Comment est né le festival de Clermont-Ferrand ?
L’histoire est formidable, parce que c’est une histoire d’étudiants. En 1979, de jeunes passionnés de cinéma décident de mettre en avant ce format de film. Très vite, ils montent cet événement qui possède dès le début une saveur très particulière. Particulière parce qu’il est d’abord l’incarnation d’un territoire, celui de Clermont et de sa région. Cette fête du court métrage va très rapidement faire se rencontrer ce territoire et un public local, amenant des gens qui ne venaient pas forcément en salles régulièrement à devenir progressivement des cinéphiles. Il y a, je crois, une relation d’intimité, de conscience critique et de regard aigu sur le cinéma qui s’est créé au cours des 45 éditions du festival.
Vous le voyez dans les cinémas ?
Oui ! Trois générations se sont succédé dans les salles du festival. Il y a deux jours, nous avons organisé une projection pour le jeune public et je voyais 1200 petites têtes qui regardaient par-dessus leur fauteuil ! C’était magnifique. Les chiffres définitifs tomberont après la manifestation, mais je sais déjà que cette année 2023 va être dans le trio de tête de la fréquentation du festival. Clermont-Ferrand, c’est une fête populaire où les cinéphiles, les réalisateurs, les passants se croisent dans une euphorie jubilatoire.
Pour revenir aux origines de Clermont, comment cette idée un peu folle d’un festival de courts métrages est-elle venue aux étudiants dont vous parliez ?
Nous sommes à la fin des années 70 et il y a un intérêt de plus en plus prononcé des jeunes pour le cinéma. C’est aussi une époque où le court métrage est de moins en moins présent en salle. Pendant très longtemps, chaque séance s’ouvrait sur la présentation d’un film court, mais cette habitude s’est perdue et ces étudiants décident alors de « sauver le court métrage ». C’est une volonté militante et totalement conscientisée – et c’est d’ailleurs pour cela que l’association qui gère l’événement a pris ce nom. Il ne faut pas oublier qu’on parle de jeunes, pour qui le film court possède un sens particulier.
C’est-à-dire ?
C’est ce qui permet d’entrer dans le monde du cinéma. C’est, encore aujourd’hui, une industrie indispensable et bon nombre de courts (souvent passés à Clermont-Ferrand) sont un tremplin vers le long métrage. Je pense par exemple aux récents Gagarine ou aux Misérables. Ce furent d’abord des courts, passés chez nous avant de devenir des longs métrages aux succès que l’on connaît. D’ailleurs, nous avons fondé une résidence (Du court au long) qui accompagne des réalisateurs pour leur passage du court métrage vers le long. On le sait : le format court est un lieu d’expérimentations et de tentatives. C’est un espace de création et je crois d’ailleurs que c’est ce qui séduit les spectateurs : le public veut prendre sa part à ces tentatives de cinéma et à cette expérimentation.
Quels sujets sont privilégiés dans vos sélections ?
Tous ! La liberté est totale et on ne s’interdit rien. C’est une particularité essentielle de Clermont-Ferrand. On propose tous les types de formats courts, tous les sujets : du documentaire à la fiction en passant par l’animation. La palette est la plus large possible et nous ne voulons pas mettre de barrière.
Comment mettez-vous en valeur cet aspect « création » ?
Comme je le disais, le court est un lieu d’expérimentation et nous avons créé une compétition « labo ». Mais il n’y a pas que le sujet ou le thème qui compte. Nous sommes également très attentifs aux supports, aux évolutions du cinéma et depuis maintenant deux ans, nous avons une compétition « pop-up » qui présente des courts provenant du web et diffusés en salle.
L’autre spécificité du festival, c’est d’être très ancré dans la ville…
Dans la ville et même la région. On a toujours voulu faire de ce festival une fête du cinéma très populaire. Quand on a annoncé pour 2020 des chiffres de fréquentation de plus de 170?000 spectateurs, nous-mêmes étions très surpris. Clermont est un festival international, mais qui puise ses racines sur l’ensemble de la grande région Auvergne-Rhône-Alpes. Certains étudiants viennent de Lyon par exemple…
Mais comment conserver cette énergie sur l’année et ainsi doper le territoire ?
Ce festival draine une énergie formidable et vous avez raison, l’un des enjeux est de structurer cette énergie. La Cité du court qui devrait ouvrir ses portes en 2028 en est l’une des nombreuses expressions. Sauve qui peut le court métrage, c’est 22 salariés qui travaillent tout au long de l’année sur le territoire. Le festival est un événement qui catalyse notre travail au long cours. Il est produit par le territoire et reçoit le territoire. Mais derrière, on accueille des tournages, des scénaristes (qui viennent chercher l’inspiration dans nos paysages et nos cités), on s’occupe de la jeune critique qui va s’exercer à produire une pensée consciente sur le cinéma qu’on montre. Et pour nous, le cinéma c’est ça : aiguiser sa conscience critique par rapport à la vie. Si vous venez à Clermont, vous verrez que les gens parlent, discutent, échangent : il y a un prolongement de la parole et de la vie après les projections. Traitez-moi de naïf, mais je pense que cette vie au-delà de la projection nourrit la manière dont on veut imaginer la société dans laquelle on vit. C’est la fonction essentielle du cinéma : la fabrication d’une conscience critique dans nos sociétés.
