L’année dernière, Laurent Tirard adaptait son hilarant roman Le Discours, avec Benjamin Lavernhe dans le rôle principal, et le duo Nicolas et Bruno (Message à caractère informatif, La Personne aux deux personnes) travaille depuis un bon moment sur Figurec. Ces jours-ci, sort Zaï Zaï Zaï Zaï de François Desagnat avec Jean-Paul Rouve, une course-poursuite absurde sur fond de carte de fidélité oubliée à la caisse d’une grande surface. L’occasion d’interroger Fabcaro sur son rapport au cinéma et aux films adaptés de son œuvre.
Les adaptations ciné de vos BD et de vos livres sont nombreuses en ce moment. Qu’est-ce que cette attirance du cinéma pour votre travail vous évoque et comment l’expliquez-vous ?
Je suis très touché et très honoré. En même temps, je suis à chaque fois très étonné que mon travail intéresse le cinéma. Je serais bien incapable d’expliquer cet engouement, et j’aime l’idée de ne pas savoir l’expliquer. Ça évite d’essayer de tomber dans des recettes, recettes qui du reste n’existent pas. J’accueille chaque fois cet intérêt comme un enfant à qui l’on fait un cadeau.
J’ai cru comprendre que vous laissez carte blanche aux scénaristes et réalisateurs et que vous ne leur faites pas de retour. Pourquoi ne pas vous impliquer dans ces adaptations ?
D’une manière générale, je n’aime pas revenir sur quelque chose que j’ai terminé. Le livre ou la BD fait sa vie et je repars vers de nouvelles aventures. Mon excitation est toujours sur le projet en cours. Je ne suis pas très protectionniste ni gardien du temple, je vais de l’avant. J’aime l’idée que celui qui adapte mon travail se le réapproprie. Je ne suis pas attaché à une quelconque notion de fidélité à mon œuvre. Au contraire, la « trahison » ne me fait pas peur. Quitte à changer de support, autant le bousculer et le tordre un peu !
Je ne suis pas loin de penser que votre style, votre narration et votre type d’humour vous rendent pratiquement inadaptable. En tout cas, il est très compliqué de retrouver votre ton au cinéma. Est-ce que vous faites le même constat ?
J’ai aussi le même réflexe chaque fois qu’un réalisateur s’intéresse à un de mes livres. C’est l’une des premières choses que je lui dis : « Euh, tu es sûr ? » Mais je suis toujours agréablement surpris du résultat. Je me dis que c’est inadaptable parce que tout n’est pas transposable, surtout l’humour absurde dont je fais preuve et qui ne fait pas partie de notre culture. Encore que je commence à revenir sur cet a priori.
Quelle est la différence fondamentale entre l’humour dans une BD ou un livre et au cinéma ?
Le mode d’écriture doit être adapté, le rythme n’est pas le même. La notion de rythme est très importante dans l’humour et les temps sont différents. On ne peut pas écrire pour le cinéma de la même manière qu’on écrit pour le roman ou la BD.
Comment un réalisateur peut-il vous convaincre qu’il est la bonne personne pour adapter l’une de vos œuvres ?
Comme je ne suis pas attaché à ce que va devenir mon travail une fois transposé, je ne suis pas très sélectif, il suffit que j’apprécie ce que fait la personne en question. Et puis, surtout, je marche beaucoup à l’affect. Il faut que j’aime bien les gens, que je sente des affinités humaines. Je préfère collaborer avec quelqu’un dont je connais mal le travail mais qui humainement me touche, plutôt qu’avec un génie du cinéma antipathique. Bon cela dit, je n’en ai jamais croisé, c’est un exemple au hasard !
Votre dernière BD en date, Moon River, est une parodie de polar noir. Quel est votre rapport au cinéma et à ce genre ?
J’aime beaucoup le cinéma, même si je ne suis pas un grand cinéphile, et je n’ai pas de genre de prédilection à partir du moment où je suis touché, d’une manière ou d’une autre. J’ai des goûts hyper éclectiques, ça peut aller de Holy Motors ou Inland Empire aux Sous-doués en vacances… Qu’importe le genre dès lors que ça me procure une émotion, que ça m’inspire quelque chose. Quant au rapport au polar noir, je n’en ai aucun. Je ne suis pas particulièrement sensible à ce genre, je n’ai même jamais vu Le Grand Sommeil, honte à moi.
Vous avez dit ceci à France Culture : « J’ai l’impression que je travaille de manière très cinématographique, façon gaufrier, story-board. Je suis plus influencé par le cinéma que par la BD elle-même. » À quel point la narration cinématographique infuse dans votre œuvre ?
J’ai dû dire ça pour justifier mon espèce de gimmick, le gaufrier des six cases avec le même dessin qui se répète, qu’on pourrait attribuer à des influences BD parce que bien d’autres l’ont fait avant moi, mais que j’attribue plutôt au cinéma. Ce que j’aime au cinéma, ce sont les plans-séquences, que je trouve toujours plus efficaces qu’un montage de dix plans par seconde. Même dans l’humour, il permet de mettre en valeur le texte et en accentue la dimension comique. Mon gaufrier n’est au fond qu’une application du plan-séquence à la BD. Ma façon de travailler elle-même peut se rapprocher de celle du cinéma. J’improvise et je dessine l’album dans le désordre avant de le monter, n’hésitant pas à enlever des scènes qui, même si elles fonctionnent individuellement, peuvent ralentir le rythme ou ne pas s’insérer dans un tout.
Quelles comédies vous ont influencé dans le nonsense, l’absurde ?
Je pourrais citer en vrac La Cité de la peur des Nuls, La Bostella ou Akoibon d’Édouard Baer, Wrong ou Réalité de Quentin Dupieux, Les Acteurs de Blier, les Monty Python, et bien d’autres encore. Mais ma première grande claque, ma découverte du nonsense au cinéma, c’est Y a-t-il un pilote dans l’avion ? La première fois que je l’ai vu, ado, j’étais en même temps hilare et fasciné, je me disais : on a donc le droit de faire ça ? Par la suite, j'ai regardé tous les ZAZ (Zucker, Abrahams, Zucker). Ça a été une bonne école.
Zaï Zaï Zaï Zaï
Scénario : François Desagnat et Jean-Luc Gaget
Distribution : Orange Studio Distribution / Apollo Films
Avec Jean-Paul Rouve, Julie Depardieu, Ramzy Bedia…