Alberto Moravia en cinq films

Alberto Moravia en cinq films

La Ciociara de Vittorio de Sica
La Ciociara de Vittorio de Sica Carlot Ponti - Champion - SCG DR

Voilà 30 ans, le 26 septembre 1990, le célèbre auteur italien disparaissait à Rome à l’âge de 82 ans. Retour sur quelques-unes de ses liaisons avec le cinéma, de Lattuada à Bertolucci en passant par De Sica, Blasetti et Godard.


La Louve de Calabre d’Alberto Lattuada (1953)


Si le cinéma s’est souvent emparé des romans d’Alberto Moravia, l’écrivain s’est aussi impliqué dans des projets totalement déconnectés de son œuvre. En 1951, il réalise ce qui reste comme son seul court métrage, Colpa de sole. Et entre 1940 et 1958, il va écrire ou co-écrire une demi- douzaine de scénarios originaux pour le grand écran, parmi lesquels cette Louve de Calabre, librement inspiré d’une nouvelle de son compatriote Giovanni Varga. Associé à Antonio Pietrangeli (Les Amants diaboliques de Luchino Visconti), Luigi Malerba (Prix Médicis 70 étranger pour Le Saut de la mort), Ennio de Concini (Oscar du meilleur scénario 1961 pour Divorce à l’italienne de Pietro Germi) et Ivo Perilli (Riz amer de Roberto Rossellini), il développe l’histoire d’une mère et de sa fille tombant amoureuse du même soldat dans l’Italie des années 30. Un drame néo-réaliste où l’érotisme se marie aux considérations sociales et dans lequel une Française (Kerima qui campe la mère, vénéneuse) et une Suédoise (May Britt, future héroïne du remake de L’Ange bleu de Von Sternberg par Edward Dmytryk, qui joue la fille, angélique) campent deux Calabraises avec un naturel qui séduit la critique de l’époque. 

Dommage que tu sois une canaille d’Alessandro Blasetti (1955)


Après avoir été en 1942 avec Quatre pas dans les nuages l’un des initiateurs du courant néo- réaliste italien, Alessandro Blasetti a connu un relatif passage à vide après la Seconde Guerre mondiale. Mais il retrouve un second souffle au mitan des années 50 grâce aux comédies, dont ce Dommage que tu sois une canaille, librement adaptée d’Il Fanatico, une nouvelle d’Alberto Moravia parue dans le Corriere della Sera et publiée dans son recueil Nouvelles romaines. On y suit les mésaventures d’un jeune chauffeur de taxi tombant amoureux d’une femme qui n’a qu’une idée en tête : le voler. Cette comédie marque une date historique dans le cinéma italien : c’est la première rencontre sur grand écran d’un duo mythique, Sophia Loren et Marcello Mastroianni, où la rouerie de l’une se marie parfaitement avec la candeur de l’autre. Deux comédiens qui se retrouveront par la suite dans 11 films, jusqu’au Prêt-à-porter de Robert Altman en 1994. Et cette screwball comédie à l’italienne emballe à la fois la critique et le public incitant Blasetti à réunir de nouveau son irrésistible tandem dès 1956 avec La Chance d’être femme

La Ciociara de Vittorio de Sica (1960)


