Comment est née l’idée de La Petite Vadrouille ?
Bruno Podalydès : Tout bêtement en ayant moi-même pratiqué il y a une vingtaine d’années ce type de croisière fluviale, à la fois très lente et très répétitive. Je m’étais dit que ce ne serait pas une idée de cinéma évidente, donc un défi qu’il m’amusait de relever !
Comment avez-vous développé cette comédie ? Avez-vous une méthode d’écriture que vous appliquez à chacun de vos films ?
Chez moi, chaque film génère sa propre méthode d’écriture. Parfois, j’accumule des notes et ça finit par devenir un film. Ce fut le cas pour Dieu seul me voit par exemple. Parfois, comme sur Liberté-Oléron, que j’avais écrit avec mon frère Denis, l’histoire surgit tout de suite. Pour La Petite Vadrouille, j’avais envie de raconter une histoire d’arnaque collective dans la lignée de L’Arnaque de George Roy Hill ou de Grande Dame d’un jour de Frank Capra : des films où des gens se déguisent pour monter une arnaque et où, nous spectateurs, sommes dans le plaisir de voir leurs stratégies se développer. C’est ainsi que petit à petit, je suis arrivé à cette idée de vraie fausse croisière.
Vous y embarquez une fois de plus votre « famille » de comédiens : votre frère Denis, Jean-Noël Brouté, Isabelle Candelier ou encore Sandrine Kiberlain. Vous pensez à eux quand vous écrivez un scénario ?
À chaque fois, j’ai envie de tous les appeler ! Mais je n’écris jamais mes personnages en pensant spécifiquement à telle actrice ou tel acteur, et surtout je ne leur en parle jamais avant d’avoir mis un point final au scénario. Pour ne pas être déçu si l’un ou l’autre se retrouve dans l’impossibilité de se libérer. Je ne veux rien m’interdire à l’écriture, ne pas m’enfermer. Un personnage écrit pour être un homme peut se retrouver au final incarné par une femme par exemple. L’étape du casting est un peu le deuxième étage de la fusée, ce qui redonne du vent frais dans les voiles juste avant le tournage.
Quel a été le plus grand obstacle dans l’écriture de La Petite Vadrouille ?
Trouver sa conclusion ! Il y a dans ce film un aspect vaudevillesque assumé, mais je ne voulais pas pour autant tomber dans une fin de vaudeville. J’ai imaginé plein de possibilités, y compris une fin malheureuse avant de finir par trouver la bonne.
Il y a chez vous une capacité à manier le burlesque, le décalage, sans pour autant rompre avec un certain réalisme dans les situations. Cet équilibre se fait-il naturellement dans votre écriture ?
Disons que je ne me contente pas de la justesse, du réalisme des situations quand j’écris. Je m’appuie souvent sur des choses que j’ai pu observer mais sans être dans la pure retranscription. François Truffaut voyait le cinéma comme une intensification de la vie. Et je suis pleinement sur cette ligne. Je vais toujours pousser le bouchon un peu plus loin et laisser de côté la pure vraisemblance sans pour autant perdre totalement le spectateur et le faire décrocher de l’histoire. Mais ceci vaut plus largement pour tout gag ou toute blague au cinéma. Il suffit de rajouter un petit truc de trop et plus personne ne rigole. Or je me fais une haute idée du spectateur, donc j’essaie toujours de suggérer les choses plutôt que de les montrer. Utiliser le hors-champ laisse au spectateur la possibilité de compléter les situations par son imagination.
Cela passe aussi beaucoup par le comique de situation comme ici où à chaque passage d’écluse, deux des membres de la joyeuse bande d’arnaqueurs – sous une apparence et un déguisement à chaque fois différents – font payer une taxe au patron incarné par Daniel Auteuil…
Je suis très client du comique de situation. Mon producteur un peu moins ! (Rires.) Ça peut le rendre fou. C’est à manier comme de la nitroglycérine pour ne pas lasser, il faut réussir à rajouter un petit détail différent à chaque fois.
