Les gardiennes est tiré du roman du même titre d’Ernest Pérochon. Comment est née cette adaptation ?
Frédérique Moreau : Je ne suis absolument pas spécialiste de la guerre de 14. Mais en lisant Les gardiennes, j’ai été accrochée par le portrait de ces femmes chargées de faire fonctionner les exploitations en l’absence de leurs maris partis au front. La productrice Sylvie Pialat a eu la même réaction tout en y voyant un écho à La maison des bois qui était le film favori de Maurice Pialat. Elle a donc offert ce livre à Xavier (Beauvois). Il a dû traîner quatre ans sur sa table de chevet (rires) jusqu’à ce que sa femme et monteuse Marie-Julie Maille ne le pousse à le lire et qu’il décide de porter à l’écran son adaptation. Après deux films centrés sur des hommes, Des hommes et des Dieux et La rançon de la gloire, Xavier avait envie d’un film de femmes
Qu’est-ce qui vous a plus particulièrement séduit dans ce roman ?
La description minutieuse que fait Pérochon des femmes pendant cette période. Un sujet quasiment pas traité au cinéma. Je n’avais qu’un seul souvenir de film l’ayant évoqué : La grande parade de King Vidor en 1925 où un soldat américain tombe amoureux d’une fermière pendant la première guerre mondiale. On y voit les femmes qui travaillent en tirant des charrues. A l’image de ces clichés ayant souvent illustré des cartes postales de l’époque sous le titre « L’autre tranchée », qui a d’ailleurs failli être celui du film et dit tout de l’enfer qu’elles vivaient.
Comment avez-vous travaillé concrètement sur cette adaptation ?
Par un long travail de recherches pour commencer. Avec l’éclairage précieux de Jacques Mauduit, un historien grand connaisseur du monde agricole. Et puis à partir de livres et de documentaires, dont Elles étaient en guerre que nous a transmis Nathalie Baye qui en était la narratrice. Un documentaire sur les femmes au travail pendant la Première Guerre mondiale, plutôt centré sur le monde ouvrier mais qui contenait plusieurs passages sur l’agriculture. On a en fait mené une véritable enquête sur le statut des femmes.
Et qu’avez-vous découvert qui vous a le plus surpris ?
Que les femmes faisaient réellement double journée au point de ne jamais s’assoir… jusqu’à manger debout ! Leurs mains étaient toujours occupées. Comment ont-elles pu tenir, en s’occupant des enfants tout travaillant la terre et en tricotant et cousant pour les soldats ? Cela paraît hallucinant encore aujourd’hui. Et si au départ, elles suivaient les directions écrites par leurs maris dans leurs lettres expédiées depuis le front, elles ont peu à peu acquis une technique qui a notamment rendu la récolte de 1917 exceptionnelle. Mais ces recherches m’ont aussi appris que les femmes françaises furent les seules à n’avoir gagné aucun droit après la guerre, à la différence par exemple des Suffragettes britanniques. Elles se sont mises en retrait quand les hommes sont revenus. Par épuisement ? Par empathie pour leurs maris revenus détruits des tranchées, auxquels elles ont rendu leur place ? Parce que cela correspond au côté « méditerranéen » de la culture française ? Je n’ai pas la réponse.
Faire ce film était un moyen de leur rendre hommage ?
Oui mais en restant fidèle à la réalité historique. Je ne nous voyais pas la réécrire en fonction du regard de notre époque. Du coup, dans diverses commissions où on présentait notre scénario, on nous a fait remarquer que notre film n’était pas assez féministe. Mais le sacrifice des femmes a été une réalité de ces années de guerre. A l’image du personnage que campe Laura Smet : cette jeune fille qui finit par renoncer à son rêve d’émancipation et même par éteindre son désir sexuel en restant sur place au lieu de partir pour la ville. Quant à sa mère, incarnée par Nathalie Baye, elle finit par sacrifier sa jeune commise qui aurait pu être son alliée car rien ne compte à ses yeux que son projet pour ses terres et l’unité de son clan. Nathalie a d’ailleurs craint que son personnage apparaisse trop désagréable pour susciter de l’empathie. Je pense objectivement que ce n’est pas le cas. On comprend sa démarche et les sacrifices douloureux qu’elle implique.
Comment se déroule l’écriture d’un film par un duo de femmes, mis en scène par un homme ?
Xavier n’aime rien tant que le moment du tournage. Mais j’ai entamé une collaboration avec Marie-Julie Maille qui me réjouit et qu’on poursuit actuellement sur le nouveau film de Xavier. Une collaboration à l’écriture finalement peu fréquente entre une scénariste et une monteuse. Et comme Marie-Julie connaît parfaitement Xavier, cela nous évite de passer des heures sur une scène qu’il ne tournera pas. La version qui a obtenu l’aide du CNC a cependant peu à voir avec le résultat final. C’est en repérages que Xavier change vraiment les choses, en ajoute, en enlève. Charge à nous ensuite de tenir bon sur la dramaturgie. Xavier a besoin de vivre sur le lieu et de s’en imprégner pour raconter une histoire. Le geste juste l’obsède. Et c’est précisément cet aspect documentaire que je préfère dans Les gardiennes. A l’image de L’arbre aux sabots d’Ermanno Olmi.