Les Amants de la nuit (1951)
Premier film, premier coup de maître. Tout le cinéma de Ray est déjà en place : la recherche d’un sens à la vie, l’amour désespéré, les anti-héros, l’urgence et les fêlures… L’ancien assistant d’Elia Kazan impose ici sa vision tragique du film de gangsters en suivant la romance de Bowie (Farley Granger) et Keechie (Cathy O’Donnell) condamnée par le milieu. Retournant les clichés du genre, ce n’est pas la police qui fera tomber le jeune homme, mais la femme d’un des voyous. « Sa dernière et inoubliable image, écrivent Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier dans 50 ans de cinéma américain, le gros plan silencieux et noyé dans la nuit du visage de la jeune femme après la mort de Bowie reste la clé d’une longue suite d’œuvres placées sous le signe du déchirement en mineur. »
Johnny Guitare (1954)
Après le N&B la couleur. Baroque, fauve même, faite de verts, de rouges et d’ors, sublimés par la passion. Car après le polar, Ray s’attaque au western. Il transgresse les règles du genre pour faire de sa tragédie humaine l’histoire ultra romantique d’un amour voué à l’échec. Entre tables de poker et attaques de diligences on suit un justicier chantant et solitaire, Johnny (Sterling Hayden), qui débarque dans un saloon tenu d’une main de fer par Vienna (Joan Crawford) dont il va tomber amoureux. Derrière son lyrisme mélancolique, derrière ses personnages féminins rebelles (rares à l’époque), Ray signe un formidable western d’auteur. Jean-Luc Godard qui aimait passionnément Johnny Guitare lui rend hommage dans Pierrot le fou. Le personnage de Ferdinand (Jean-Paul Belmondo) autorise en effet les enfants à aller au cinéma, pour la troisième fois: « Évidemment, ils jouent Johnny Guitare en bas, il faut bien qu’ils s’instruisent ! »
La Fureur de vivre (1955)
La pièce la plus célèbre de la filmographie de Nicholas Ray et le plus beau film sur l’adolescence déchirée, devenu culte grâce à l’interprétation magnétique de James Dean. Trois adolescents à vif tentent de se libérer de leurs relations conflictuelles avec leurs parents. Lyrisme fiévreux, violence et désordre social : le film fit tellement peur que plusieurs pays (dont la France) décidèrent de l’interdire aux moins de 18 ans. Mais cela n’empêcha pas son succès. Dean, capricieux et écorché, symbolise une jeunesse en rupture. Mais plutôt que d’épouser ses tourments, Ray choisit de filmer cette rébellion comme un vertige existentiel. C’est son premier film en cinemascope et l’utilisation des couleurs est sidérante (il faut voir la manière dont Nicholas Ray balade le blouson rouge de James Dean au fil des plans). François Truffaut fit l’éloge du film dans Arts et on peut y voir une influence essentielle des Quatre Cents coups.
Derrière le miroir (1957)
Truffaut (encore lui), faisait de Derrière le miroir l’une des œuvres essentielles de Nicholas Ray. « Incisive et nerveuse, franchement délirante, écrit-il dans Arts le 5 septembre 1956. Derrière le miroir est comme un dessin d'un seul trait : une ligne qui s'épaissit jusqu'à l'éclatement final. » L’histoire est celle d’un bon père de famille, Ed Avery, qui, à la suite d’un malaise, se voit prescrire un nouveau médicament : la cortisone. Le temps passant, il augmente les doses et son comportement se met à changer, radicalement. Pas question ici de pointer du doigt les dangers de la surmédication ou de l’addiction ; Ray signe une critique acerbe de l’american way of life, glorifiée par la publicité et les séries télé. Le titre français du film, Derrière le miroir, traduit bien cet aspect de l’histoire. C’est une trouvaille de Claude Chabrol, alors attaché de presse auprès de la Fox, qui trouva la traduction parfaite du titre original : Bigger Than Life.
We Can’t Go Home Again (1976)
Nicholas Ray victime d’un infarctus sur le tournage des 55 jours de Pékin est devenu depuis le milieu des années 60 un paria à Hollywood. Enseignant le cinéma à l’université de New York, il propose une expérience particulière à ses étudiants. Pendant une année scolaire, il leur demande d’utiliser leurs histoires personnelles pour faire une « œuvre » mêlant tous les formats imaginables. Le résultat raconte bien les utopies des années 1970, brouillonnes et éprises de liberté. Une première version est montrée au Festival de Cannes en 1973 et laissera aux spectateurs une impression confuse. Nicholas Ray passe les trois années suivantes à remonter le film. Il se regarde aujourd’hui comme le témoignage d’une époque et le dernier souffle d’un cinéaste hors norme et passionnant.