Que représente le jeu vidéo en matière de consommation énergétique mondiale ? Cette consommation est-elle en augmentation, notamment à cause du cloud gaming [qui permet de jouer via Internet depuis une machine située dans un centre de données, NDLR] qui se développe de plus en plus ?
Selon certaines études, la consommation d’électricité annuelle mondiale liée à la pratique du jeu vidéo serait équivalente à celle de dix réacteurs nucléaires. Mais il faut voir la chaîne de valeur dans son ensemble, de l’extraction des matières premières à la fin de vie des consoles et des jeux. Je ne connais pas à ce jour d’étude qui a pu prendre en compte l’ensemble de la « vie » du jeu vidéo. Pour ce qui est du cloud gaming, il paraît presque évident que si l’on joue en ligne, la consommation sera plus importante. Mais une fois de plus, cela ne prend pas en compte l’ensemble de la vie des consoles. Si le cloud gaming peut permettre d’éviter un renouvellement des terminaux (en permettant de jouer sur un PC ou une console obsolète par exemple), peut-être est-ce une solution qui pourrait s’avérer plus écologique ? En réalité, tant qu’il n’y aura pas d’étude poussée et complète sur le sujet, ces questions demeureront sans réponse.
Comment le secteur peut-il faire sa transition énergétique et devenir plus respectueux de l’environnement ?
Cela peut se faire à la fois à travers les méthodes de production et la façon dont les consoles et les jeux sont développés.
Faire attention à l’origine de ses matières premières, privilégier l’économie circulaire, créer des jeux légers au design plus sobre, ou encore des gestes aussi simples qu’utiliser des gobelets réutilisables et penser à éteindre les ordinateurs la nuit dans les studios… Autant d’actions que peuvent engager les fabricants et les studios de développement pour faire un pas vers le respect de l’environnement.
À quel point les joueurs ont-ils une part de responsabilité ? Vous dites qu’ils pourraient se tourner vers des consoles « moins énergivores », voire acheter des consoles d’occasion qui seraient réparables. Mais le monde du jeu vidéo n’est-il pas, par définition, en recherche permanente de plus de puissance et de meilleurs graphismes ? Comment convaincre les joueurs qu’ils ne devraient pas acheter la dernière console ou carte graphique en date ?
Joueurs, fabricants et développeurs ont une responsabilité partagée. Aujourd’hui, il est surtout question de jeux AAA [l’équivalent des blockbusters, NDLR], très beaux, très gros et souvent très performants mais aussi – pour la plupart – très énergivores. Tant que la demande des joueurs sera présente, les producteurs y répondront.
Dans le secteur du jeu vidéo, comme ailleurs, le consommateur a un vrai pouvoir sur ce qui est produit. Si le consommateur devient végétalien, la plupart des marques agroalimentaires laitières développent leur gamme de yaourt végétal. Si le consommateur décide de se passer de la fast fashion, les marques de prêt-à-porter développent des produits plus respectueux de l’environnement. Si le consommateur renonçait à changer de console tous les deux ans et à consommer des jeux trop énergivores, peut-être que les fabricants et les studios créeraient des consoles plus durables et des jeux plus sobres ? Le jeu n’a pas à être plus puissant ou à avoir des graphismes plus poussés pour être excellent. Aujourd’hui, certains jeux sont très bons et n’exigent pas d’avoir un PC surpuissant avec une carte graphique de dernière génération. Il ne faut pas confondre puissance avec qualité de gameplay et de narration ; puissance des graphismes et qualité graphique.
Le monde du jeu vidéo a été marqué ces derniers mois par des affaires de harcèlement moral et sexuel. La culture interne des studios, plus ou moins gros, est-elle en train de changer ?
Je ne travaille pas dans un studio de développement ou d’édition de jeu vidéo et je ne peux donc pas répondre à cette question avec certitude. J’ai très sincèrement envie de croire que oui, mais je sais très bien que les sujets d’égalité entre les personnes, quel que soit leur genre, sont complexes dans tous les secteurs professionnels et dans la société en général.
Le rôle des femmes dans le jeu vidéo semble beaucoup bouger ces derniers temps. Sentez-vous une évolution, à la fois dans les postes et dans la représentation des femmes comme héroïnes ?
Je préfère ne pas parler à la place de personnes qui vivent cette réalité et pourraient donc témoigner de ces évolutions, ou de leur absence. Par contre, je pense qu’il faut faire attention à bien distinguer le fait qu’un sujet soit beaucoup médiatisé – comme l’est celui des conditions de travail pour les minorités dans le secteur du jeu vidéo – et les changements structurels qui, eux, prennent plus de temps et demandent une étude plus poussée.
Reste encore à représenter des femmes racisées pour que l’on commence à pouvoir parler d’une représentation normale des femmes dans les jeux vidéo.
La question de la pratique du « crunch » [période extrêmement intense de travail, qui précède souvent la sortie d’un jeu, NDLR] est également centrale et bien ancrée. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Faut-il le faire totalement disparaître ou bien l’adapter ? Les studios en SCOP et les associations comme Game Impact ont-ils un rôle à jouer pour permettre aux salariés de travailler dans de meilleures conditions ?
La question du « crunch » est vraiment complexe. Si on la regarde d’un point de vue strictement managérial, c’est une question que l’on ne devrait pas se poser et un problème qui ne devrait pas exister. Un bon manager doit être particulièrement attentif à la charge de travail de ses équipes, et à veiller à ce que des moments de « crunch » (ou de « charrette », comme on les appelle dans la communication) n’arrivent pas. Ces moments ne doivent pas être une normalité, bien qu’ils soient parfois inévitables. La question devient encore plus complexe lorsque l’on se place du point de vue des développeurs et designers qui vivent ce « crunch ».
Ces périodes, bien que stressantes et extrêmement fatigantes, peuvent faire ressentir une forme d’exaltation, et mènent à une réelle satisfaction lorsque le projet est terminé. Il faut en revanche que ces situations soient vraiment choisies et exceptionnelles. Et il est quasiment impossible de s’assurer que le choix du « crunch » est vraiment un choix consenti, et non le résidu d’une peur d’être mal vu par ses collègues, ou ralenti dans son exercice professionnel par la suite. Le mieux reste donc de l’éviter. Les studios en SCOP [sociétés coopératives et participatives, NDLR] sont un bon exemple d’organisations dans lesquelles les développeurs et designers sont au cœur de la gouvernance et du management de l’entreprise. Je pense que c’est un mode d’organisation – aussi parce qu’il se développe presque uniquement à petite échelle – qui assure un bon équilibre professionnel pour les membres de ces entreprises. Les associations telles que Game Impact ou encore Women In Games jouent aussi un rôle dans l’amélioration des conditions de travail dans le secteur, que ce soit en organisant des événements, en créant des groupes d’études sur les sujets sociaux et environnementaux du jeu vidéo, ou encore en enseignant dans des écoles de jeu vidéo.