Comment avez-vous réagi quand vous avez vu les audiences des premiers épisodes sur TF1, qui ont rassemblé presque 10 millions de téléspectateurs en moyenne ?
On était un peu tous estomaqués. Je sentais qu'avec ces personnages, et Audrey Fleurot, il y avait la possibilité que la série trouve son public. Mais à ce point-là, on était sidérés. D’autant plus qu’elle avait déjà été mise en ligne sur la plateforme Salto quelques jours auparavant, et le premier épisode sur le site MyTF1. HPI marchait déjà bien sur ces réseaux. J'avais plutôt peur que tout le monde l'ait vue avant sa diffusion sur TF1 ! En fait, il y a eu un effet bouche-à-oreille. Mais des scores autour de 9 ou 10 millions, on ne s'y attendait pas...
Comment est-ce que vous expliquez ce succès ?
Pour l'instant, on ne l'analyse pas encore. J'ai le sentiment qu'il y a d'abord et avant tout la rencontre d'un personnage avec une comédienne. Audrey a une vraie notoriété et elle était attendue dans un rôle comme celui-là. Surtout en ce moment, parce qu'il y a un vrai besoin de comédie dans cette période que nous traversons. Cela fait aussi un an qu'on est séparés les uns et des autres, or la télévision a cette puissance collective, elle permet aux gens de vivre la même expérience simultanément. À l'heure du « tous confinés », je crois que cela a certainement été un facteur du succès de HPI.
Audrey Fleurot a un capital sympathie certain auprès du public. Vous avez écrit la série en pensant à elle ?
Non pas particulièrement. J'essaye de ne pas penser aux comédiens quand j'écris des personnages. Sinon ça me limite. Après, il est évident qu'un personnage aussi fort exigeait une incarnation forte. C'était essentiel et c’était ma grande appréhension. Quelqu'un aurait pris ce rôle de la mauvaise manière, en le jouant sans sincérité par exemple, cela aurait catastrophique. Aussi, quand le nom d'Audrey Fleurot est apparu, cela a fait tilt. C'est une grande comédienne avec ce côté marrant qu'on avait déjà pu voir dans Kaamelott ou dans Dix pour cent. Sa rousseur, ce côté pop qu'elle dégage... Elle amène tout ça.
Pour revenir à la genèse de HPI, comment vous est venue l'dée de ce personnage ?
Ce fut une cocréation avec Stéphane Carrié et Nicolas Jean. Ils avaient l'idée de ce concept de polar, avec une enquêtrice surdouée, consultante pour la police. Ils pensaient à ce moment-là écrire un rôle dans le spectre autistique, type Apserger. Moi, j'avais plutôt envie d’un autre profil, type Erin Brockovich. Mon père était surdoué et il ne correspondait pas du tout aux clichés d'un Rain Man. Il était très fantaisiste. Et puis je voulais aussi un personnage féminin très fort.
Le concept du Haut Potentiel Intellectuel (HPI), c'est une manière de renouveler le genre policier français par la même occasion ?
Oui, dans ce genre, soit on a un tandem de flics, soit on met un consultant aux côtés d'un policier. Là, il faut qu'il amène quelque chose, presque comme un superpouvoir, pour justifier sa présence sur les enquêtes. Comme Mentalist ou Castle. Des séries « high concept », qui deviennent crédibles grâce à la cohérence des personnages. Pour renouveler le genre, c'était intéressant de prendre une consultante, atypique dans un univers très normé. Et puis ça me tenait vraiment à cœur d'inverser les rôles, dans le classique duo homme/femme. Habituellement, c'est l'homme qui est vecteur de comédie, ingérable, sexy et immature. La femme est sérieuse, toujours agacée par son partenaire et porte l'empathie. Dans HPI, c'est inversé.
Vous aviez déjà travaillé sur Alice Nevers : le juge est une femme, il y a quelques années. Vous avez le sentiment que les séries policières françaises sont en train d'évoluer ?
Le polar, c'est le genre roi à la télévision. On est baignés de polars. Pour raconter quelque chose de nouveau, il faut sortir des sentiers battus, amener une nouvelle façon d'enquêter. Par exemple, dans HPI, Morgane a des flashs, elle présente de grandes démonstrations. On adapte l'enquête au personnage. Cela oblige à écrire des enquêtes différentes de celles en quatre actes que j'écrivais pour Le juge est une femme. Là, il faut des moments disruptifs, où l'on accélère l'enquête, qui demandent une construction des épisodes un peu différente. Autant dans la mise en scène que dans l'intrigue.
Vous sentez une forme de lassitude du public vis-à-vis des séries policières classiques ?
Je ne sais pas. Je dirais plutôt que la tendance est à fusionner deux genres pour apporter quelque chose de nouveau. C'est ce que Dr House ou Grey's Anatomy faisaient déjà. Fusionner permet de renouveler. Dans HPI, la comédie est très présente. On est sur un équilibre un peu à part. On n'est pas tout à fait dans la comédie policière, parce qu'on a de vraies enquêtes. Ce n’est pas Brooklyn Nine-Nine. Cet équilibre entre comédie et polar a été compliqué à trouver : jusqu'où peut-on aller dans la comédie sans entraver l'enquête, que celle-ci guide toujours le récit, mais qu’elle permette en même de temps de laisser de la place à une forme de comédie ? C'était vraiment ce qui a été le plus délicat à écrire.
Vous aviez rencontré également un gros succès avec La Mante (avec Carole Bouquet). Il y a un point commun avec HPI ?
Je crois que dans les deux cas, il y a un concept fort qu'on peut « pitcher »facilement. Et des personnages très solides. L'incarnation fait aussi beaucoup.
HPI est le genre de série qui peut durer longtemps et prendre le relai des Section de Recherches et autres Profilage qui s'arrêtent. Vous avez ça dans un coin de la tête ?
Oui, c'est une série qu'on peut déployer, maintenant que les personnages sont posés. Que ce soit du côté de la vie privée de Morgane ou des autres personnages du commissariat, on en a sous la pédale !
Quelles sont vos inspirations ces derniers temps ?
J'aime beaucoup Shameless de John Wells, qui vient de se terminer. C'est une série de personnages, avec un ton unique. J'ai adoré aussi Fleabag de Phoebe Waller-Bridge, ainsi que son Killing Eve. Les personnages y sont extrêmement forts, tout le temps surprenants. Les twists neviennent pas forcément de l'enquête, mais des personnages eux-mêmes !
HPI, saison 1
Scénario : Stéphane Carrié, Alice Chegaray-Breugnot, Nicolas Jean, Julien Anscutter, Marion Carnel, Charlene Galan, Julie-Anna Grignon, Alexandra Julhiet et Laurent Vignon.
Avec Audrey Fleurot, Mehdi Nebbou, Bruno Sanches...
Production : Anthony Lancret, Pierre Laugier (Itinéraire Productions), Bérengère Legrand, Jean Nainchrik, Patrice Onfray (Septembre Productions).