C’est en en 1957 qu’Alberto Moravia a écrit La Ciociara, un livre inspiré des crimes perpétrés en 1944 en Ciociarie, au cœur du Latium, par des éléments du corps expéditionnaire français de l'Armée d'Afrique. On y suit le destin tragique d’une jeune veuve qui fuit Rome avec sa fille pour retourner dans son village natal où elles seront violées par une troupe de soldats français. C’est cette histoire qu’a eu envie de porter à l’écran Vittorio de Sica pour son grand retour à un cinéma social et engagé. Après avoir signé un sommet du néo-réalisme avec Umberto D en 1952, de Sica avait subi dans les années suivantes les foudres du gouvernement de son pays qui, en plein miracle économique, voyait d’un mauvais œil un cinéaste n’ayant de cesse d’explorer les laissés pour compte de la croissance économique. Lassé et blessé d’être traité de traître, de Sica avait décidé de changer de registre en évoluant de plus en plus – derrière comme devant la caméra – sur le terrain de la comédie. Ce qui poussera d’autres critiques à le traiter de vendu… En adaptant le roman de Moravia, de Sica opère donc un retour en majesté. Face à Jean-Paul Belmondo qui incarne un étudiant pacifiste, Sophia Loren impressionne dans l’un des rôles majeurs de sa prestigieuse carrière. Après son prix d’interprétation cannois, elle devient la première comédienne non anglophone à recevoir l’Oscar de la meilleure actrice. Vingt-huit ans plus tard, elle sera aussi à l’affiche du remake de La Ciociara, réalisé pour la télévision par Dino Risi.

Le Mépris de Jean- Luc Godard (1963)


De toutes les adaptations d’Alberto Moravia, celle du Mépris paru en 1954, est la plus célèbre. Pourquoi Godard a-t-il eu envie de porter ce livre à l’écran ? Il l’expliquait à l’époque avec l’ironie mordante dont il peut être coutumier : « Au commencement, il y a un vulgaire et joli roman de gare de Moravia, plein de sentiments classiques et désuets, en dépit de la modernité des situations. C’est avec ce genre de romans que l’on tourne souvent de beaux films ». Le cinéaste voit grand avec ce projet. Il promet à ses producteurs de tourner un film plus commercial qu’à son habitude, obtient un budget 10 fois supérieur à celui d’A bout de souffle et rêve de Frank Sinatra et Kim Novak dans les rôles principaux. Son producteur italien Carlo Ponti souhaite, lui, Marcello Mastroianni et Sophia Loren. Mais ce sont finalement – à la grande satisfaction de son producteur français Georges de Beauregard -  Michel Piccoli et Brigitte Bardot qui incarneront les deux héros du film, le scénariste (écrivain dans le livre original) et son épouse, dont la relation va imploser au fil du récit. Le tournage est tendu. Godard se montre agressif envers ses comédiens. Ses producteurs Carlo Ponti et Joseph E. Levine, trouvant que son film manque de nudité, oblige le cinéaste à retourner une scène plus ouvertement érotique. La fameuse scène culte (« Tu les aimes, mes fesses ? ») dans laquelle Godard s’évertuera à détourner la commande en masquant le corps de BB par des filtres colorés. Malgré tous ces obstacles, Le Mépris réunira plus d’1,5 million de spectateurs. Soit le deuxième plus gros score de sa carrière derrière les 2 millions d’A bout de souffle.


 

Le Conformiste de Bernardo Bertolucci (1970)


C’est en 1951 qu’Alberto Moravia publie Le Conformiste avec pour ambition de comprendre comment certains ont pu devenir fascistes entre les deux guerres mondiales. Et si le livre fut un immense échec en librairies, Bertolucci décide 20 ans plus tard de le porter à l’écran. Le récit suit un jeune fasciste, envoyé en mission en France en 1935 pour supprimer un professeur de philosophie qui lutte au sein des activités antifascistes. Bertolucci ne connaissait pas ce livre avant que sa compagne d’alors ne lui en parle avec un tel enthousiasme qu’il l’évoque sans trop y croire à ses producteurs du moment. A sa grande surprise, il obtient le feu vert pour cette fresque historique qui sera le premier gros budget de sa carrière. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il se plonge dans le livre et signe en un temps record une adaptation qui, contrairement à l’œuvre de Moravia, sera couverte de récompenses (le David di Donatello – équivalent italien du César - du meilleur film), d’accessits prestigieux (nomination à l’Oscar de l’adaptation 1972 où il est battu par French Connection…) et de sélections en festival (Berlin…).