D’où naît l’envie de raconter cette histoire d’amour cachée entre deux retraitées septuagénaires, Nina et Madeleine ?
Filippo Meneghetti : Dans ma jeunesse, j’ai été témoin de situations similaires qui m’ont marqué. Elles concernaient des personnes qui ont énormément compté pour moi car elles m’ont donné le goût du cinéma. Et je m’étais toujours dit que si, un jour, je faisais un film, je leur rendrais hommage. Deux ne raconte pas précisément leur histoire, mais me permet par ricochet de leur rendre un peu de ce qu’elles ont pu me donner. Mais je dois le vrai point de départ à un ami qui, un jour, m’a parlé de ses deux voisines de l’étage du dessus qui, tout juste veuves, laissaient leurs portes ouvertes entre les deux appartements pour se sentir moins seules. Cette anecdote a fait son chemin dans ma tête. D’autant plus que dans notre société obsédée par la jeunesse et la perfection des corps, l’envie de raconter une histoire autour de personnages d’un certain âge me taraudait.
Dans la plupart des films évoquant un coming out, ce sont des homosexuels plus jeunes qui n’osent pas se confier à leurs parents ou grands-parents. Or vous, vous avez choisi d’inverser la donne. C’est Madeleine qui n’ose pas parler de son amour pour Nina à ses enfants…
S’il n’est jamais évident pour un ado de faire son coming out, il me paraît évident que ça doit être encore plus difficile pour quelqu’un, comme Nina, qui a déjà un long vécu amoureux hétérosexuel et des enfants. Et puis, j’ai le sentiment que l’évolution des mentalités sur ce sujet n’est pas vraiment linéaire. Avec ma coscénariste Malysone Bovorasmy, on a écrit Deux en plein cœur des manifestations contre le mariage pour tous. Ce qui a d’ailleurs constitué pour nous un élément de motivation. Car on constatait concrètement que le sujet que nous étions en train d’aborder n’était absolument pas réglé dans la société française. Dans la rue, on retrouvait autant de gens jeunes que de gens âgés. La tolérance n’a rien à voir avec l’âge. Me lancer dans ce film était donc aussi un moyen de mieux comprendre ce type de réactions qui me sont a priori étrangères.
Mais vous le racontez en mêlant les genres. Deux est à la fois un film sociétal, un drame familial et il évolue même dans une ambiance de cinéma fantastique quand, après l’AVC de Madeleine, Nina semble prête à tout pour écarter ceux qui l’empêchent de passer du temps avec elle…
Dès le départ, je savais que je voulais tourner cet apparent mélodrame comme un thriller. Parce que j’aime le cinéma de genre comme spectateur. Mais aussi parce que je ne voulais pas raconter une histoire d’amour fleur bleue et enfermer le récit dans le réalisme ou le naturalisme. Car quand Nina met tout en branle pour retrouver cette intimité avec Madeleine après son accident vasculaire, de quoi s’agit-il, sinon d’obsession ? Et quel outil est plus adapté que le thriller et le genre pour raconter ce sentiment dévastateur ?
Comment avez-vous créé cette ambiance angoissante à l’écran avec votre directeur de la photo Aurélien Marra ?
On avait déjà collaboré ensemble sur un court métrage, La Bête, qui était, lui, un pur film de genre, jouant avec les codes du fantastique et du film d’horreur. Sur Deux, l’idée a été de travailler sur les choses qu’on cache pour traduire à l’écran la manière dont cette histoire d’amour est vécue. D’où l’idée de situer une partie de l’action de nuit pour qu’on ne distingue pas parfaitement ce qui se passe. Mais aussi de jouer sur les contradictions comme ce parti-pris de tourner en scope… dans un huis clos. Ce qui nous a permis d’avoir en arrière-plan, bien visibles, des éléments qui viennent contredire ce qui se joue au premier plan. Le décor constitue un personnage essentiel de cette histoire et le scope permettait de le faire exister encore plus et de jouer avec.
Et vous racontez cette histoire riche en rebondissements en seulement 1h30. Cette volonté d’un récit condensé était présente dès l’écriture ?
Mieux que ça. Avant même d’écrire la moindre ligne, je voulais faire un film de 1h20. J’ai donc raté mon pari, vous voyez ! (rires) En tout cas, j’avais envie d’un objet compact et intense. Eviter que le récit se traîne pour ne pas laisser le temps aux spectateurs de prendre ses aises et faire naître l’émotion le plus tard possible et de manière insidieuse, jamais frontale.
Cette émotion tout en subtilité et jamais mièvre, on la doit aussi à vos deux interprètes, Barbara Sukowa et Martine Chevallier. À quel moment avez-vous pensé à elles ?
Je ne pense jamais à des comédiens avant d’écrire un scénario, car s’ils déclinent la proposition, en faire le deuil est toujours délicat. Ce n’est donc qu’au bout de sa deuxième version que j’ai commencé à travailler avec la directrice de casting Brigitte Moidon. Je tenais à avoir deux actrices venues d’univers très différents à l’image de ces deux personnages. Une actrice de cinéma et une actrice de théâtre. Barbara Sukowa - dont j’admire le travail chez Fassbinder, von Trotta, Cronenberg… - m’a tout de suite paru l’interprète idéale pour Nina. Cette égérie d’un cinéma d’auteur international n’a, a priori, rien à faire dans une petite ville du Sud comme Nina qu’elle incarne. Et je voulais que ce soit ce qu’on ressente la première fois que Nina apparaît à l’écran. Quant à Martine Chevallier, c’est Brigitte Moidon qui m’a suggéré son nom. Je suis allé la voir au théâtre et j’ai été ébloui. Je leur suis extrêmement reconnaissant de la confiance qu’elles m’ont faite. Car comme je voulais représenter l’âge de façon honnête, en filmant leurs visages et leurs corps de très près, il fallait trouver des comédiennes qui aient envie de le faire. Barbara et Martine ont eu ce courage et cette audace-là.
Deux, qui ressort le mercredi 19 mai 2021, a reçu l'avance sur recettes avant réalisation et l'aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.