Discours de Olivier Henrard à l'occasion de la Cérémonie des vœux 2025 du CNC

Discours de Olivier Henrard à l'occasion de la Cérémonie des vœux 2025 du CNC

30 janvier 2025
Professionnels

Discours de Olivier Henrard, président du CNC (par interim), prononcé le 29 janvier 2025 à l'occasion de la cérémonie des vœux du CNC aux Folies Bergère.


Chers Amis,

Je suis heureux de vous souhaiter une excellente année 2025 au nom de toutes les équipes du CNC.
J’espère que notre nouveau logo animé vous a plu. Il a été pensé comme une métaphore des caractéristiques du CNC :

  • la stabilité, puisque la typographie reste la même ;
  • mais aussi la capacité à se renouveler ;
  • et, à travers ces images qui se rassemblent, c’est la vocation du Centre en tant que maison commune que nous avons voulu souligner.

Et comme il faut toujours valoriser les auteurs, merci à Laurent Ungerer et à l’agence c-album d’avoir ainsi mis en mouvement le logo historique créé par Etienne Robial en 1996.

  1. Une « année-test » dont le modèle français et l’exception culturelle sortent renforcés.

Toujours dans le souci de respecter les auteurs, je ne vais pas commencer ce discours en plagiant Nakache et Toledano et vous dire que 2024 a été « une année difficile ». C’était, en réalité, plutôt une année-test, dont le modèle français et l’exception culturelle sortent renforcés.

1) En 2024, pourtant, nous avons progressé dans un paysage politique incertain à tous les niveaux : national et international. 

Cette incertitude a été encore amplifiée par :

  • une situation préoccupante des finances publiques, y compris pour nos partenaires territoriaux ;
  • une contraction du marché international qui touche toute la filière ;
  • une offre de films américains en retrait qui faisait peser une menace sur la fréquentation de nos salles ;
  • Et un durcissement des clivages entre les Français sur un certain nombre de sujets, de société comme géopolitiques.

Ce durcissement, palpable, a des conséquences sur nos activités, au point de mettre parfois en question la liberté de création et de diffusion.

2) Dans un tel contexte, le bilan positif de 2024 a d’autant plus de relief.

Pour la fréquentation des salles, la France a fait figure de double exception :

  • une exception mondiale : il n’y a qu’en France que le nombre de spectateurs a augmenté par rapport à 2023 ;
  • une exception européenne : il n’y a qu’en France que le cinéma national a attiré davantage que le cinéma américain.

Sur le plan de la reconnaissance artistique, la grande vague française aux Oscars est la dernière illustration de ces succès.
Avec 11 œuvres et 30 nominations au total, qu’il s’agisse de réalisation, de production, de talents techniques, ou encore de studios, la France est omniprésente, grâce à vous. Même constat de grande réussite publique et critique pour la production audiovisuelle, toujours dans la diversité.
Vous avez été capables de revisiter des classiques très populaires comme Zorro et Cat’s Eyes, de créer des nouveaux formats, comme la saga documentaire d’animation L’Armée des romantiques ou la série oenologique Les Gouttes de Dieu, couronnée d’un Emmy Award. Sans oublier DJ Mehdi qui a réussi l’exploit d’initier au rap et à l’électro des boomers de mon espèce.

3) Cette réussite est évidemment, avant tout, le fruit de vos talents.

Mais c’est aussi le fruit du cadre de régulation et de financement qui constitue le modèle français d’exception culturelle. Un modèle qui devrait mettre tout le monde d’accord, en réalité. D’abord, pour les résultats exceptionnels, objectifs, chiffrés et mesurables, qu’il produit, dont je viens de donner de rapides exemples.

Ensuite, par sa capacité à répondre à de grands enjeux contemporains qui dépassent nos secteurs. En effet :

  • à l’heure où on parle de réindustrialiser notre pays ;
  • à l’heure où l’on parle de sauvegarder notre souveraineté, notamment culturelle ;
  • à l’heure où l’économie doit retrouver un sens et pas seulement une rationalité ;
  • à l’heure où l’on parle de rassembler tous les Français autour de représentations communes ;

Et bien à cette heure-là, qui est grave, force est de constater que le modèle français de financement et de régulation du cinéma et de l’audiovisuel coche toutes les cases. Que ce modèle constitue un trésor national et que c’est notre pays tout entier qui peut et qui doit le revendiquer comme une véritable fierté collective.

