Juste après mai 1968
Si le film ne sort qu’en 1971, c’est dans les cendres encore brûlantes des révoltes de Mai 68 que naît cette comédie. L’intrigue se joue principalement entre les murs du modeste appartement-atelier d’un petit tailleur parisien où se croise et se décroise une flopée de personnages bigarrés. Au milieu des incessants va-et-vient, il y a Léon (Claude Melki) le tailleur timide, sa sœur Marie (Bernadette Lafont) qui pratique la voyance et la prostitution, un souteneur encombrant (Jean-Pierre Marielle) ou encore une provinciale suicidaire (Chantal Goya) qui fait involontairement tourner la tête de Léon. Le style de Jean-Daniel Pollet très Nouvelle Vague, prône la liberté de mouvement mais sous couvert de filmer un joyeux bordel, applique tout de même une rigueur formelle qui empêche l’ensemble de se déliter. La poésie naît de la cohabitation improbable de tous ces personnages de générations et de profils différents et d’un savant mélange de burlesque et de gravité mélancolique. A noter la présence lors d’une séquence de Marcel Dalio, figure incontournable du cinéma de Jean Renoir (La Règle du jeu, La Grande illusion…)
Jean-Daniel Pollet, écorché vif
Ce fils de grand bourgeois lillois passé par Science Po traîne d’abord sa caméra documentaire du côté de Saint-Tropez pour observer la vie au soleil puis dans les bals populaires. C’est là qu’il repère Claude Melki, futur héros de ses comédies poético-burlesques. Ses débuts de cinéaste coïncident avec l’éclosion de la Nouvelle Vague dont il reste pourtant à distance. Il fait toutefois partie de l’aventure collective Paris vu par… en 1965, à côté de Rohmer, Chabrol ou encore Godard. Il signe le segment Rue Saint-Denis sur le passage à l’acte sans cesse différé d’un jeune timide (Melki) qui a fait monter chez lui une prostituée. Pollet avait d’abord réalisé l’expérimental Méditerranée avec l’aide de Philippe Sollers ou encore le mélancolique Tu imagines Robinson (1968), très librement inspiré du roman de Daniel Defoe. Il est surtout connu pour ses comédies avec Claude Melki : L’amour c’est gai, l’amour c’est triste (1971) et L’acrobate (1976). On lui doit également des films-essais inspirés des écrits du poète Francis Ponge comme Dieu sait quoi (1997). Sa vie est marquée par un accident de la route en 1989 qui le diminue physiquement. Il meurt en 2004 à 68 ans.
Claude Melki, héros lunaire
C’est dans un bal du samedi soir de la banlieue parisienne, au milieu d’une foule de danseurs, qu’est apparu le visage de Claude Melki. Nous sommes en 1957, la caméra de Jean-Daniel Pollet filme des jeunes gens qui se déhanchent et s’arrête sur cet homme au visage de clown triste, improbable réincarnation de Buster Keaton ou de Pierre Etaix. Pollet vient de trouver sa « muse ». Le film – court - se nomme Pourvu qu’on ait l’ivresse et connaît du succès en festivals. Melki, apprenti-tailleur de son état, devient donc comédien. Mieux, un personnage. Il sera Paul, héros récurent des films de Jean-Daniel Pollet, jeune homme lunaire et timide qui se fait marcher sur les pieds mais garde une sensibilité intacte. L’amour c’est gai, l’amour c’est triste est le premier long métrage que les deux hommes feront ensemble. Il y aura ensuite L’acrobate en 1976. Claude Melki a également tourné avec Claude Berri, Luc Moullet, Jacques Demy, Georges Lautner… Il meurt jeune, à 55 ans, en 1994. Il est l’oncle de Gilbert Melki. Ce dernier confiait à Télérama en 2007 à son propos : « Quand il tournait, il entrait dans le champ de la caméra en exécutant un petit saut, comme le faisait toujours Keaton. C'était un clown atypique qui souffrait de son physique et compensait en jouant avec son corps. »