Comment définir un décor écoresponsable ?
Un décor écoresponsable ou écoconçu est un décor qui croise l’artistique et la logistique. Un des grands principes de l'écoconstruction tient en deux mots : coller et décoller. Il faut pouvoir réutiliser les décors, d’où l’importance de fabriquer de manière démontable les éléments qui les constituent. C’est un travail en strates, par couches non agglomérées, qui permet de garder le châssis intact afin qu’il puisse servir ensuite à un autre décor de film. Un décor écoconçu, c’est aussi un décor pour lequel on aura le moins de « chutes » possible. Il faut donc produire le moins de déchets possible et effectuer peu de découpes. L’utilisation des outils informatiques nous aide beaucoup pour prévisualiser les coupes en amont et discuter des axes de prises de vue avec les équipes de réalisation. Le poste décoration peut représenter 40 % de l’impact écologique d’un tournage, qui lui-même constitue bien un quart des émissions de l’industrie du cinéma. Il faut donc systématiser l’emploi d’un calculateur tel que le Carbon’Clap. C’est ainsi que l’on progressera. Diviser par deux l’empreinte carbone des décors et par trois celle du secteur serait déjà un bel effort. C’est à notre portée.
Quelle est la genèse du studio écofilm, que vous avez dédié à l’écoconception des décors ?
Le projet de consacrer une structure à l’écoresponsabilité des décors de cinéma démarre autour des années 2010. La réflexion est d’abord initiée par l’association des chefs décorateurs de cinéma (ADC). Je reprends l'initiative en 2013 en participant aux travaux d’Ecoprod sur le sujet en Île-de-France. En 2018, est créé le collectif éco-déco-ciné. On travaille de concert avec les techniciens du MAD – l’association qui rassemble les métiers associés au décor. La même année, nous participons au Salon des lieux de tournages – l’ancêtre du Paris Images Production Forum. Finalement, ce qui était à la base un simple stand s’est transformé en un studio, un laboratoire de réflexion et de création de décors écoconçus installé dans le 11ème arrondissement au sein de la plateforme Montcalm Abicène [Ndlr : un espace de travail qui regroupe le Conservatoire européen du costume où l'on recycle les costumes de cinéma, et le Faubourg des films qui propose des bureaux et un plateau de tournage].
Que proposez-vous au sein de cette structure ?
Nous sommes à la fois un lieu de tests, un think tank et un atelier. D’abord, nous testons de nouveaux matériaux et produits écoresponsables qui peuvent servir à fabriquer des décors plus respectueux de l’environnement. Je pense par exemple à la fibre de chanvre habillée pour les feuilles décors [Ndlr : l’assemblage de panneaux de bois et de battants en guise de faux murs sur lesquels est appliquée la matière pour préfigurer le décor : peinture, enduit, papier peint, tissu…] qui permet de créer des parois et des panneaux faciles à manier pour les tournages. Pour les décors en volume, on peut aussi fabriquer des bas-reliefs de briques ou de pavés avec un mélange de toile de lin et d’amidon de riz. Une manière d’éviter l’utilisation du thermoformage, un processus polluant qui consiste à chauffer du plastique PVC. Le studio écofilm accueille également les productions désireuses de se lancer dans une démarche écoresponsable. Ensemble, nous cherchons des solutions pour construire des décors écologiques. Les équipes peuvent construire sur place leurs décors avec les produits et les matériaux que nous proposons, et même tourner certaines scènes sur un plateau de 200m2. Ce plateau accueille aussi les travaux pratiques d’écoles de cinéma, ou encore de stages comme celui d’accompagnateur de décors écoresponsables proposé par la Commission supérieure technique de l’image et du son (CST), en association avec l’INA et Ecoprod. Nous en sommes les référents avec le chef constructeur Philippe Boulenouar et les autres membres d'éco-déco-ciné.De manière générale, nous accompagnons les productions en amont du film, c’est-à-dire dès l’étape du scénario, et en aval, après le tournage. Nous les encourageons à réutiliser les matériaux en s’approvisionnant, par exemple, à la Ressourcerie du cinéma à Montreuil.
Concrètement, comment imaginer un décor écologique lors d’un tournage ?
C’est un processus en quatre étapes : réflexion, viabilité, coût et recyclage. Dans un premier temps, il faut s’intéresser au casting et aux repérages. Combien de comédiens et de techniciens seront présents sur le tournage ? Quand ? Quels décors seront utilisés (naturels, en studios, effets spéciaux…) ? Puis, on joue sur le lieu. Où se passe l’action et surtout comment ? Que fait le corps de l’acteur ? Et que va-t-il falloir lui fournir pour son jeu ? À partir de là, on glisse dans une lecture non plus dans le sens de la narration mais dans celui de la construction de l’environnement du film. Il est facile d’écrire dans un scénario « l’acteur brûle un champ de blé ». Mais concrètement, il va falloir imaginer des solutions écoresponsables, parfois, soyons transparents, assez coûteuses. En fonction des moyens alloués à la production, il nous arrive de préconiser des changements dans la scène. Ensuite, en aval, nous accompagnons les équipes dans une démarche d’économie circulaire. « Nous avons un camion avec 28 tonnes de sable. Que peut-on en faire ? », nous a déjà demandé une production en fin de tournage. Elle n'y avait pas réfléchi avant l'achat. Ce sable peut pourtant servir à d'autres équipes. Nous allons donc le récupérer pour le recycler avec l’aide de la Ressourcerie du cinéma. Pour l‘instant, l’économie circulaire dans le secteur est plutôt triangulaire : les grosses productions sont davantage preneuses de solutions en fin de tournage et les plus petites en amont.
Quelles sont les nouvelles avancées en matière de décors écoresponsables ?
Nous avons testé récemment des panneaux rigides fabriqués à partir de fibres de vêtements qui peuvent remplacer le bois et servir de revêtements à la feuille décor. Cette « couverture rigide » permet aussi de fabriquer du volume. Elle est très facile à « krafter », c’est-à-dire à y coller un revêtement décoratif papier et ensuite à le texturer. Pour 50 % des constructions de décors, on pourrait utiliser ce matériel et préserver ainsi le « bois d’arbre ». Aujourd’hui, l’une des grandes préoccupations concerne la logistique et le transport par camion des décors et des meubles. Louer des véhicules à batterie ou convertir ceux à essence en bioéthanol seraient des solutions à envisager, mais nous en sommes encore loin. Je ne vois pas de mesures prises en ce sens pour le moment. Je travaille dans la décoration depuis quatre décennies. J’ai traversé plusieurs époques professionnelles, notamment celle où nous achetions du neuf et de l’éphémère en permanence, puis celle, désormais, où nous fonctionnons à flux tendu, confrontés à une raréfaction des loueurs et des fournisseurs. J’ai également connu des collègues qui ont souffert de pathologies respiratoires ou allergiques. Il ne faut pas oublier que notre métier se rapproche de ceux du bâtiment. C’est pourquoi j’ai banni l’utilisation de toute forme de résine par exemple. Ces évolutions couplées à la volonté de rester en bonne santé ont renforcé ma conscience écologique, notamment l’envie de faire mieux avec moins.