Cette fierté, elle rejaillit aussi sur nos territoires. Le Jura, par exemple, a été mis en valeur avec 3 très beaux films et une série l’an dernier. Et c’est bien pour éviter tout chauvinisme que je ne mentionnerai pas les 3 films remarquables tournés en Corse.
Mais la grande force de vos œuvres, c’est aussi qu’elles savent inviter au lointain. Un autre grand motif de fierté en 2024, ce sont nos coproductions étrangères, dont la France est depuis longtemps un acteur clé sur le plan international. 

Et d’ailleurs, voilà encore un argument au soutien de l’exception culturelle. S’il y a bien un endroit où les œuvres et les créateurs circulent librement, c’est en France. Notre création s’est nourrie d’échanges permanents avec nos voisins en Europe, mais aussi outre-Atlantique ! Les 5 derniers films de David Lynch étaient des coproductions françaises. Lorsque Emilia Perez représente notre pays aux Oscars, lorsque Les graines du figuier sauvage attire un demi-million de Français dans les salles, cela montre que notre cinéma, c’est aussi l’image de notre universalisme.

En réalité l’exception culturelle, contrairement à ce que disent ses détracteurs, c’est exactement l’opposé du repli sur soi et du protectionnisme : c’est tout simplement se garantir avec lucidité les moyens de l’ouverture au monde.
En dépit de ces résultats et de ces évidences, la France en 2025 devra continuer à monter au front, notamment au niveau européen et international, pour défendre ses dispositifs et ses valeurs.
On voit bien que les volontés d’ingérence, à l’échelle internationale, sont de plus en plus décomplexées, à un point qui semblait encore inimaginable voici à peine quelques mois.

Nos secteurs ne seront pas épargnés. On évoque parfois Astérix et « le petit village gaulois », pour rendre compte de la position de la France, dans la défense de l’exception culturelle en Europe et dans le monde. Personnellement, c’est aussi à Sisyphe que je pense. Mais Camus le disait : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».

Au CNC, je vous rassure, notre énergie et notre volonté de faire rayonner notre modèle sont intacts. Sur ce point-là comme sur les autres, nous avons incarné en 2024 la constance de l’action de l’Etat. Nous avons été, je crois, un pôle de stabilité. Alors, de ce point de vue, je sais que la situation d’intérim pour la présidence du CNC a pu faire parler. Mais elle a fait parler à tort. Parce que parmi les lois fondamentales de l’action de l’Etat, il en est une qui s’appelle la continuité du service public.
Et cette continuité, elle ne saurait dépendre d’un dirigeant ou d’un autre.  Depuis le mois de juin dernier, le CNC a rempli ses missions avec la puissance, l’adaptabilité et l’efficacité qui sont les siennes, sans le moindre ralentissement ni la moindre hésitation.

Alors il est vrai que le poste de Président a suscité beaucoup d’intérêt – tout un chacun a pu le lire dans la presse. Mais cela aussi, il faut le prendre de façon positive. Il faut se dire que le nombre de ces candidats est révélateur du pouvoir d’attraction du CNC, ce dont on ne peut que se réjouir !
Je remercie d’ailleurs, au passage, les candidats supposés à la Présidence du CNC d’avoir bien voulu remplir la moitié de la salle ce soir.
Et je remercie les candidats avérés d’avoir rempli l’autre moitié.

  1. Alors, après cette « année-test » réussie, quelles sont nos perspectives pour 2025 ?

Comme le dit le philosophe – et plus récemment Roch-Olivier Maistre : il faut cultiver notre jardin.  Et pour nous, cela signifiera :

  • Cultiver notre singularité
  • Cultiver la curiosité des publics
  • Cultiver nos savoir-faire
  • Cultiver notre savoir-être
  1. Cultiver notre singularité, tout d’abord
     
  1. Notre régulation a fait ses preuves, je l’ai assez dit. Mais en 2025, il nous faudra continuer à la faire vivre.

En commençant par la chronologie des médias qui, vous le savez, est ouverte à la signature, en vue de son extension prochaine par la ministre.
Sur ce sujet aussi structurant que symbolique, il faut mesurer le chemin parcouru. Souvenez-vous de la négociation de la chronologie de 2022 ! Souvenez des débats houleux sur notre capacité à intégrer ces acteurs nouveaux qu’étaient alors les plateformes !
Il y avait même, parfois, un petit côté Feydeau avec, à la place des portes qui claquent, des fenêtres d’exploitation qui glissent. Trois ans plus tard, le débat ne porte plus sur l’architecture générale de cette chronologie mais simplement sur l’ajustement des positions respectives à l’intérieur de ce cadre.
C’est déjà une grande satisfaction, même si je ne sous-estime pas l’enjeu de cette question car le monde de la chronologie, c’est comme la vie des chats : chaque mois en vaut six.

