C’est une de ces histoires qui font le sel et la légende du 7e art. Un film de fin d’études japonais tourné pour une poignée de yens qui, fort de son inattendu succès planétaire, connaît une deuxième vie grâce à un remake français accueilli en ouverture à Cannes par le plus grand festival du monde. Une aventure qu’aucun scénariste n’aurait évidemment osé imaginer !
Tout commence en 2017. Alors étudiant en école de cinéma, Shin’ichirô Ueda réunit des élèves d’une école d’art dramatique de Tokyo pour tourner son film de fin d’études, Ne coupez pas !, un long métrage bâti sur un concept d’une efficacité imparable. D’abord un film de zombies où l’amateurisme semble régner en maître de chaque côté de la caméra. Puis, les coulisses de sa production et enfin le making-of de son tournage qui éclaire sous un autre angle les deux aspects précédents. Sans doute épatée par le résultat, l’école de cinéma décide d’organiser pendant une semaine une projection de Ne coupez pas ! hors de ses murs, dans une petite salle art et essai de Tokyo. Le bouche-à-oreille enthousiaste provoque des files d’attente, et, dans la foulée, Ne coupez pas ! est projeté sur plus de 300 écrans à travers le pays. Après un accueil triomphal au festival du cinéma asiatique organisé dans la ville italienne d’Udine, le film démarre une carrière internationale. Tourné pour seulement 27 000 dollars, Ne coupez pas !, disponible sur la plateforme de SVOD FILMO, cumule désormais des recettes planétaires qui avoisinent les 30 millions de dollars.
Ne coupez pas ! ne vient pas de nulle part. Pour l’imaginer, Shin’ichirô Ueda s’est inspiré d’une pièce de théâtre, Ghost in the Box. Montée en 2011 par son compatriote Ryoichi Wada, elle s’appuie sur le même jeu entre le film que l’on voit et ses coulisses. Mais ce que Shin’ichirô Ueda ne sait sans doute pas à l’époque, c’est que cette pièce n’est pas non plus une création originale. Pour trouver sa source, il faut remonter trente ans plus tôt, en 1982, et changer de continent. Quitter l’Asie pour l’Europe et plus précisément pour Londres. C’est dans la capitale britannique que le dramaturge Michael Frayn met en scène cette année-là la comédie musicale Noises Off, inspirée par ce qu’il a vécu dix ans plus tôt lors de la création plus que mouvementée d’une autre de ses œuvres, The Two of Us, interprétée par le duo Richard Briers-Lynn Redgrave. Preuve de son efficacité imparable, Noises Off s’exporte la même année en France sous le titre En sourdine… les sardines dans une mise en scène de Robert Dhéry, qui y dirige notamment Colette Brosset, Jean-Luc Moreau, Jacques Legras et Gérard Loussine.
Dix ans plus tard, Peter Bogdanovich offre une nouvelle vie à Noises Off en tournant son adaptation, Bruits de coulisses, avec Michael Caine et Christopher Reeve en haut de l’affiche. Bruits de coulisses n’est jamais sorti en France. Il faut attendre 2003 pour le découvrir en DVD. Ne coupez pas !, par contre, a bel et bien connu une distribution française en 2019, mais n’a pas dépassé les 2000 entrées. Son remake français signé Michel Hazanavicius devrait, de fait, lui offrir une nouvelle visibilité.
L’existence de ce remake, on la doit à Wild Bunch qui en a acquis les droits avant que, lors d’un échange impromptu, son président, Vincent Maraval, n’en parle à Michel Hazanavicius. Le sujet le séduit immédiatement. « Je travaillais depuis un petit moment sur l’écriture d’une comédie centrée sur un tournage, raconte le cinéaste. L’histoire d’un réalisateur confronté à tout un tas de galères qu’il résolvait mal et qui en entraînaient d’autres, une compilation de plein de souvenirs personnels et de choses que j’ai pu entendre. Comme dans le film de Shin’ichirô Ueda, un plan-séquence devait tenir un rôle essentiel. » Après le visionnage de Ne coupez pas !, le réalisateur accepte sans la moindre hésitation la proposition de Maraval d’en signer le remake. « La construction brillante du scénario original allait me permettre de développer plein de choses que j’avais envie de raconter et l’humeur générale du film correspondait pile à ce dont j’avais envie. »
Pour l’écrire, il conserve la même structure en trois parties mais apporte plusieurs modifications significatives. « J’ai joué avec le fait que le film qui se tourne est un remake et, par ricochet, avec les rapports entre les Japonais qui le commanditent et les Français qui le tournent. J’ai aussi rajouté le personnage du compositeur de la BO du film, pour faire grossir les corps de métier présents. Et forcément, j’ai également modifié les blagues car l’humour diffère entre le Japon et la France. Même si par son budget (4 millions d’euros), Coupez ! diffère forcément de ce petit miracle nippon tourné en huit jours sans argent, j’ai essayé de préserver ce qui en constitue l’essentiel à mes yeux : son énergie. » Le résultat, accompagné par une bande originale signée Alexandre Desplat, est visible ce mardi 17 mai, dans la foulée de la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes, présentée par Virginie Efira.
Coupez !
Scénario : Michel Hazanavicius, d’après Ne coupez pas ! de Shin’ichirô Ueda
Photographie : Jonathan Ricquebourg
Montage : Mickael Dumontier
Musique : Alexandre Desplat
Production : Getaway Films, La Classe Américaine, Gaga Corporation, SK Global, Bluelight, France 2 Cinéma
Distribution : Pan Distribution
Ventes internationales : Wild Bunch