Décryptage : comment accompagner les tournages aquatiques ?

Décryptage : comment accompagner les tournages aquatiques ?

09 février 2024
Cinéma
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Denis Lagrange
Denis Lagrange sur le terrain Denis Lagrange

Spécialisé dans les tournages en milieu marin et sous-marin, le réalisateur et chef opérateur Denis Lagrange explique les enjeux d’un métier qui allie passion, technologie, sécurité, écologie et désir d’aventures.


Comment se spécialise-t-on dans les tournages marins et sous-marins ?

J’ai réalisé ma première photographie sous-marine à l’âge de 10 ans. Je vivais alors en Polynésie française, ma mère m’avait transmis le virus de la photo. L’endroit de cette prise de vues est baptisé Rangiroa, c’est un magnifique lagon tahitien. De retour en métropole, j’ai gardé le virus de la plongée et validé tous mes diplômes. Pour autant, mes études m’ont entraîné ailleurs. En 1999, j’ai démissionné d’un poste de contrôleur de gestion pour rejoindre Tahiti et ce fameux lagon. Je m’étais juré secrètement d’y revenir un jour pour allier mes deux passions, la plongée et la photographie. Un ami venait justement d’y ouvrir un club de plongée et il m’a proposé de réaliser des films-souvenirs pour les touristes. Je me suis donc acheté une petite caméra, un ordinateur, un transcodeur pour adapter le format de mes images aux clients qui venaient des quatre coins du globe, et je suis parti. Rangiroa était alors très connu pour sa forte présence de requins. Ma chance est d’avoir fait mon service militaire comme plongeur en Martinique et d’avoir eu accès à un matériel de prises de vues à la pointe. Déjà à l’époque, les premiers systèmes de recycleur à circuits fermés permettaient au plongeur de ne pas produire de bulles. Précisons d’ailleurs qu’aucun animal marin ne fait des bulles sauf s’il se sent agressé. Si vous arrivez à ne pas en faire vous-même, vous pouvez approcher les mammifères marins plus facilement. J’ai été l’un des premiers à savoir me servir correctement de ce type de matériel. Très vite, j’ai été contacté par des équipes de tournage.

J’accompagne les productions en tant que chef opérateur dans leurs prises de vues sous-marines, notamment en leur fournissant l’équipement adapté (caissons sous-marins, éclairages, bateaux...). En parallèle, je gère aussi la production exécutive des tournages.

Comment définir ce domaine d’activité ?

Encore aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’image marine et sous-marine reste une niche. Il faut savoir dialoguer avec des commanditaires qui ne connaissent pas forcément tous les paramètres en jeu. Ce qui est tout à fait logique. J’ai souvent entendu cette réflexion : « Ce que l’on peut faire sur terre, on ne peut pas le faire sous l’eau ! » Mon rôle est justement d’innover et de proposer des solutions, d’inventer des outils de prises de vues. J’ai créé il y a plusieurs années ma propre société pour les tournages, Aloha production, basée en Polynésie française. Je possède un bateau spécialement équipé pour les tournages avec une mise à l’eau au ras de l’eau, la possibilité de monter sur la cabine pour repérer les baleines, la fixation de palans afin de mettre à l’eau des caissons de 15 kg…

Que proposez-vous aux équipes de tournage ?

Je les accompagne en tant que chef opérateur dans leurs prises de vues sous-marines, notamment en leur fournissant l’équipement adapté comme les caissons sous-marins – j’en possède dix –, mais aussi les éclairages et les bateaux. En parallèle, je gère aussi la production exécutive des tournages (documentaire animalier, fiction, publicité…). Les sociétés de production me contactent et m’expliquent ce qu’elles souhaitent comme images. J’organise alors l’aspect logistique : réservations d’hôtel, organisation des différents transferts, demande des permis de tourner… En Polynésie, par exemple, il faut des autorisations spécifiques pour filmer certaines espèces protégées… Et quand parfois, les tournages nécessitent des prises de vues aériennes, il faut aller chercher les bons pilotes, ceux respectueux des consignes de sécurité…

Comment travaillez-vous concrètement ?

Je travaille différemment sur un documentaire animalier que sur une fiction. Concernant un « animalier », parfois la production n’envoie pas de techniciens sur place et me laisse m’occuper des prises de vues à partir d’un story-board, voire d’un descriptif de certaines séquences… À moi de réunir une équipe en fonction du budget et de la charge de travail. Mes clients sont souvent anglo-saxons. Je suis en lien avec ce qu’ils appellent le « producer » qui cumule à la fois les fonctions de réalisateur et de producteur.

Avec combien de personnes travaillez-vous pour un tournage de documentaire ?