Toujours en matière de régulation, je pense aussi à l’encadrement des rémunérations des scénaristes. 2023 avait vu 4 accords signés dans le champ de l’audiovisuel ; 2024 n’a pas vu d’accord signé dans le champ du cinéma.
L’annonce de cet accord à venir est ainsi devenue un marronnier pour les vœux du président du CNC.
Ce marronnier, j’espère bien que nous l’abattrons en 2025 ! Il serait incompréhensible que le cinéma reste plus longtemps en dehors de cette dynamique vertueuse du partage de la valeur avec les auteurs.

  1.  Cultiver notre singularité, c’est aussi porter une attention spécifique à des secteurs dans laquelle la France excelle, surtout lorsque les vents sont contraires.

 

Nous nous efforcerons donc d’activer tous les leviers à notre disposition pour soutenir l’animation et le jeu vidéo, qui pâtissent aujourd’hui d’une conjoncture internationale qui leur est spécifiquement défavorable.

  1. Cultiver notre singularité, c’est enfin, comme je le disais, s’ouvrir aux autres.

Pour concrétiser cette belle ambition, nous continuerons à encourager les coopérations.

Pour multiplier les occasions de nourrir des projets communs, le CNC vous accompagnera en 2025 à travers un agenda bien chargé de rperspectives pour 2025 encontres avec des professionnels du monde entier.

Et pour soutenir les projets qui naîtront de ces rencontres ou d’ailleurs, nous augmentons cette année l’Aide aux cinémas du monde.
S’ouvrir aux autres, c’est aussi faire découvrir nos œuvres : nous renforcerons cette année notre soutien à l’export, via une augmentation du budget d’Unifrance.

Cultiver notre singularité, donc. Mais cela n’a de sens que si l’on cultive aussi la curiosité des publics.

  1. Cultiver la curiosité des publics

C’est évidemment le public, in fine, qui donne un sens à nos politiques.
Les plus jeunes, notamment – qui sont vos futurs spectateurs.

a) Avec le « plan diffusion » annoncé par la Ministre à Cannes et déjà bien déployé, nous avons d’abord concentré nos efforts sur les zones et les publics les moins bien servis.

Le second volet de ce plan, rapidement en 2025, ciblera les premiers acteurs de la diffusion que sont les salles de cinéma.

Le CNC va ainsi moderniser et renforcer ses soutiens à l’exploitation. Cette modernisation respectera le caractère redistributif du dispositif, tout en s’adaptant aux évolutions substantielles de la fréquentation post-COVID.

b) Cultiver la curiosité, c’est aussi soutenir les temples de la cinéphilie que sont les cinémathèques sur tout le territoire.

Le CNC renforce leurs moyens cette année, pour qu’elles participent à entretenir la flamme et à conquérir de nouveaux publics.

Par ailleurs, vous le savez, la France a plusieurs fois manqué l’opportunité de créer le musée emblématique du cinéma que le public attend et que nos collections – sans équivalent dans le monde – méritent. Comme l’a annoncé la Ministre lundi, nous avancerons sur ce chantier en 2025, pour que le cinéma reçoive un cadeau digne de ses 130 ans.

Et pour que le patrimoine continue à s’étoffer, nous augmentons également notre enveloppe consacrée à la restauration et à la conservation des œuvres.

On a souvent tendance dans nos secteurs à avoir le nez sur les instantanés du box office, semaine après semaine. Mais le principe même du cinéma, c’est la persistance rétinienne, c’est la durée, le temps long.

Un chef d’œuvre, ça vit mille vies ! Regardez le Napoléon, d’Abel Gance, qui continue d’attirer des spectateurs, des téléspectateurs et des internautes presque un siècle après sa création – y compris sa version de plus de 7 heures.

