. Notre prochain projet sera à la fois un jeu vidéo et un long métrage d’animation – ou du moins un métrage d’une durée longue. Nous avons développé une technique qui nous permet notamment de cumuler les étapes de préproduction, qui sont communes au jeu et au contenu linéaire. 

Le gain de temps doit être énorme…

Aymeric Castaing : Exactement. Et à qualité égale, bien entendu. Nous sommes déjà sélectionnés au Cartoon Movie de Bordeaux cette année pour présenter le long métrage. La phase d’écriture est en cours et nous faisons donc un développement réellement transmédia : littéraire, graphique et gameplay. Une grande histoire, dont on prend des chapitres et que l’on traite sur des plateformes qui leur correspondent le mieux. Une partie sera ainsi un jeu, l’autre un format long d’animation et le reste une bande dessinée. Nous sommes en fin de négociation avec un éditeur important de BD pour signer trois projets en même temps : Dordogne, son successeur, et un autre œuvre en réalité virtuelle.

Dordogne est attendu pour l’été 2023. Le jeu a bénéficié du soutien du CNC.