Née à Casablanca d’un père marocain et d’une mère française, Sofia Alaoui a le goût du voyage et de la découverte chevillés au corps. Dès l’âge de 5 ans, la voilà installée en Chine, où son père vient d’être muté. La famille y restera six ans. « C’est un pays où l’on vivait en côtoyant un grand nombre de nationalités. On voyageait beaucoup, et c’est là que j’ai commencé à avoir envie de faire des films », se souvient la jeune femme de 28 ans. Des films de vacances, pour commencer, puis de petites fictions tournées avec ses amis.
Cette envie de cinéma ne la quittera plus. « Quand je suis rentrée au Maroc, à l’adolescence, j’ai continué sans me poser de questions sur ce que je voulais faire de ma vie : j’avais trouvé. » A 18 ans, Sofia Alaoui quitte le Maroc pour la France, où elle suit diverses formations (ESEC, EICAR). Un cursus qui ne la satisfera pas totalement. « Ce qui m’intéressait quand je faisais de petits films, c’était travailler les personnages et l’écriture. Dans ces écoles, la formation était très technique ; dans le fond, ce n’était pas ce que je recherchais. »
En revanche, suivre par correspondance des formations d’écriture scénaristique et lire de nombreux scénarios la confortent dans son attrait pour l’écriture. « Ce que j’aime, c’est écrire et réaliser. Ce sont deux casquettes différentes, mais je ne peux pas concevoir l’écriture sans penser à la mise en scène, et ça me frustrerait d’abandonner mon scénario à quelqu’un, même si je sais qu’aujourd’hui en France on remet en question le côté auteur/réalisateur. »
Après avoir signé plusieurs courts métrages (Kenza des Choux…), Sofia Alaoui, qui vit désormais entre le Maroc et la France, vient de voir son travail récompensé à Sundance. Son court Qu’importe si les bêtes meurent a remporté le Grand Prix du Jury de l’édition 2020 du festival américain, puis a été présenté quelques jours plus tard au Festival de Clermont-Ferrand. Elle nous détaille les conditions dans lesquelles a été conçue cette fiction mêlant éléments réalistes et fantastiques, dans laquelle un jeune berger des hautes montagnes de l’Atlas arrive dans un village et découvre que celui-ci est déserté à cause d’un curieux événement qui a bouleversé les croyants.
Comment est née l’idée de « Qu’importe si les bêtes meurent » ?
Les projets naissent toujours d’une combinaison de plusieurs éléments.
A côté de ça, j’étais revenue vivre au Maroc depuis plusieurs années et je trouvais que j’étais dans une société quand même très dogmatique dans son ensemble, notamment en matière de religion. Je me considère comme quelqu’un de plutôt spirituel, mais je trouvais que la société ne se questionnait pas assez intérieurement et nous imposait une manière de faire : soit tu es avec eux, soit tu es contre eux.
L’idée de ce court métrage, c’était donc ça : comment pourrai-je utiliser la figure de l’alien pour questionner la société dans laquelle je vis ?
Pourquoi avoir opté pour le court métrage ?
A l’origine, c’était une idée de long métrage. Mais je ne l’avais jamais développée parce qu’il n’aurait pas été envisageable que je fasse un long métrage sans passer par un court. Le court métrage, pour moi, est vraiment une étape, une manière d’apprendre à se connaître. Les court que j’ai écrits et réalisés avant celui-là, je ne les déteste pas mais je ne les revendique pas particulièrement non plus. C’est de l’entraînement, un apprentissage, pour mûrir personnellement. Par contre, maintenant, je vais travailler sur l’adaptation de cette histoire en long métrage.
Comment avez-vous réfléchi à l’aspect visuel et esthétique du film ?
Dans l’écriture, j’aime beaucoup détailler les scènes, les crépuscules, les aubes… Il y avait, dans le scénario, des ambitions visuelles fortes.
Vous avez tourné avec des acteurs non professionnels. Pourquoi ?
C’était une vraie volonté de ma part. Je voulais être dans quelque chose de plus authentique et simple qu’avec des acteurs professionnels. Retrouver des sensations que j’avais pu avoir en tournant des documentaires. Concernant le casting… Il n’y en a pas eu ! Je cherchais d’abord un village, et puis on a pris des gens du village pour jouer. Je buvais un thé et j’ai rencontré mon acteur principal qui travaillait dans un petit café. Quant au personnage du « fou du village »… J’ai galéré puis on a vu un homme qui mendiait dans la rue, était un peu perché, illuminé. C’était lui, même s’il était compliqué à gérer !
Comment s’est déroulé le tournage ?
Il a été très compliqué ! je n’avais jamais expérimenté un tournage comme celui-là, à 8h de route de Casablanca, sans connexion téléphonique. Le Maroc n’accueille pas beaucoup de courts métrages, il est donc difficile de trouver les moyens et les personnes compétentes. Moi je réalisais le film, je le coproduisais, je faisais la production exécutive… Et j’ai été confrontée à des personnes pas très sérieuses, à certains postes. J’ai donc dû faire plusieurs jobs en même temps, m’occuper parfois de la régie, faire la déco… Idem pour mon chef opérateur et mon assistante réal ! Nous avons au total eu 6 jours de tournage. C’était très intense.
Pourquoi avoir voulu coproduire le film ?
J’ai monté ma société de production car je savais que je devais lever de l’argent au Centre cinématographique marocain, et je n’avais pas envie de devoir compter sur quelqu’un – l’aide du CNC est arrivée ensuite en sauveur, alors que j’étais déjà en préparation du tournage. Le film est coproduit par Margaux Lorier pour la société Envie de tempête.
Quel regard portez-vous sur le cinéma marocain ?
J’ai l’impression qu’il est en bonne forme, chaque année un film marocain est en compétition dans un grand festival. En 2019 à Cannes, il y avait Alaa Eddine Aljem et Maryam Touzani. Cette année j’espère que Leïla Kilani y sera avec son second film. Il y a une nouvelle vague de cinéastes qui émerge et c’est très encourageant. On est en train de fonder d’ailleurs avec Hind Bensari, une réalisatrice de documentaires au Maroc, un collectif d’auteurs marocains qui cherchent à bousculer les codes et qui ont une même vision du cinéma. Mais si je dois porter un regard plus critique, je dirai que je regrette qu’il n’y ait pas de meilleure stratégie de diffusion des films marocains, notamment ceux qui se revendiquent en Europe comme très engagés. Car à mon sens faire du cinéma marocain c’est aussi être sensible à sa diffusion. Moi j’habite au Maroc, les places de cinéma coûtent très cher par rapport au salaire moyen. C’est dommage de faire du cinéma dit engagé qui parle de son pays pour finalement être vu principalement par les Occidentaux.
Qu’importe si les bêtes meurent a été soutenu par le CNC.