Toits en zinc, bâtiments haussmanniens, bouche de métro Art déco… Nous ne sommes pas sur les Grands Boulevards, à Montmartre ou Belleville, mais à Maisoncelles-en-Brie, en Seine-et-Marne, à une petite cinquantaine de kilomètres de Paris. C’est là, tout près de l’aérodrome de Coulommiers-Voisins, sur une ancienne base militaire de l’Otan que l’entreprise TSF, spécialisée dans la location de matériels pour les tournages, a construit le backlot Rues de Paris. Ces décors de cinéma à ciel ouvert, uniques en France, qui reconstituent en taille réelle les rues de la capitale, ont été inaugurés par la ministre de la Culture, Rachida Dati, le 2 octobre. C’est ici aussi que Zinedine Zidane a porté la flamme olympique pour tourner, dans le plus grand secret, une séquence du clip de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris 2024, diffusée fin juillet par France Télévisions dans le monde entier.
Ce Paris plus vrai que nature a été érigé sur 1,5 hectare au sein d’un site qui en comprend 50, au milieu des champs, « en seulement 12 mois », souligne Thierry de Segonzac. Un projet que le président et fondateur de TSF nourrissait depuis une vingtaine d’années. « Il existait des backlots un peu partout dans le monde, notamment en Europe de l’Est, sauf en France, qui est pourtant le premier pays européen producteur de films, rappelle celui qui fut à la tête de la FICAM (Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia) durant quinze ans et qui a présidé le Pôle Media Grand Paris jusqu'en 2019. Malgré l’offre de studios de tournage dans notre pays et la mise en place des crédits d’impôt audiovisuel, cinéma et international, les productions nationales et étrangères dont les films nécessitaient un backlot important continuaient de se délocaliser. Durant des années, j’ai cherché le site idéal préservé du bruit, de l’urbanisation et financièrement soutenable. Ce lieu devait aussi pouvoir accueillir le programme de studios que nous développons en parallèle ». Le backlot est en effet la première phase du projet TSF Studios 77 qui comprendra, à l’horizon 2026, 12 plateaux de tournage ainsi que 14 ateliers et zones de stockage.
Un chantier France 2030
Quand TSF repère cette ancienne base aérienne et souhaite l’acquérir, assuré du soutien de l’ancien maire de la ville, Franck Riester, ex-ministre de la Culture et à ce moment-là ministre du Commerce extérieur, l’appel à projets La Grande Fabrique de l’image vient d’être lancé. Ce volet du plan de relance France 2030 dédié au cinéma et à la filière animée, déployé par le Secrétariat général pour l’investissement, est opéré pour le compte de l’État par le CNC et la Caisse des dépôts. « France 2030 nous promettait un soutien significatif si nous étions innovants avec une empreinte environnementale exemplaire », indique Thierry de Segonzac. Son apport représente près de 15 % du budget global de TSF Studios 77, chiffré à 98 millions d’euros, dont 20 millions d’euros pour les décors parisiens. « Associée à la capacité d’autofinancement de TSF qui s’élevait à 20 %, l’aide de France 2030 nous a permis de trouver un soutien bancaire auprès de nos partenaires financiers, l’IFCIC, BPI Île-de-France et Natixis-Coficiné, puis de lancer la construction du backlot ».
Le coup d’envoi est donné à l’été 2023. C’est au chef décorateur, Johann George, et à ses équipes, qu’est confiée la mission de dessiner ce faux Paris avec l’objectif de répondre à la demande nationale et internationale de tournages dans la Ville Lumière sans en subir les contraintes (nuisances sonores, gêne pour les riverains et commerçants, respect des impératifs de sécurité…) « Ici les productions peuvent tourner en silence ou au contraire réaliser des scènes bruyantes, voire dangereuses, interdites sur la voie publique ».
Le backlot reproduit l’architecture typique des quartiers parisiens, du Paris haussmannien au Paris industriel du Xe arrondissement en passant par Montmartre ou Ménilmontant. Ces décors, qui dessinent un Paris du XIXe siècle à nos jours, s’étendent sur 730 mètres de façades, 650 mètres de chaussées et 172 mètres de boulevard. Tout est modulable selon les besoins des productions : un hôtel particulier peut se transformer en ambassade, une porte cochère en porche de ministère, en entrée d’hôpital ou en passage du VIIe arrondissement… Et même la bouche de métro peut être métamorphosée en blockhaus ou recouverte et convertie en place de marché. « Les productions peuvent utiliser ces décors directement ou les adapter à leurs envies, leurs scénarios et leurs impératifs d’époque. Elles peuvent les modifier et créer des extensions », explique Thierry de Segonzac. « Dans les métiers des industries techniques et des studios, c’est généralement l’œuvre qui dicte la demande. Les moyens et décors sont créés pour une production ou un besoin particulier. Là c’est l’inverse, observe-t-il, d’où l’obligation de proposer des décors neutres et atemporels. »
Pas de marquage au sol ni de faux pavés mais du bitume. Les équipes sont libres d’y ajouter un revêtement (dalles, sable, gravier…) « Le défi a été de construire ces décors à un niveau de coût qui permette à un producteur de pouvoir y tourner sans que cela ne lui revienne plus cher qu’un tournage en décor naturel. Mais en lui permettant de faire beaucoup plus de choses, analyse Thierry de Segonzac. C’est la clé de ce backlot. Et c’est la performance que nous avons pu atteindre avec Yann Arnaud, le producteur exécutif du projet, Johann George, le chef décorateur, ainsi que notre architecte Philippe Giroux et TACHAU BTP qui ont réalisé le gros-œuvre et les structures, poursuit-il. Ce backlot est destiné autant aux productions étrangères que françaises. Il n’y aura pas de discrimination financière, notamment pour les productions indépendantes françaises qui relèvent de l’annexe 3 ou produisent des courts métrages. Nous travaillons sur une grille tarifaire adaptée à ce type de productions. En contrepartie, nous leur demanderons un peu de souplesse en termes de planification des tournages ».
