La Nuit du 12 est tiré du livre 18.3 – Une année à la PJ de Pauline Guéna, publié en 2020. Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’adapter à l’écran ?
J’étais tombé sur sa présentation dans la newsletter de Gallimard juste avant sa parution. Il y était question d’enquêteurs, tous hantés par un crime non résolu. Rien de follement original sur le papier, j’en conviens, mais la manière dont tout cela était formulé m’avait intrigué. J’ai donc lu le livre dès qu’il a été publié. Une œuvre très riche car elle raconte le quotidien de nombreux enquêteurs. Mais le déclic est venu des deux derniers chapitres, et encore plus précisément de la phrase qui les ouvre et qu’on retrouve d’ailleurs dans mon film : « À la PJ, on raconte que chaque enquêteur a une histoire qui le hante. » L’envie de relater l’histoire d’une enquête et de l’obsession de celui qui la mène et n’arrive pas à la lâcher est partie de là.
Ce film marque votre retour au polar. Comment avez-vous négocié l’écriture pour trouver une singularité dans un genre qui semble s’épuiser, à force d’être exploité par le cinéma et la télévision ?
D’abord en partant d’un aspect inédit dans mon cinéma : me placer du côté des flics. Après, j’avais évidemment conscience que le polar constitue plus que jamais un terrain ultra-balisé, notamment par les séries. Je me suis donc creusé la tête pour que La Nuit du 12 ne soit pas qu’un film de plus. Pour cela, j’ai pu compter, comme toujours, sur le regard et la complicité de Gilles Marchand. Il a trouvé l’angle pour traiter le récit. Celui d’un cas de féminicide que vont chercher à résoudre des policiers qui sont majoritairement des hommes. On a donc construit La Nuit du 12 comme un questionnement autour de la masculinité dans la police, en nous attachant à faire des rapports hommes-femmes le fil rouge de l’intrigue. C’était certes présent dans le livre, mais jamais mis en avant. Avec Gilles, notre travail a consisté à le faire ressurgir en permanence, sans tomber dans le pensum théorique ni étouffer l’histoire et nos personnages.
En quoi votre duo avec Gilles Marchand a évolué depuis votre première collaboration pour Harry, un ami qui vous veut du bien, il y a vingt-deux ans ?
Nous n’avons jamais eu de méthode particulière. Notre façon de travailler est un peu anarchique. On ne passe pas par le classique synopsis/traitement/traitement détaillé/séquencier/scénario. On entre très vite dans le concret, dans l’écriture de scènes dialoguées. Très tôt, on s’est rendu compte que les choses importantes surgissent à ce moment-là. Une phrase de dialogue peut nous entraîner dans une direction qu’on n’aurait jamais trouvée en adoptant une démarche plus classique. On travaille souvent dans la même pièce, on échange sur des aspects qui n’ont rien à voir avec le film. Puis, chacun devant son ordinateur essaie de s’attaquer à certaines scènes. On se les lit, on en discute puis on rebondit. Ce qui a évolué dans notre travail, c’est le fait d’être devenus, je crois, plus rapides et plus efficaces. Sans doute parce que plus jeunes, on pensait avoir tout notre temps ! (Rires.) Aujourd’hui, on craint moins de dégager certaines idées dès qu’elles ne nous paraissent pas pertinentes.
Dans les premiers instants du film, un carton révèle la conclusion du récit qu’on s’apprête à suivre : cette enquête sur l’assassinat d’une jeune femme brûlée vive en pleine rue ne sera pas résolue. Avez-vous hésité avant d’afficher aussi clairement la couleur ?
On en a évidemment discuté. Mais ce fut assez spontané, car ce qui me séduisait dans cette enquête était précisément le fait de ne pas trouver le coupable. La singularité du film allait donc pouvoir naître aussi de ce parti pris, pour poursuivre dans le sens de la question que vous me posiez plus tôt. Bien sûr, on a toujours des doutes sur la pertinence d’une telle intuition. On est même passés par une version dans laquelle le dernier suspect se révélait être le coupable. Cependant, on a vite compris que le récit ne fonctionnait plus. Essayer des options différentes permet de s’assurer de la validité de votre idée initiale. On en a eu la confirmation au moment où on a commencé à faire lire différentes versions du scénario. Quand l’indication de la non-résolution de l’enquête n’était pas donnée, les lecteurs nous expliquaient leur frustration de ne pas avoir la révélation du coupable. Voilà pourquoi, plutôt que de s’en excuser, on a préféré l’assumer. Et à partir de là, ces retours ont cessé. J’aime le fait qu’il s’agit du personnage d’enquêteur joué par Bastien Bouillon qui le dise en même temps que les mots apparaissent à l’écran. Certes, ce n’est pas logique, mais cela rajoute du romanesque.
La Nuit du 12
Scénario : Dominik Moll et Gilles Marchand d’après 18.3 – Une année à la PJ de Pauline Guéna
Photographie : Patrick Ghiringhelli
Montage : Laurent Rouan
Musique : Olivier Marguerit
Production : Haut et Court et Versus Productions
Distribution : Haut et Court
Ventes internationales : Memento International. Sortie le 13 juillet 2022