Un été avec Monika (1953)
C’est une histoire toute simple, celle de deux amants de la nuit, jeunes, beaux et fauchés, qui décident que l’amour sera plus fort que la mort annoncée d’une vie sans plaisir. Ils fuient l’autorité familiale, la routine d’un travail aliénant et vivent leur vie. Mais comme dans toutes les histoires d’amants en fuite, ça sera chaotique. Reste, le visage de Monika (la muse Harriet Andersson) en gros plan et en légère contre-plongée défiant l’horizon de sa moue boudeuse. Elle est belle, désirante et désireuse. Une révélation pour les futurs jeunes loups de la Nouvelle Vague française (Truffaut, Godard et autres) qui lancèrent à grands coups d’articles amoureux la carrière de Bergman.
Le Septième Sceau (1957)
La mort porte des habits noirs et un masque blanc. Elle erre sur terre comme une âme sans peine. Nous sommes en plein Moyen-Age, un chevalier de retour de croisade (Max von Sydow) rencontre la Faucheuse mais entend repousser un peu l’échéance et lui propose une partie d’échecs sur la plage. Outre le sur-texte sur la vie et la mort, ce Septième Sceau vaut surtout pour les audaces formelles du cinéaste et un traitement sublime du noir et blanc. Film iconique, fiévreux et insidieux, il sacre Bergman roi de la modernité.
Les Fraises sauvages (1957)
1957 : année magique. Bergman, à peine quadra, enchaîne films (Le Septième Sceau date de la même année) et pièces de théâtres, porté par une fièvre créatrice rare. La preuve avec ces Fraises sauvages, récit introspectif d’un vieux médecin qui au crépuscule de sa vie se rejoue la comédie de son existence. Bergman lance des flash-backs, inonde l’écran de rêves et de cauchemars éveillés avec une grâce maléfique. Devant sa caméra, Victor Sjöström, grand cinéaste suédois (La Charrette fantôme, Le Vent…) lui sert de double fictionnel. S’il fallait n’en retenir qu’un de l’imposante filmographie de Bergman, ce serait peut-être celui-là.
Persona (1966)
Jamais face à face entre deux femmes n’a jamais paru aussi intense et porté aussi haut les vicissitudes de l’existence. C’est l’histoire d’une actrice qui s’interrompt en plein milieu d’une représentation d’Electre de Sophocle et décide de ne plus piper mot. Pour l’aider à retrouver ses esprits, une infirmière plutôt loquace l’entoure de ses confessions. Une lettre perçue par l’une des deux comme une trahison à leur intimité, va briser cette harmonie et déchainer les passions. Audace du montage, fièvre de l’interprétation (Liv Ullmann vs Bibi Andersson), donnent à ce Persona des allures de volcan en perpétuelle fusion.
Cris et chuchotements (1972)
Bergman chantre du noir et blanc, a aussi très bien utilisé la couleur. Dans Cris et chuchotements, le rouge sang a la même puissance maléfique qu’un film horrifique de Dario Argento. Ce film est le récit d’une mort annoncée. Dans un immense manoir au XIXème siècle, une femme agonise. Le cancer dont elle est atteinte ne lui laisse aucun espoir. Ses deux sœurs essaient de l’entourer au mieux mais se heurtent à leurs propres angoisses. Récit d’un monde bourgeois qui s’éteint à petit feu dans la honte et la souffrance, Cris et chuchotements, distille un venin qui foudroie le spectateur. La photographie de Sven Nykvist est un sommet visuel.
L’Œuf du serpent (1977)
Ingmar Bergman a toujours refusé de s’exporter ailleurs et qui plus est à Hollywood où l’indépendance est un vilain mot. Et puis patatras, en Suède, le monument national Bergman est rattrapé par une sale histoire de fisc. Vexé, le maître quitte son pays et accepte de suivre son ami le producteur Dino de Laurentiis jusqu’en Allemagne pour y tourner une « superproduction ». L’Œuf du serpent se déroule dans l’Allemagne délétère des années 20 en pleine montée du nazisme. Film baroque, bizarre où tous les tourments du monde semblent s’être donné rendez-vous en un seul corps (celui de David Carradine en l’occurrence !), ce film exilé est une curiosité, « un grand film malade » dirait Truffaut.
Sonate d’automne (1978)
Ingmar Bergman filme enfin Ingrid Bergman (aucun lien de parenté entre ces deux figures du cinéma suédois). Comme son titre le laisse supposer, l’image a ici les teintes jaunâtres d’une saison triste. Les retrouvailles entre une mère (Ingrid Bergman) et sa fille (Liv Ullmann) dans une maison isolée au bord d’un fjord est l’occasion de réveiller de vieilles rancœurs. L’art de Bergman est de déceler dans chaque regard et expression, la vérité tragique d’une humanité fragile. Cette œuvre préfigure la fresque intime à suivre : Fanny et Alexandre.
Fanny & Alexandre (1982)
C’est La recherche du temps perdu de Bergman. Un film somme (5h26), une fresque cinématographique qui se décline également en série télé, où l’auteur raconte son enfance. On retient d’abord l’image d’un petit bambin au visage gracile mais gigantesque devant un petit théâtre miniature où se jouent tous les drames du monde. Bergman se raconte, règle ses comptes avec la figure paternelle autoritaire et brutale, filme ses rêves et ses cauchemars. On n’est pas loin du film parfait.