« Sentinelles est une série écrite en temps de paix et son rapport à la mort provient de cette époque-là »

« Sentinelles est une série écrite en temps de paix et son rapport à la mort provient de cette époque-là »

14 avril 2022
Séries et TV
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« Sentinelles » de Thibault Valetoux et Frédéric Krivine.
« Sentinelles » de Thibault Valetoux et Frédéric Krivine. Pascal AImar-OCS-Tetra Media

Lancée sur OCS il y a quelques jours, Sentinelles raconte, de l’intérieur, l’opération Barkhane au Mali. Une série minutieuse, qui en dit long sur notre rapport moderne à la guerre. Les deux créateurs, Thibault Valetoux et Frédéric Krivine, nous expliquent la mission qu’ils se sont fixée.


Mali. Au cœur d’un conflit, de l’engagement, le quotidien du 22e régiment d’infanterie en mission au Sahel, au sein de l’opération Barkhane. Dans la région, la section du lieutenant Anaïs Collet traque les terroristes djihadistes. Entre embuscades brutales et tensions avec la population malienne, qui accepte de moins en moins la présence française, le travail de ces jeunes soldats en « opex » devient de plus en plus complexe... Bienvenue dans Sentinelles.

« Au départ, j’avais cette envie de faire une série sur la jeunesse française. Plus que de faire une série sur la guerre ! », nous raconte le scénariste Thibault Valetoux, qui a initié la série. « D’ailleurs, c’était tellement impressionnant comme contexte qu’à un moment, je me suis même demandé si je n’allais pas tout simplement reprendre ces mêmes personnages et les mettre dans une équipe de foot. (Rires.) Parce que le but, c’était vraiment de faire un portrait de notre jeunesse. »

Un scénariste en immersion dans plusieurs régiments, au contact des soldats

Avec la collaboration de l’expérimenté Frédéric Krivine, cocréateur d’Un village français, Thibault Valetoux s’est lancé dans une ambitieuse série sur la guerre au Mali. Sur cette opération Barkhane aux ramifications multiples : « J’ai commencé à écrire Sentinelles vers la fin de l’opération Serval. Quand elle est devenue l’opération Barkhane... À ce moment-là, une petite musique a commencé à résonner en moi, suggérant que ce n’était pas bon signe », se souvient Thibault Valetoux. « Parce que l’opération Serval répondait initialement à une requête des Maliens, demandant aux Français d’arrêter une colonne djihadiste qui fondait sur Bamako. Ça, ça a été réussi. Ce sont les images de François Hollande qui déambule dans les rues de la capitale, acclamé... Mais quand on change le nom et le périmètre d’intervention, on se dit que ça ne va pas être la même mayonnaise : aller traquer le djihadisme, c’est un coup à s’enliser ! On pense à ce qui s’est passé en Afghanistan... »

 

Pour raconter au mieux le terrain, la vie des hommes et des femmes sur place, en « opex », Thibault Valetoux et Frédéric Krivine se sont activés pour faire parler la « grande muette ». « On trouve assez facilement de quoi s’informer. Il y a des procédures qui existent. Par rapport au début de ma carrière, c’est quand même plus simple », assure Frédéric Krivine, tandis que Thibault Valetoux est allé faire des séjours « en immersion dans plusieurs régiments, pendant des périodes plus ou moins longues. J’ai un peu insisté auprès de l’armée et ils ont fini par m’envoyer quelques jours ici et là. Bon, c’était un peu ennuyeux, parce que j’avais l’impression d’être en visite guidée dans une institution qui veut montrer que tout va bien... Mais le soir, après avoir créé une relation de confiance, après avoir bu quelques bières, j’ai pu échanger avec des soldats. Pas tellement pour leur demander comment était le Mali ou s’ils avaient déjà tué quelqu’un... Parce qu’en fait, la plupart du temps, aucun d’eux ne tire la moindre balle... J’avais plutôt des questions sur l’humain, je voulais qu’ils me confient leurs sentiments sur le fait de partir aussi loin, de laisser leur famille derrière eux et toutes leurs appréhensions. »

L’Ukraine montre bien à quel point les Occidentaux et la France sont tellement loin de l’idée de guerre

C’est en effet de cela que se nourrit la série OCS. Si les décors désertiques du Maroc – où a été filmée la fiction – sont véritablement asphyxiants, Sentinelles mise d’abord sur la pression morale qui pèse sur les troupes. Sur des conflits et des tensions au sein du corps : « On avait un budget limité, mais en même temps cela a eu un intérêt : dès l’écriture, dès le départ, on savait que les rapports entre les personnages devaient absolument être très conflictuels, pour développer du drame. Parce qu’on savait qu’on n’aurait pas beaucoup de moments purement visuels à mettre en avant. On ne pouvait pas filmer des combats avec 200 figurants et des explosions... On n’est pas dans une série à 2 millions d’euros par épisode. Donc on a travaillé des conflits suffisamment solides, des problèmes moraux qui peuvent fonctionner auprès du public et qui sont suffisamment prenants en eux-mêmes. »

Parmi ces conflits intérieurs mis en avant par la série, il y a la notion de mort, inhérente à l’armée. Dans Sentinelles, les soldats se confient face caméra sur la vision qu’ils ont des risques du métier : « C’était important de montrer cette vision, parce que ça fait partie des choses qui ont beaucoup évolué dans nos sociétés. Je me souviens de l’émotion après l’embuscade d’Uzbin, en Afghanistan (en 2008). La France avait perdu dix soldats d’un coup. Dans la foulée, l’opinion n’avait pas accepté ces morts sur le terrain. Il y avait même eu une tentative de judiciarisation. Mourir a beau faire partie des risques liés à l’armée, les familles s’étaient constituées parties civiles, pour tenter de trouver des responsables. Notre rapport à la mort a clairement changé », décrypte Thibault Valetoux avant que Frédéric Krivine ne valide cette idée : « L’Ukraine montre bien à quel point les Occidentaux et la France sont tellement loin de l’idée de guerre. On n’est plus prêt, aujourd’hui, à envoyer des soldats sur le front... et certains, comme Poutine, l’ont bien compris d’ailleurs. Sentinelles est une série écrite en temps de paix et son rapport à la mort provient de cette époque-là, où des familles de soldats peuvent poursuivre l’institution en justice parce qu’il y a eu une embuscade... »

Aide obtenue auprès du CNC

 

Sentinelles, saison 1 en 7 épisodes – à voir dès le 5 avril sur OCS

Créée et écrite par Thibault Valetoux, Frédéric Krivine
Réalisée par Jean-Philippe Amar
Produite par Tetra Media Fiction, La Pépinière, Orange Studio
Avec Pauline Parigot, Louis Peres, Birane Ba...