Neuf meufs marque vos débuts en tant que réalisatrice de série. Comment ce projet est-il né ?
L’envie de réaliser est présente chez moi depuis l’adolescence. J’ai tourné plusieurs courts métrages et essayé par la suite de développer différents longs, sans qu’aucun de ces projets n’aboutisse. D’ailleurs, Neuf meufs était au départ prévu pour le cinéma. Cette idée m’a été inspirée par Sept fois femme, un film à sketches de Vittorio de Sica (1967) où Shirley MacLaine incarne sept états de femme. Avec Diastème, mon coscénariste, on a commencé à écrire un film à sketches afin d’offrir de jolies partitions à des comédiennes que j’adore et que je trouve sous-exploitées.
Qu’est-ce qui vous a fait dévier du film à la série ?
À force de galérer pour trouver le financement, j’ai décidé de tourner un des sketches, comme une bande démo que je pourrais ensuite aller présenter. Violette met en scène une conversation mère-fille. Je l’ai autoproduit. On a tourné en un jour et demi en décembre 2019 avec ma fille Nina Blanc-Francard et Mademoiselle Agnès que j’avais envie de diriger depuis longtemps. Puis j’ai organisé une projection en mars avant le premier confinement. C’est là que Canal+ nous a repérés. Au départ, ils voulaient juste acheter le court pour le diffuser. Mais quand je leur ai expliqué que cette histoire faisait partie d’un grand tout, ils ont demandé à lire le scénario. Ils m’ont ensuite proposé de le retravailler pour que le projet corresponde à leur collection Création décalée, avec cette idée centrale d’une unité de temps ou de lieu. On a bien évidemment accepté. Tout est alors allé très vite. On a commencé un tournage de seize jours le 28 septembre dernier. Et je travaille sur le montage depuis fin octobre.
Comment échapper aux archétypes quand on se lance dans des portraits de femmes ?
En tant que spectateurs, Diastème et moi-même adorons nous faire surprendre. Notre but a donc été, dans le temps imparti de dix minutes par épisode, d’emmener à chaque fois les spectateurs vers une piste pour mieux la tordre, sans pour autant être obsédés par la chute.
C’est bien après la fin de l’écriture que j’ai découvert avoir créé inconsciemment un lien unissant toutes ces femmes : leur rapport au désir.
Et comment construit-on des personnages masculins dans cet univers ultra-féminin ?
J’ai mis un point d’honneur à ne pas en faire des connards ou des salauds. Trop de films pseudo-féministes ont réduit les hommes à ces clichés alors que la vie est évidemment plus complexe. À l’inverse, j’avais envie des personnages masculins pleins de paradoxes et de contradictions. Mais derrière tous ces personnages, masculins ou féminins, il y a surtout un grand amour des acteurs. D’autant que Canal+ m’a laissé une liberté totale dans le choix de mon casting.
La direction d’acteurs a constitué votre plus grand plaisir sur ce tournage ?
J’ai tout aimé, mais c’est en effet ce que j’ai préféré. Sans doute parce qu’en tant qu’actrice, il y a une légitimité à diriger les comédiens. Je me suis nourrie des expériences, bonnes ou mauvaises, que j’ai pu avoir. D’ailleurs, le seul luxe que je me suis octroyé pour cette série, c’est d’avoir un jour de répétition par histoire. Ça nous a permis de poser les enjeux et nous a donné la liberté d’essayer des choses plus loufoques en plateau. Sans cela, je ne serais pas arrivée au même résultat. D’autant plus qu’une fois installé dans une ambiance, on devait passer à autre chose au bout de deux jours de tournage. Ça crée une frustration mais qui n’est pas inintéressante.
Avez-vous tourné en studio ou dans un vrai immeuble ?
Dans un vrai immeuble que j’avais repéré depuis longtemps : il se situe rue Saint-Ambroise dans le 11e arrondissement de Paris et a été construit à la fin des années 60 par un élève de Le Corbusier. On y a loué plusieurs appartements que ma chef décoratrice Valérie Valéro a réaménagés pour les adapter aux différents personnages. Seul le premier court que j’avais tourné avec ma fille et Mademoiselle Agnès ne se situe pas dans cet immeuble puisqu’on n’a pas eu le loisir de le retourner. Mais j’espère que cela ne se voit pas trop.
Neuf meufs existe en deux versions…
Oui, à la demande de Canal+ : la minisérie en neuf épisodes et un unitaire de 90 minutes pour lequel j’ai tourné des scènes de transition entre les différentes histoires, notamment avec Philippe Katerine, le « Monsieur immeuble », qui s’occupe des locations saisonnières, arrose les plantes… J’ai aussi déconstruit et reconstruit certains épisodes pour cet unitaire. C’est une autre narration. J’ai adoré cet exercice inédit pour moi : travailler une même matière de deux manières différentes à si peu de temps d’intervalle.
Neuf Meufs
Scénario : Emma de Caunes et Diastème.
Directeur de la photographie : Nicolas Bordier.
Production : Majie Films, StudioCanal Original.
Diffuseur : Canal+