57 façades, 592 fenêtres, 47 portes
Les décors ont été fabriqués sur place, à quelques pas de là, dans deux ateliers, l’un dédié à la menuiserie et au prémontage des installations, l’autre à la serrurerie, à la peinture et à la sculpture des éléments. C’est entre ces murs que les 57 façades, 592 fenêtres et 47 portes du backlot parisien ont été créées. Les équipes ont construit et moulé les décors sur la base de plans et de photographies d’immeubles. Toutes les façades, qui ont été volontairement salies et vieillies pour donner un aspect plus vrai que nature à ce Paris mondialement connu, sont en staff montées sur des structures de bois. « Les matériaux utilisés, notamment par les staffeurs, sont biosourcés et durables. Il y a très peu d’acier, explique Thierry de Segonzac. Le principe même du backlot est éco-responsable. Il permet de modifier les décors et de ne pas les démolir. Un avantage qui fait économiser en même temps à la production la démolition. Celle-ci représente au minimum 25 % du budget décoration. Nous garantissons de préserver les droits des producteurs sur les décors qu’ils seraient amenés à construire en permettant à d’autres, par exemple, de les modifier partiellement pour que ceux-ci ne soient pas reconnaissables ». Démontables, stockables et recyclables, les décors ont été conçus pour durer une quinzaine d’années. « Nous avons veillé à avoir une empreinte carbone la plus basse possible. Ce sera également le cas pour nos studios », ajoute le président de TSF. « Les plateaux de tournage seront chauffés par des pompes à chaleur et refroidis par des puits canadiens enfouis sous terre. Les toits seront équipés de panneaux photovoltaïques qui permettront de produire 2 mégawatts de puissance électrique ». Pendant cette deuxième phase du projet qui doit être lancée début 2025, TSF a également prévu de créer une matériauthèque qui permettra aux producteurs de se fournir sur place en éléments de décors et matériaux éco-responsables.
Trente staffeurs ont œuvré de concert – une première en France – sur le backlot parisien. Ils font partie de l’armée de petites mains et d’artisans (dessinateurs, chefs constructeurs, serruriers, menuisiers, peintres, machinistes…) qui ont contribué à édifier ce faux Paris. Au total, 140 personnes du côté des équipes décoration et une quarantaine concernant les équipes de construction et BTP, dont la plupart viennent de Seine-et-Marne. « Un tournage rassemble généralement entre 50 et 200 techniciens, sans compter les équipes déco qui travaillent sur le site avant l’arrivée des productions. En termes d’emploi, nous estimons que 300 salariés intermittents environ vont se relayer sur les projets en tournage et en développement au sein du backlot, soutient Thierry de Segonzac qui envisage d’intégrer des étudiants en section déco dans les ateliers. Ce chiffre va augmenter une fois les studios livrés. Ajoutons le recours aux prestataires de matériels, à la restauration, à l’hôtellerie… ». Des retombées économiques directes et indirectes pour le territoire seine-et-marnais et son bassin d’emploi.
Une vue dégagée à 360°
Le programme de TSF ne se limite pas aux décors parisiens. Outre les studios qui verront le jour sur une dizaine d’hectares, le site de Maisoncelles-en-Brie offre également un vaste terrain de jeu de 30 ha aux productions pour y tourner leurs films. « Avec une vue dégagée à 360° sur des terres agricoles sans bruit ni pollution visuelle », rapporte Thierry de Segonzac. Il y a quelques mois, trois scènes de batailles de la série The Walking Dead, supposées se dérouler au Mont-Saint-Michel, ont été tournées sur cette gigantesque surface. « Les productions peuvent y créer de nouveaux décors. Nous avons réalisé, par exemple, une amorce de la butte Montmartre. Libre à une équipe de l’enrichir en édifiant des immeubles ». Thierry de Segonzac rappelle par ailleurs que « le site est facilement accessible. Il se situe à contre-courant du trafic habituel et de ses embouteillages à une quarantaine de minutes en voiture de la capitale. Les productions peuvent utiliser les transports en commun ou faire du covoiturage. Elles ont également la possibilité de se loger dans les environs dans des bungalows à 3 kilomètres du backlot ou à l’hôtel dont certains se trouvent à une dizaine de minutes du site ».
Parmi les projets annoncés prochainement, un long métrage qui se déroule pendant la guerre de 14-18, deux autres dont l’action se situe autour de 1940, mais également des films publicitaires ou de courtes séries. « Des productions françaises envisageraient de s’établir durablement dans certains espaces du backlot. La BBC songerait également à y implanter deux séries au deuxième semestre 2025. À ce stade, nous en sommes principalement aux phases de consultation, mais le backlot suscite de la curiosité et de l’enthousiasme de la part des professionnels ». TSF a développé un outil qui permet aux productions venues visiter le site de visualiser en 3D les plans du backlot. L’objectif : les aider à se projeter et à imaginer la façon dont elles pourraient implanter un tournage, ici, dans ce « Cineccità à la française ».