Quand avez-vous amorcé cette réflexion autour de l’accessibilité ?
Richard Patry : Dès 2010, et le début de notre exploitation du cinéma, nous avons commencé à travailler avec Hervé Aguillard, directeur de L’Omnia, sur la prise en compte des handicaps sensoriels. Cependant, nous étions assez démunis sur l’accessibilité des personnes à mobilité réduite (PMR) et usagers en fauteuil roulant (UFR). L’Omnia République, haut lieu de l’histoire de Rouen, a connu plusieurs vies. Détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été reconstruit pour réouvrir en 1952. C’est alors un cinéma de près de 2000 places, un de ces fameux palaces qui ont fait les grandes heures du cinéma d’après-guerre. Dans les années 1970, sous l'enseigne Gaumont, il est divisé en quatre salles puis en sept. Quand Gaumont-Pathé décide de se séparer du cinéma en 2010, la Mairie de Rouen rachète les murs et lance un appel d'offres que nous remportons. Le projet est alors très clair : il s’agit d’en faire un cinéma d’art et d’essai avec les labels Recherche & Découverte, Europa Cinémas… À l’époque, il était possible de faire accéder les PMR à deux salles grâce à l’aménagement d’une rampe en bois, mais nous étions en dehors de la norme. Et même pour les personnes valides l’accès était digne d’un parcours du combattant. Le cinéma comptait des escaliers absolument partout. Les spectateurs arrivaient épuisés, et une partie de notre public constitué de personnes âgées refusait même de rejoindre certaines salles. Dès le départ, l’accessibilité était au cœur de notre projet de rénovation. Un projet qui allait donc au-delà du handicap.
Hervé Aguillard : Le défi était de rénover un vieux bâtiment à plusieurs niveaux (sous-sol, rez-de-chaussée, niveau 1, niveau 2). C’est pourquoi nous avons réfléchi très en amont sur ce que pouvait être le « cinéma de demain ». Dès le début des travaux en 2020, nous avons travaillé sur le parcours d’une personne à mobilité réduite. Des halls de circulation aux caisses en passant par l’accès aux salles jusqu’au comptoir du ciné-café, tout a été pensé pour qu’elle puisse profiter du cinéma comme une personne valide. À son arrivée, elle est accueillie directement par notre personnel formé au handicap. L’achat des billets se fait par le biais d’une tablette spéciale plus basse que la moyenne. À l’extérieur, des logos collés aux vitrages permettent de reconnaître en un coup d’œil les entrées accessibles aux PMR. Deux ascenseurs desservent les étages, un pour la partie avant du cinéma et un pour la partie arrière.
Richard Patry : Rendre 100 % accessible l’ensemble du cinéma impliquait aussi de le rendre 100 % évacuable pour tous en cas de sinistre. Il a fallu revoir le plan de protection et de sécurité incendie de L’Omnia, à savoir y inclure, entre autres, des « refuges » (ndlr : des « espaces d’attente sécurisés ») dans le but de mettre à l’abri les personnes à mobilité réduite en attendant l’intervention des secours. Nous avons aussi investi dans du matériel spécifique pour les évacuer en urgence, ce qui a nécessité également de former notre personnel à son utilisation. L’autre chantier a été effectué sur le confort. Les emplacements PMR sont situés différemment en fonction des salles. Il n’était pas question de « cantonner » ces personnes uniquement aux premiers rangs.
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Comment intégrez-vous les autres types de handicaps au sein du cinéma ?
Richard Patry : Concernant les personnes à déficience visuelle, nous avons installé des revêtements podotactiles afin de permettre des déplacements sans risque. De la même manière, nous avons mis en place toute une signalétique en braille. Le cinéma est équipé du système d’audiodescription Fidelio à destination des personnes sourdes et malentendantes, et nous organisons d’ailleurs des séances spéciales en audiodescription. L’Omnia République est un cinéma d’art et d’essai, ce qui signifie qu’une grande partie de notre catalogue est sous-titré, notamment les films étrangers que nous diffusons en Version Originale (VO), ce qui peut aussi faciliter les choses. Nous travaillons avec des associations locales, et organisons, par exemple, des séances spécifiquement dédiées aux personnes en situation de handicap psychique.
Hervé Aguillard : De manière générale, nous sommes très à l’écoute des besoins des associations : nous n’avons jamais refusé de monter une opération. Nous essayons de nous adapter au mieux au handicap. Quand on projette d’accueillir un groupe de personnes en situation de handicap quel qu’il soit, j’invite toujours les responsables à venir visiter le cinéma et ses équipements en amont. Nous jugeons ensemble de la manière la plus pertinente d’organiser la projection : avec du public ou sans public. Un groupe de collégiens est venu voir récemment le film Simone. Il y avait parmi eux des élèves malentendants que les professeurs peinaient à intégrer habituellement dans les sorties scolaires. Nous nous sommes adaptés : le film a été diffusé en sous-titrage pour l’ensemble des 130 élèves. Aujourd’hui, nous pouvons répondre à ce type de demande, auparavant c’était impossible.
Richard Patry : Notre devise – et donc celle de L’Omnia – tient en quelques mots : « accueillir tous les films et tous les publics ». Le cinéma a réouvert il y a deux mois, en septembre 2022, après deux ans de chantier. Nous ne sommes qu’aux prémices de ce nouveau chapitre, mais nous sommes déjà très heureux du résultat. Les retours des spectateurs et des associations sont positifs. Bien sûr, nous avons des marges de progression. Je dirais que désormais, tout l’enjeu réside dans le « comment faire savoir », comment informer les publics en situation de handicap de l’existence de ces aménagements.
Justement, comment communiquer sur ce sujet en tant qu’exploitants ?
Hervé Aguillard : En effectuant un travail de pédagogie. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une rigidité des supports de communication, que cela soit sur Internet ou dans le journal local. Les grilles de programmes sont formatées. Les informations sur le fait que telle ou telle séance est réservée ou ouverte à des personnes en situation de handicap, et quel handicap en particulier, ou encore la simple indication que la séance est sous-titrée alors qu’il s’agit d’un film français ne sont pas forcément indiquées.
Richard Patry : C’est pourquoi nous travaillons pour l’instant localement avec les associations, mais nous sommes tout à fait enclins à collaborer avec des structures nationales. Nous souhaitons aller dans ce sens.
Hervé Aguillard : Nous apprenons tous les jours, sur le terrain, en étant justement confrontés aux demandes. Nous faisons du sur-mesure. C’est un travail en quelque sorte de « haute couture » au quotidien. Je constate que la jeune génération est très sensible à ces questions de handicap et d’accessibilité, je le vois au sein de nos équipes. Mais l’essentiel, c’est que les médias s’emparent du sujet pour que l’information se diffuse d’une meilleure manière et de façon pérenne.