Raphaël, vous êtes né en 1991, donc vous n’avez pas connu les années 80…
Raphaël Vandenbussche : Dès le début, avec Simon, nous avons bien compris que le budget ne permettait pas de viser la reconstitution. Pour vous donner un ordre de grandeur : pour toute la série, nous avions à notre disposition dix voitures. Pas en tout, mais dix journées avec une seule voiture !
Nous étions loin de la reconstitution historique, mais par de petits détails qu’on fétichise clairement, nous étions dans l’évocation.
Simon Bouisson : Moi je suis né en 1985, et dans mes souvenirs, c’est une époque un peu terne. Le risque était de caricaturer, de tout exagérer. Souvent d’ailleurs, on se rappelle des années 80 par leurs excès comme les épaulettes ou les coupes mulet. On ne voulait surtout pas rire de nos personnages, mais avec eux. L’idée était d’aller vers du naturalisme, du réalisme. François Ozon, dans Été 85, filme cette époque, mais avec une représentation différente de la nôtre, plus poétisée et presque fantasmée. 3615 Monique, c’est vraiment notre vision des années 80. Ce que j’aimais beaucoup, par exemple, c’est que tout ait l’air neuf. Comme c’est une époque qui n’est pas si lointaine, on retrouve facilement des accessoires. J’ai vraiment insisté pour que nos minitels aient l’air de sortir des cartons.
Concrètement, comment fait-on ?
R.V. : Nous avons décidé de ne pas filmer en plan large, car nous savions que nous n’aurions pas le budget pour reconstituer une rue, une maison entière. Nous avons quand même recréé un grenier, mais là, c’était un peu un délire « spielbergien ». Nous voulions notre grenier comme dans E.T.
S.B. : Très vite, on est partis sur un tournage en Nouvelle-Aquitaine, et particulièrement à Angoulême qui est une ville où certains quartiers sont restés dans leur jus. Il suffit presque d’y poser une caméra pour se retrouver dans les années 80. Bien sûr, on a construit aussi quelques décors ou patiné des lieux existants. Dès le début, comme nous avions décidé de filmer au plus près des corps et des visages, nous nous sommes concentrés avec Raphaël sur des détails, des petits objets comme des Rubik’s Cube ou des gadgets de l’époque placés opportunément dans les mains des personnages… Plein de petits éléments qui définissent une période et qui ne « coûtent pas grand-chose ». Bien sûr, tout le travail sur les costumes a été primordial. Avec Élisa Ingrassia, on s’est vraiment focalisés sur les hauts des vêtements, les cols, les détails dans les cheveux pour qu’il n’y ait pas le moindre doute sur l’époque à laquelle on faisait référence. D’autant plus qu’il s’agit d’un moment particulier : pas celui flashy et coloré de la fin des années 1980 ni celui plus lumineux de la fin des années 70, mais celui du début de la décennie qui avait quelque chose d’assez terne, marron, vert foncé…
R.V. : J’adore travailler avec Élisa - c’est la deuxième fois [après Garçon chiffon de Nicolas Maury, NDLR] - car quand on a une direction artistique pointue, un rythme de tournage soutenu et des plans assez serrés, les costumes c’est presque la moitié de l’image ! Il y a dans la série des choses iconiques comme le pull vert d’eau de Simon (Arthur Mazet) ou le rouge de Stéphanie (Noémie Schmidt). C’était génial à filmer.
Vous avez aussi décidé de filmer en format 4/3…
R.V. : Oui. Je me suis battu très tôt pour vendre cette idée à OCS qui a d’ailleurs accepté tout de suite. Pour moi, ça opère un peu comme un « laser libidinal », ça centre le désir et 3615 Monique est quand même une série sur la naissance de la marchandisation du désir. De plus, ça indique l’époque : Shining qui date de 1980 est en 4/3 ! J’avais comme références Prénom Carmen ou Sauve qui peut (la vie) de Godard, qui sont aussi en 4/3 et dont certains cadrages m’ont inspiré. De façon pragmatique, quand on tourne en 4/3 à deux caméras, c’est aussi un format beaucoup plus pratique. Comme le champ n’est pas large, les deux cadreurs ont moins tendance à se filmer entre eux par mégarde.
S.B. : Avec le 4/3, on s’accroche davantage aux visages et on perd un peu les fonds, ce qui nous arrangeait bien. Quand on filme, ça évite d’attraper des éléments de décors que nous ne maîtrisons pas. On ne voit pas trop les bords de l’image. On se focalise sur un regard, une expression… On était pratiquement sur une réalisation fétichiste.
Vous avez également opté pour une façon de filmer particulière…
R.V. : Oui, il y a beaucoup d’effets de zoom pour « hystériser » un peu l’image à la manière des clips de l’époque. On faisait le découpage presque au moment du tournage. Il y a aussi un aspect particulier sur la série qu’on ne détecte pas forcément : l’utilisation de la machine à fumée. Un peu comme dans Le Péril jeune ou Joker. C’est là aussi en lien avec le vocabulaire du clip et ça redonne une certaine profondeur à l’image. Initialement, je voulais même filmer avec des caméras d’époque, mais cela coûtait trop cher et c’était trop lourd à utiliser. Néanmoins, on s’est parfois servis de projecteurs italiens de la fin des années 70 qui font une lumière très dorée typique.
Vous avez aussi utilisé des images d’archives qui nous replacent directement dans l’époque…
S.B. : Oui, principalement au début de la série, pour bien nous plonger dans l’univers.
Des choses qui « ne coûtent pas trop cher », encore une fois, mais qui nous plongent vraiment dans l’époque.
La série 3615 Monique, lancée ce 17 décembre à 20h40 sur OCS Max, est produite par Mon Voisin Productions et coproduite par Qui Vive !. Elle a été soutenue par le CNC.