Vous avez passé plusieurs années comme membre du comité de sélection. Qu’avez-vous découvert en devenant déléguée générale ?
Au comité de sélection, nous abordons les films avec un regard quasi critique. Là, il s’agissait de se projeter dans une vie de marché avec les films, d’imaginer leurs trajectoires à partir de Cannes. Ce rôle de déléguée générale m’a permis de découvrir de nouvelles missions à l’image du travail de prospection en amont des visionnages. Le comité de sélection le fait aussi, mais avec plus de parcimonie. J’ai donc beaucoup voyagé. J’ai rencontré de nouveaux interlocuteurs comme les vendeurs, les producteurs ou les distributeurs. En tant que critique, j’ai plutôt l’habitude de parler aux réalisateurs et aux acteurs. J’ai aussi appris la manière dont on construit une sélection au jour le jour : les films se discutent, se travaillent, se négocient.
Vous avez beaucoup échangé avec les autres sélections ?
Bien sûr ! J’ai très vite noué un dialogue avec, par exemple, Thierry Frémaux, le délégué général du festival. C’est extrêmement important. Chaque sélection possède son identité. Et même si nous ne partageons pas forcément les mêmes attentes ou les mêmes goûts, nous sommes très complémentaires. Cela nous permet d’offrir une galaxie de cinéma extrêmement variée au cours du festival. Les premiers et les deuxièmes films sont souvent proposés à toutes les sélections. Il y a donc beaucoup de discussions, mais toujours dans une ambiance très joyeuse. Je n’ai pas été bizutée. (Rires.)
Vous êtes la plus jeune déléguée générale de l’histoire de la Semaine de la Critique…
Oui, pas la première femme, mais la plus jeune ! C’est, je pense, un signal très important envoyé aux festivals du monde entier. Il montre qu’une jeune femme ou un jeune homme peut tout à fait assumer sérieusement ce niveau de responsabilités. La critique est en train d’évoluer, l’écosystème change et les jeunes plumes ont aussi du talent et un regard. Statistique amusante : avec Thomas Rosso, mon bras droit et coordinateur général, nous nous sommes aperçus que la moyenne d’âge des réalisateurs et réalisatrices passés par la Semaine de la Critique depuis une quinzaine d’années se situait aux alentours de 35 ans. Je suis donc exactement de la même génération que celles et ceux qui font les films que nous sélectionnons ! C’est audacieux.
Comment imprime-t-on son style à une sélection vieille de plus de 60 ans tout en restant dans la tradition ?
Cela ne se décide pas. En réalité, les choses se dessinent par petites touches, à travers le choix de l’affiche, par exemple, très différente de celles des années précédentes. Nous avons travaillé une photo d’art avec Charlotte Abramow, une photographe que j’apprécie tout particulièrement. J’aime beaucoup la façon dont elle met en scène les corps féminins, et notamment les corps « robustes ». Je voulais une affiche ronde, accueillante, qui invite à la rêverie. Il fallait quelque chose de doux. C’est aussi le but du cinéma.
Comment gérez-vous le fait de trancher quand il n’y a pas de consensus ?
Je suis décisionnaire mais je consulte beaucoup, j’ai toujours travaillé ainsi. Les films sont discutés : la majorité d’entre eux est visionnée par le comité en salle, puis on se réunit toutes les semaines pendant deux heures pour en parler. Le comité existe pour faire entrer le débat de manière à confronter différentes paires de yeux, de sensibilités et de visions du cinéma. C’est le plus passionnant. Cette cohabitation permet d’offrir une sélection cohérente aimée par tout le monde dans sa chair. On ne fait pas de bonne sélection en tapant du poing sur la table et en imposant son avis. J’assume mon costume de capitaine d’équipe, mais je travaille en harmonie avec mes camarades du comité de sélection. Charles Tesson, mon prédécesseur, fonctionnait de la même manière. Je m’inscris dans sa continuité.
Combien de films avez-vous reçus cette année ?
Environ 1?700 courts métrages et 1?100 longs métrages. Cinq critiques m’entourent au comité « longs métrages ». De son côté, Farah Clémentine Dramani-Issifou est accompagnée de trois critiques au comité « courts métrages ». En période de sélection, nous mettons notre vie entre parenthèses. C’est très grisant. Les premiers films sont toujours un saut dans l’inconnu, un moment magique. Mais le plus beau cadeau s’offre à nous quand notre cœur bat, quand on sent une évidence. On en oublie la fatigue.
Les films de la sélection 2022 suivent-ils une thématique particulière ?
Nous avons été sensibles aux histoires de famille, mais aussi aux films déroulés à travers les yeux d’enfants. L’amour familial, paternel ou maternel est finalement présent dans presque tous les films sélectionnés. Si ce lien saute aux yeux avec le recul, cela était loin d’être évident durant la sélection. Nous n’avons pas du tout pensé à l’idée d’un « thème ». En revanche, nous avons tout de suite souhaité mettre en avant une sélection internationale. Par ailleurs, les sept longs métrages de la compétition sont des premiers films, dont la qualité était particulièrement impressionnante cette année.