Une femme apprend par un derviche que son fils, victime d’une malédiction, mourra à 20 ans. Le père s’enfuit et la mère se drape de noir pour toujours. Un jour, l’enfant, Muzamil, a 19 ans. Il ne lui reste plus, en théorie, qu’un an à vivre… et Amjad Abu Alala, le réalisateur, d’évoquer comment les croyances ancestrales peuvent conditionner des vies. Un premier long métrage soudanais d’une puissance folle, qui révèle un cinéaste. Rencontre.
Votre parcours est assez unique. Vous êtes né aux Emirats arabes unis puis avez grandi à Dubaï. Est-ce parce que vos parents ont fui le régime instable du Soudan dans les années 1980 ?
Pas du tout. Les Soudanais sont nombreux à travailler dans le Golfe persique. C’est comme ça que mes parents y sont arrivés et que j’y suis né. J’ai passé une bonne partie de ma vie à Dubaï, mais également une demi-douzaine d’années au Soudan, à partir de l’âge de 10 ans.
Comment êtes-vous devenu cinéaste ?
Lorsque je vivais au Soudan, j’ai découvert les films de Youssef Chahine qui étaient beaucoup diffusés à la télévision, mais que les gens ne comprenaient pas vraiment. Ça m’a rendu curieux et j’ai voulu tout savoir de lui, puis j’ai découvert d’autres réalisateurs comme Godard, Kiarostami, Angelopoulos... Ça a changé mes perspectives. Je voulais non seulement faire du cinéma, mais je voulais en faire à la manière de ces grands maîtres. Le cinéma commercial m’intéressait moins.
Avez-vous fait des études de cinéma ?
Non, de communication. Lors de ma première année, j’ai commencé à tourner en groupe des courts métrages, principalement destinés à des festivals arabes. À l’origine, c’était plutôt de la télévision.
Tu mourras à 20 ans serait seulement le septième film soudanais...
Le septième ou le huitième, je ne suis pas sûr. On parle de films de fiction bien sûr.
A-t-il été facile à monter ?
Ça nous a pris deux ans, du montage financier (c’est une coproduction internationale entre l’Égypte, la France, la Norvège, l’Allemagne, le Qatar et le Soudan) à l’obtention des permissions de tournage au Soudan. Il faut savoir que personne n’a sûrement lu le script sur place, faute d’infrastructures cinématographiques. C’était très compliqué d’avoir des réponses nettes !
Votre film est tiré d’un roman d’Hammour Ziada. Pourquoi une adaptation pour vos grands débuts ?
J’aime les romans et les adaptations, tout simplement. Je sais que l’autofiction est à la mode dans le cinéma indépendant, mais ce n’est pas pour moi. Une adaptation peut tout aussi bien refléter ce que vous êtes et ce que vous pensez. Le roman d’Hammour est conforme aux souvenirs que j’avais du Soudan de mon adolescence. J’ai voulu retranscrire mon émotion liée à cette période de ma vie. Comme le héros, j’ai d’ailleurs une phobie de l’eau !
Diriez-vous que c’est à la fois un film initiatique et le portrait d’une société figée dans le passé ?
Cela se passe de nos jours même si le temps de l’histoire semble s’arrêter au moment de la prophétie. Le genre de village où se passe l’action n’a de son côté jamais vraiment évolué, d’où cette impression, peut-être, de société un peu médiévale, écrasée par le poids des traditions et de la religion. Avec ce film, je tenais à dire haut et fort, spécialement à la nouvelle génération, que la religion ne doit pas envahir à ce point nos vies.
Comment avez-vous choisi Mustafa Shehata, qui joue Muzamil adulte ?
Il n’y a pas beaucoup d’acteurs professionnels au Soudan donc j’ai dû organiser un vaste casting sur place pour le trouver. Dès qu’il a ouvert la porte, j’ai su que Mustafa était le personnage. Au départ, il était assistant médical, mais il veut désormais se consacrer à la comédie. Quant à Bunna Khalid, qui joue l’amoureuse de Muzamil, c’est une ancienne mannequin. Les seuls professionnels sur le film sont Islam Mubarak (la mère) et Mahmoud Elsaraj (Suleiman, le marginal qui conseille Muzamil), qui sont des acteurs venus du théâtre et de la télévision. Ils n’avaient jamais fait de cinéma.
Le personnage de Souleiman est un peu la conscience du héros. Exprime-t-il vos points de vue sur la société ?
« Exactement » (en français). Il me ressemble tellement que j’ai coupé beaucoup de ses répliques, à la fois dans la dernière version du script et au montage ! (rires) Il fallait être un peu prudent avec lui, ne pas trop le faire parler de sexe et de religion…
Êtes-vous fier d’incarner la renaissance du cinéma soudanais ?
J’en suis fier, mais je ne suis pas seul. Il y a aussi Suhaib Gasmelbari qui a obtenu le prix du meilleur documentaire à la dernière Berlinale pour Talking About Trees. Mon rêve est de construire une industrie cinématographique au Soudan, je suis d’ailleurs en train d’étudier la question avec le gouvernement. En attendant, je vais produire un documentaire et un film de fiction, Goodbye Julia, qui racontera la sécession du Sud-Soudan en 2011.
Tu mourras à 20 ans, qui sort mercredi 12 février, a reçu l’aide aux cinémas du monde (production) du CNC.