Un parcours atypique
Certains cinéastes savent depuis leur plus jeune âge que leur destin doit se dérouler derrière une caméra. Nulle trace de ces certitudes chez Anne Fontaine, fille d’un organiste et d’une spécialiste du vitrail, née au Luxembourg avant de passer une grande partie de sa jeunesse au Portugal. C’est d’abord vers la danse qu’elle s’oriente, la danse classique, pratiquée à haut niveau. C’est d’ailleurs dans son cours qu’elle est repérée par Robert Hossein qui décide d’en faire son Esmeralda pour l’adaptation en comédie musicale de Notre-Dame de Paris qu’il prépare.
C’est un moment décisif : non content de la diriger, il la convainc de changer de nom pour la suite de sa carrière. Anne-Fontaine Sibertin-Blanc devient Anne Fontaine. Et cette première apparition sur scène va lui donner le goût du jeu. A partir de 1980, elle fait quelques apparitions comme actrice au cinéma, incarnant par exemple la petite amie de Patrick Bruel dans la comédie de Patrick Schulmann, P.R.O.F.S. où elle rencontre Fabrice Luchini. C’est en collaborant avec lui à l’adaptation du Voyage au bout de la nuit de Céline qu’elle fait ses débuts à la mise en scène.
Pendant quelques années, elle gagne sa vie comme mannequin cabine puis comme hôtesse de bar. Jusqu’à ce qu’au début des années 90, Jacques Audiard la pousse à écrire et mettre en scène pour le cinéma. Résultat : en 1992 elle signe Les Histoires d’amour finissent mal… en général où une jeune ouvreuse de théâtre décide de ne pas choisir entre les deux hommes qu’elle aime : un comédien et un chauffeur de taxi. Le film décroche le Prix Jean-Vigo. Sa carrière est lancée.
Le goût de la transgression
Ce premier long métrage donne le ton. Il y a dès le début le désir de bousculer les conventions dans la représentation des histoires d’amour. Dans Nettoyage à sec, un jeune garçon (Stanislas Merhar) vient troubler le quotidien plan-plan d’un homme et d’une femme (Charles Berling et Miou-Miou) en couple depuis 15 ans et il fait exploser en plein vol le couple idéal. Nathalie… (qui réunit Emmanuelle Béart, Fanny Ardant, Gérard Depardieu) parle, lui aussi, de triangle amoureux mais sous l’angle des rapports tarifés. Perfect Mothers, son seul film en langue anglaise à ce jour, met en scène deux mères de famille amies (Naomi Watts et Robin Wright) tombant chacune amoureuse du fils de l’autre. Et, plus récemment, quand elle revisite le Blanche Neige des frères Grimm avec Blanche comme neige, elle le fait en observant l’éveil du désir chez son héroïne. Chez Anne Fontaine, les personnages féminins vont toujours au bout de leurs envies et tentent d’échapper à la culpabilité qui accompagne trop souvent le désir. Elles ne sont ni oies blanches, ni perverses manipulatrices. Elles sont libres.
Une cinéaste sans chapelle
Si son cinéma est mu par le désir d’héroïnes fortes et complexes, il se déploie depuis toujours dans des univers extrêmement variés. Avec Police, qui sort ce 2 septembre, la voilà sur un terrain social et politique. En adaptant le roman d’Hugo Boris, elle met en scène le cas de conscience vécu par trois policiers : doivent-ils, comme leur travail l’exige, reconduire un immigré clandestin tadjik à l’aéroport pour qu’il soit expulsé alors qu’il risque la mort dans le pays où on le renvoie ?
Après Blanche comme Neige, ce film symbolise la manière dont, depuis ses débuts, Anne Fontaine veille à alterner les genres derrière sa caméra. Elle est aussi à son aise dans les comédies (Augustin, Augustin roi du kung-fu, Nouvelle chance, La Fille de Monaco, Gemma Bovery…), le biopic (Coco avant Chanel, très gros succès à l’international), les drames historiques (Les Innocentes sur le viol de religieuses polonaises pendant la Seconde Guerre mondiale) ou les tragédies intimes (Marvin ou la belle éducation, variation sur l’intrigue du En finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis, Mon pire cauchemar autour d’un tueur en série…). Anne Fontaine aime expliquer en souriant, que tout cela va de pair avec son élasticité de danseuse. Il y a en tout cas chez elle ce désir d’apporter un peu de légèreté à des sujets graves, et de profondeur dans les sujets légers. Pour ne jamais se laisser enfermer dans un cadre prédéfini.
Une cinéaste qui aime les comédiens
Certains réalisateurs racontent parfois que les comédiens peuvent leur faire peur, qu’ils ont besoin à chaque tournage de réapprendre à les apprivoiser. Nulle trace de cela chez Anne Fontaine. Ses films montrent au contraire qu’elle aime filmer celles et ceux qu’elle réunit devant sa caméra, toutes générations confondues, de Danielle Darrieux à Lou de Laâge en passant par Michel Bouquet, Audrey Tautou, Fabrice Luchini, Isabelle Huppert, Finnegan Oldfield ou Arielle Dombasle…
Son refus de tout esprit de chapelle se retrouve donc dans cette envie de mêler les familles de cinéma, mais aussi de casser certaines barrières. C’est Anne Fontaine qui a fait débuter sur grand écran Louise Bourgoin, alors miss météo du Grand Journal sur Canal + dans La Fille de Monaco, avec une nomination au César de la révélation à la clé. C’est elle encore qui, avec Mon pire cauchemar, a donné à Virginie Efira (qu’elle retrouve donc dans Police), son premier rôle dans un film d’auteur, univers dans lequel elle se déploiera des années plus tard grâce à Justine Triet. Ses choix hors des sentiers battus racontent en creux son parcours d’autodidacte qui a réussi à pénétrer un monde dans lequel elle a pu un temps ne pas se sentir légitime.