  1. Cultiver la curiosité, enfin, dès le plus jeune âge.

Tout le monde s’accorde sur l’importance décisive de l’éveil à la cinéphilie, dans un monde où les nouvelles générations sont saturées d’images.
Pourtant ces dispositifs se retrouvent aujourd’hui doublement fragilisés, d’une part par l’effet collatéral des réformes qui ont été conduites à l’Education Nationale et, d’autre part, à raison du désengagement de certaines collectivités territoriales pour des raisons budgétaires.
La ministre de la Culture travaille actuellement, la main dans la main avec son homologue de l’éducation nationale, pour déboucher sur des solutions concertées très concrètes.

  1. Cultiver notre jardin, c’est donc cultiver notre singularité, cultiver la curiosité des publics, mais également cultiver nos savoir-faire.

Et parce que « bien, c’est pas suffisant », on vise l’excellence !
Excellence de notre outil de production, et notamment de nos écoles et de nos studios.

Le plan d’investissement de l’Etat, La Grande Fabrique de l’image, a permis une montée en gamme remarquable de nos infrastructures en un temps record. Pour le plus grand bénéfice de nos créateurs et producteurs, qui s’en sont déjà largement emparés.

Cette excellence, c’est aussi notre meilleur atout pour attirer chez nous des productions internationales. Dans un contexte où la concurrence des crédits d’impôt fait rage, le savoir-faire français est un véritable avantage comparatif – c’est notre « p’tit truc en plus ».

  1. En dernier lieu, cultiver son jardin, c’est cultiver son savoir-être.

Examiner nos propres pratiques, régulièrement, et avec lucidité. Le grand avantage de cette maison commune qu’est le CNC, c’est qu’elle permet d’en discuter et d’avancer ensemble.

  1. Nous continuons donc de progresser collectivement, d’abord, sur la place des femmes dans la filière.

La tendance de fond est positive puisque cette place se renforce incontestablement.

C’est essentiel du point de vue de la créativité et du renouvellement des regards.

Mais cette féminisation des métiers est aussi importante car elle crée un climat nouveau qui contribue à prévenir les VSS, contre lesquelles nous luttons depuis plusieurs années.

Nous avons fait de vraies avancées en 2024 sur ce sujet et nous continuerons en 2025 avec la même détermination, ce d’autant plus que nous sommes, sur cette question, très attendus par la société française et par la représentation nationale qui l’incarne et que je salue ce soir.

  1. L’exemplarité de nos pratiques passe aussi par notre impact sur l’environnement. En somme, cultiver notre jardin, littéralement cette fois.

Nous avons bien avancé ensemble sur ce sujet-là aussi, avec le Plan Action ! triennal achevé en 2024 et qui a permis d’objectiver l’impact écologique de la filière et de commencer à le réduire.

Nous tirerons les conclusions de ce plan le 11 mars prochain, à l’occasion d’une journée bilan qui nous permettra aussi de dessiner les grands axes de cette politique pour les trois prochaines années.

  1. Cultiver son savoir-être, enfin, pour le CNC, cela veut dire aussi réfléchir en permanence à nos dispositifs.

En 2025, nous mènerons cette psychanalyse technocratique autour de plusieurs axes :

  • L’amélioration des soutiens à l’exploitation, j’en ai parlé ;
  • Nous repenserons également nos soutiens au court-métrage, pour qu’ils soient plus lisibles ;
  • Nous ajusterons également nos dispositifs d’aides amont dans le cinéma, pour mieux aider nos producteurs dans cette phase décisive autant que risquée.

Voilà ce que je voulais vous dire aujourd’hui, à l’aube de cette nouvelle année qui nous offre de légitimes motifs de mobilisation et beaucoup de raisons d’être fiers et enthousiastes.

Je vous renouvelle donc tous mes vœux, ainsi que ceux des équipes du CNC qui vous ont préparé une belle surprise pour cette soirée. Il s’agit d’un court montage d’une œuvre inédite intitulée Bohême 2050. Et non, ce n’est pas un nouvel hommage à Monsieur Aznavour, même s’il est éternel ! C’est une recréation du célèbre opéra de Puccini, qui sera diffusée dans son intégralité prochainement sur France Télévisions. Le ténor et ici metteur en scène Sébastien Guèze a revisité ce grand classique à l’aune des enjeux de notre temps, le changement climatique et l’intelligence artificielle.

Je ne vous en dis pas plus, si ce n’est que ce projet audiovisuel et décarboné a réuni de prestigieux partenaires, le Château de Versailles et l’Opéra royal, sous la houlette du producteur Olivier Drouot.

J’espère que vous apprécierez le spectacle et je vous remercie de votre attention.