Le court serait donc très politique ?
Bien sûr ! Au sens le plus noble du terme. C’est l’éducation populaire, l’éducation à l’image. On cherche à aiguiser le regard des gens, à montrer des films plus pointus tout en exaltant le plaisir des spectateurs. C’est la phrase de Truffaut : « Le cinéma c’est comme la vie en mieux écrit. » Tout à l’heure j’étais dans le hall de la Comédie, un jeune homme s’est approché de moi et m’a dit : « Je voulais vous saluer : je suis palestinien et c’est formidable d’être là et de sentir une telle liberté dans tous les films que je vois. » Quand j’entends ça, je me dis qu’on a gagné. Ce jeune va aller discuter avec des gens de la région de Clermont et ça va forcément déclencher des choses culturelles passionnantes.
En vous entendant, on se dit que c’est très politique mais aussi très festif.
Surtout en 2023 ! Parce qu’on sort quand même de deux années très difficiles. L’édition 2021 a eu lieu entièrement en ligne. On avait besoin de souffler, de se rassembler. Alors oui, Clermont c’est la fête, mais parce que c’est un prolongement populaire de cette manifestation. On a même créé un « dark lab » où de 7 h du soir à 7 h du matin on peut danser, boire des coups, s’aimer, s’engueuler, discuter après avoir passé la journée dans les salles. Cette notion de fête est pour moi totalement inhérente à un festival imbriqué dans la vie de son territoire. Je crains même que certains Clermontois n’aient pas le temps d’aller voir les films et se contentent de faire la fête (Rires.) Mais c’est une telle joie de travailler toute l’année pour aboutir à ce moment cinématographique et festif ! Cette spécificité fait la richesse du festival. Quand vous vous baladez dans le monde entier, et que vous dites que vous êtes de Clermont-Ferrand, les gens vous répondent : « Ah Clermont ! Michelin et le festival du court métrage ! » Ça participe au rayonnement de ce territoire. Ce n’est pas du tourisme, ou alors du tourisme suave. On vient parce qu’il y a quelque chose qui se passe. Et pas seulement pour voir des décors.
Cette notion de fête rappelle aussi que le cinéma est plus qu’un un lieu magique, un endroit fédérateur.
À Clermont, j’adore voir les dynamiques de la foule : les gens font la queue pour rentrer dans les salles, en sortent après la projection et se pressent pour aller au bar ou au restaurant. C’est un mouvement très particulier créé par ce public fidèle. On n’est pas dans la paillette mais vraiment sur cette histoire de culture populaire.
Pour revenir au festival de cette année, dégagez-vous déjà des tendances ?
Je vais répondre en creux. On craignait de voir débouler de nombreux films sur le confinement, la pandémie. Et… on a eu tout faux. Comme si les cinéastes avaient voulu tourner la page et raconter plein d’histoires folles, fantasmatiques. Il y a souvent des journalistes qui me demandent mon court préféré, mais c’est une question de fou ! On a visionné plus de 8413 films pour cette sélection, il y en a 519 qui sont programmés dans les salles. C’est comme si on me demandait mon légume préféré ! Ça dépend de la saison, de mon humeur, du repas… J’ai plein de films favoris.
Quelle est la place du court métrage aujourd’hui ?
Au-delà des histoires de création et de vivier, il faut donner une place artistique essentielle au court métrage. Dans les salles, mais aussi dans l’industrie. Ces films sont parfois réalisés avec des petites ailes, mais la volonté des réalisateurs, réalisatrices, acteurs et actrices qui viennent de là est tellement puissante… C’est un souffle qui fait bouger toutes les lignes, une énergie constructrice. Vous savez, si des chaînes de télévision programment des courts, même en fin de soirée, c’est qu’il y a un public ! Venez voir à Clermont-Ferrand, les gens sont là. Et ce public fabrique son plaisir du cinéma en passant par les courts métrages. C’est par-là que commencent les cinéastes de demain, c’est aussi par-là que passent les spectateurs de demain. C’est capital à mes yeux : le court métrage est souvent la première marche pour ceux qui ne pourraient sans doute pas avoir accès à l’expression cinématographique. Les mots à la mode, c’est « public empêché » et « public éloigné ». Eh bien, ici, on va vers ces gens-là ! Je vais conclure sur le parcours d’Ismaël Joffroy Chandoutis (Maalbeek, 2020), un jeune réalisateur clermontois primé dans notre festival, mais aussi dans le monde entier. Lui, sans le festival de court métrage, il serait aujourd’hui comptable ou que sais-je ? C’est une des fonctions du court et spécifiquement du court à Clermont ! Le cinéma peut changer la vie.
Festival du court métrage de Clermont-Ferrand
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