Tout dépend. Je viens, par exemple, d’achever une série de cinq tournages étalés sur deux ans… À chaque fois, les équipes étaient composées d’un capitaine, d’une superviseuse de la sécurité, d’un plongeur et de moi-même. Pour les tournages à très gros budget, les productions dépêchent sur place leurs propres équipes… Mais de manière générale, en Polynésie ou dans le sud de la France, j’essaie de faire travailler des techniciens locaux.

J’ai souvent entendu cette réflexion : « Ce que l’on peut faire sur terre, on ne peut pas le faire sous l’eau ! » Mon rôle est justement d’innover et de proposer des solutions, d’inventer des outils de prises de vues.

De son côté, comment se déroule un tournage de fiction ?

Je travaille souvent sur de petites séquences dans lesquelles un personnage tombe à l’eau ou nage en surface… Ce qui paraît simple sur le papier, mais dans les faits nécessite de bien connaître les différents paramètres techniques et optiques. Prenez une séquence avec des comédiens qui parlent avec la moitié du corps immergé… Si vous utilisez un « splash bag », un sac étanche dans lequel vous mettez la caméra, l’objectif de l’appareil de prises de vues sera placé devant un verre plan afin d’avoir le moins de déformation possible dans l’eau. Pour autant, un déplacement de l’appareil vers la surface entraîne inévitablement un changement de focale. Sous l’eau, la focale de la caméra est multipliée par 1,3. Visuellement, les proportions du corps du comédien vont donc bouger entre la partie à l’air libre et celle dans l’eau. Pour éviter la déformation, on utilise un caisson avec un dôme. Mais là encore, on peut être confronté à un autre problème : la netteté. Si je fais le point sur le visage, le reste du corps va être flou… Il faut donc que j’adapte mon dôme en conséquence. Un tournage en milieu marin ou sous-marin implique de devoir tout planifier. Il faut éviter au maximum les improvisations en amont. C’est seulement une fois que la technique est en place qu’on peut se permettre davantage de liberté.

De quelle manière faites-vous face aux conditions météorologiques ?

En tant que producteur exécutif, je double systématiquement les lieux de prises de vues. Par exemple, tourner dans le sud de la France oblige d’anticiper l’orientation du vent. Vous ne pouvez pas tourner au même endroit avec un vent d’est ou du mistral au risque d’avoir une visibilité quasi nulle. D’autant que votre demande d’autorisation sera gérée par la mairie ou l’ONF [Office national des Forêts] selon l’endroit où vous tournez.

Vous ne travaillez qu’en milieu naturel ?

Non, je travaille d’ailleurs plus en studio qu’en milieu naturel. Ce n’est pas forcément plus simple. Tout est lié à une question de budget. J’ai récemment tourné une publicité dans un bassin adapté en Bulgarie. Les équipes avaient construit le décor d’un appartement dans la fosse. Pour ce film, j’ai employé trois unités sous-marines. Heureusement que je n’étais pas équipé que d’une seule caméra, car chaque changement d’optique m’aurait demandé de sortir systématiquement la caméra du caisson, vérifier la poussière… Une perte de temps considérable.

La sécurité prime toujours sur le film.

Qu’en est-il de la sécurité sur les tournages ?

La sécurité prime toujours sur le film. Il y a finalement très peu d’accidents qui surviennent dans l’eau. Les problèmes arrivent si vous ne vous êtes pas suffisamment inquiété du trafic maritime. J’engage systématiquement un superviseur chargé d’encadrer la sécurité de l’équipe. Même en studio, il faut une personne responsable, quelqu’un qui peut vous dire à tout moment combien il y a de personnes dans l’eau, s’assurer que les pieds qui soutiennent l’éclairage sont sécurisés… J’ai l’habitude de travailler avec les mêmes techniciens. Nous partageons une approche identique du métier.

En quoi les considérations écologiques ont-elles modifié votre approche du métier ?

Tout est lié : la sécurité, le respect de l’environnement, la qualité de vos images… Sur un scénario, vous lisez : « Untel saute du bateau. » À partir de ces quelques mots, je pense déjà au décor où le saut pourra avoir lieu, à l’endroit où je vais lâcher mon ancre afin de préserver le fond marin… Mon bateau est contrôlé très régulièrement afin qu’aucune fuite d’huile ne vienne polluer l’eau. Ce n’est pas l’image sous-marine en tant que telle qui est compliquée, c’est tout ce qu’il y a autour… Actuellement, je suis en train de mettre en place un système de fond vert rétroéclairé par un mur de LED afin d’économiser considérablement la consommation d’électricité. Notre métier évolue en permanence.

Denis Lagrange est membre de l’AFC (association française des directrices et directeurs de la photographie).