Comment travaillez-vous avec vos comédiens, les habitués ou les nouveaux venus, comme ici Daniel Auteuil ?
J’ai une petite discussion avec chacun sur leurs personnages et plus largement le film. Mais je crois que mes scénarios sont suffisamment lisibles pour que le principal soit compris à l’écriture. Dans la même logique, une fois sur le plateau, je ne répète jamais le texte lors des mises en place techniques. C’est en tournant que chacun découvre son partenaire et que je redécouvre mon texte. C’est ce que j’aime au cinéma par rapport au théâtre où tout est très rodé et où les répétitions permettent de creuser le texte. Je filme donc toujours les premières prises. Et encore plus sur La Petite Vadrouille car Daniel est un comédien qui fait peu de prises, porté par des intuitions très fortes. Je ne vais pas chercher à faire quinze variations autour d’elles. Je suis au contraire à l’affût de la richesse qui naît de ces intuitions et de la manière dont les interprétations de chacun vont s’entrechoquer. Comme on n’a pas répété avant, on ne joue pas à l’unisson et j’aime l’adversité que cela peut faire naître dans les dialogues.
Jouer dans vos films, être au milieu de vos comédiens, cela vous aide-t-il recréer cette « petite musique » ?
Oui, énormément. J’éprouve une impression de solidarité, le sentiment d’être dans leur camp. Et encore plus sur La Petite Vadrouille où j’aurais dû être sur un autre bateau, derrière mon combo, si je n’avais pas tenu le rôle du « capitaine ». J’ai pourtant hésité à jouer dans le film et c’est Daniel qui m’a incité à le faire. Je ne l’en remercierai jamais assez. On sent toujours mieux une prise quand on en fait partie. Je n’ai jamais besoin d’aller la vérifier derrière un écran.
Vous prenez plaisir à jouer ?
Oui, j’aime me jeter à l’eau et je me sens assez heureux de le faire dans mes propres films. Sans doute aussi parce que je sais que je peux refaire une prise si je le souhaite. C’est une manière de me protéger : j’ai toujours la possibilité de choisir la prise que je considère la meilleure. Quand je joue chez les autres, c’est plus délicat. J’ai d’ailleurs le trac sur le plateau des autres, jamais sur le mien.
Comment avez-vous construit l’univers visuel du film avec votre directeur de la photographie Patrick Blossier ? Le choix du format Scope par exemple ?
Le Scope s’est imposé à moi. Le vrai Scope, pas le Scope numérique où on recadre dans l’image ! Et ce pour une raison assez basique : j’avais envie qu’en avançant sur ce canal, on puisse voir la rive de gauche et la rive de droite. Sans compter que lorsqu’on tourne dans un endroit exigu comme une cabine de bateau, le Scope permet de faire deux gros plans en même temps.
Coupez-vous beaucoup au montage pour peaufiner le burlesque poétique et le rythme singulier que cela nécessite ?
Ma première version du scénario est toujours assez longue. Mais c’est d’abord au scénario que j’essaie de condenser au maximum les choses, les dialogues en particulier. J’essaie d’être dans la synthèse sans tomber dans la sécheresse. Logiquement, ce travail se poursuit au montage où je traque les temps morts, les redites par rapport à ce qu’un comédien a su exprimer en un regard. On présente parfois mes films comme des comédies dans la lenteur, mais je ne me retrouve pas dans cette description. J’ai le sentiment de ne jamais perdre de temps dans mes récits. Vous ne verrez jamais un de mes personnages en train de marcher d’un point à un autre. J’essaie constamment de densifier. Pour La Petite Vadrouille, j’ai dû couper une dizaine de minutes en tout et pour tout. Il s’agit plutôt de resserrage d’ailleurs. Aucune scène du scénario n’a été entièrement supprimée par exemple.
LA PETITE VADROUILLE
Réalisation et scénario : Bruno Podalydès
Photographie : Patrick Blossier
Montage : Chrystel Dewynter
Production : Why Not Productions, UGC Production, Arte France Cinéma
Distribution : UGC Distribution
Exportation : Goodfellas
Sortie le 5 juin 2024
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