Quelle a été votre implication sur Les Gardiennes de la planète ?
J’ai mis en place la production exécutive pour les tournages sous-marins en Bretagne et en Méditerranée. Principalement pour en tirer des ambiances, des pelures… Il ne s’agissait pas spécifiquement de filmer des baleines – même si j’ai de l’expérience dans ce domaine – mais de créer des décors. De simuler, par exemple, des souffles de baleine.
C’est-à-dire ?
Quand les baleines à bosse chassent, elles chassent en « bubble net », en filets à bulle : avec leur rythme d’expiration très particulier, elles entourent un banc de poissons comme un filet pourrait le faire, puis remontent par en dessous pour le manger. Les baleines se déplacent extrêmement vite, cette action est donc impossible à filmer en milieu naturel. Pour avoir assisté à du bubble net, notamment au Groenland, je peux vous dire qu’il est impossible de se mettre à l’eau et de filmer les bulles qui remontent, car soit l’eau n’est pas suffisamment claire, soit les baleines se déplacent trop rapidement – aux alentours de 15 nœuds, c’est-à-dire trente kilomètres à l’heure. Il nous a donc fallu trouver comment reproduire cela : j’ai fini par mettre en place une équipe de sept plongeurs pour qu’ils simulent la courbe de bubble net la plus réaliste possible. C’est un exemple parmi d’autres mais, globalement, il s’agissait de demandes particulièrement spécifiques et techniques.
En Bretagne, du côté d’Ouessant, nous avons tourné dans des courants très forts pour faire comprendre la réalité de la vie d’une baleine, ou du moins s’approcher de cette réalité. Pour moi, c’est sur ce plan-là que Les Gardiennes de la planète réalise pleinement son objectif. C’est le premier film qui approche cette vérité d’aussi près, grâce notamment aux nombreux plans qui nous font partager le point de vue de l’animal. Et c’est parfois plus compliqué à faire que d’aller simplement filmer une baleine !
Quel matériel ces images-là impliquent-elles ?
Du matériel très spécifique. Le choix s’est porté sur des caméras qui tournent en 8K, des RED Helium. Depuis la création de Bluearth Production, je travaille en lien avec les industries techniques pour le développement de ces outils. Car derrière les images, il y a tout un développement industriel.
Justement, quelles ont été les grandes évolutions techniques des tournages documentaires sous-marins depuis un film comme Océans, en 2009 ?
D’abord, l’autonomie en termes de rushes. Océans a effectivement été un film charnière. Le film a commencé à être tourné en 35 mm, ce qui signifie des temps de cadrage utiles de trois minutes, parce que les bobines ne permettaient pas de tourner plus longtemps sous l’eau. Et, quand on connaît l’implication en termes de temps d’un tournage sous-marin, trois minutes utiles, c’est vraiment très peu. Dès lors qu’on a commencé à tourner en numérique, on a augmenté drastiquement les temps utiles de tournage. Quand on plonge pour deux heures et demie, trois heures, on sait aujourd’hui qu’on va pouvoir ramener une heure de rushes. Autre évolution décisive : la résolution. Aujourd’hui, on peut étalonner un fichier en postproduction alors qu’avant il fallait estimer la profondeur, la qualité d’eau et la couleur de l’eau dans laquelle on allait tourner. Ça impliquait des réglages extrêmement chronophages qui demandaient une énorme expertise. Désormais, un étalonneur, avec les conseils d’un opérateur expérimenté, va vraiment pouvoir travailler son signal et en tirer le maximum. Enfin, la dernière grande évolution concerne la sensibilité. Les caméras peuvent maintenant filmer des choses qui étaient impossibles avant. Concernant les baleines, quand il s’agit de tourner dans des zones au-dessus du cercle polaire, avec des luminosités sous-marines extrêmement faibles, beaucoup de plans étaient infaisables. On pouvait voir éventuellement à l’œil nu des actions sous-marines, mais on ne pouvait pas en ramener d’images à la surface.
De quelle manière l’écoresponsabilité de tels tournages a-t-elle évolué au fil du temps ?
Je la mets en avant sur tous mes tournages en tant que producteur. L’un des points essentiels concernant Les Gardiennes de la planète a été le fait que le réalisateur Jean-Albert Lièvre a eu recours à des opérateurs locaux. Ça a donc forcément réduit les déplacements des équipes. Il faut savoir que dès lors qu’on met une équipe dans un bateau, on consomme beaucoup de carburant : la question des repérages est donc essentielle. Cela dit, quand on filme dans des zones vraiment reculées, le tournage va forcément coûter en termes de bilan carbone. Mais il faut aussi garder en tête que certains projets vont avoir une plus-value en termes de prise de conscience environnementale. Un exemple : le poème qui a inspiré Les Gardiennes de la planète, Whale Nation de Heathcote Williams, a également inspiré la création du mouvement Greenpeace ! J’ai moi-même une fibre environnementale très forte. Avant d’être cinéaste sous-marin, je suis biologiste sous-marin et écologue de formation. Que ce soit pour les tournages de fiction ou les documentaires, je compense systématiquement le coût carbone de mes projets.
Que représente un film comme Les Gardiennes de la planète à vos yeux ?
Je n’aurais pas pu imaginer une telle réussite ! C’est un film réussi autant sur le plan cinématographique qu’environnementaliste. C’est propre à Jean-Albert Lièvre, un réalisateur d’un talent exceptionnel – d’autant plus remarquable qu’il n’est pas un plongeur émérite ! Mais il a été profondément touché par une rencontre privilégiée avec une baleine lors d’un tournage d’Ushuaïa. De cette rencontre est né ce film : un très bel apport au cinéma documentaire animalier, mais aussi au cinéma en général.
Les Gardiennes de la planète
Raconté par Jean Dujardin
Photographie : Nedjma Berder
Montage : Cécile Husson
Production : Bien Sûr Productions, Le Collectif 64, WLP, JD Prod, Echo Studio, Wild Bunch International
Distribution : Pan Distribution
Sortie en salles le 22 février 2023