Quand et comment est né Les Olympiades ?
Je voulais sortir d’un cercle infernal dans lequel je suis enfermé depuis des années : j’écris un film, je le tourne et je sors de la promotion les poches vides, sans la moindre idée du film suivant. Donc après Dheepan et avant de m’engager dans l’aventure des Frères Sisters de l’autre côté de l’Atlantique, j’ai décidé de me projeter dans une idée du long métrage qui suivrait. Une amie me parle à ce moment-là de l’œuvre d’Adrian Tomine que je ne connais pas. Et c’est en me plongeant dedans et plus précisément dans son roman graphique, Les Intrus, que naît l’envie de faire un film à partir de trois de ses six histoires (Amber Sweet, Killing and Dying et Hawaiian Getaway). J’appelle alors Céline Sciamma qui a une grande connaissance de la BD et de Tomine. On commence à travailler sur le scénario avant le tournage des Frères Sisters. Puis une fois ce film terminé, je me replonge dans le projet avec une nouvelle scénariste, Léa Mysius, car Céline était à ce moment-là prise par son propre film.
Est-ce que vous construisez un film par rapport au précédent ?
Un film naît toujours d’un ensemble de désirs et de frustrations vécus lors des précédents tournages. Un film est une machine à créer d’autres désirs. En l’occurrence, même si ça ne constitue pas la base de mon envie, Les Olympiades a trouvé un écho à mon désir de faire un film avec une voilure plus réduite que Les Frères Sisters.
C’est aussi le film de nombreuses « premières fois » pour vous. Votre premier film en noir et blanc, votre première comédie et votre premier film qui se concentre sur la génération des trentenaires…
J’ai eu envie de plonger dans la typologie présente dans le roman graphique de Tomine. Des trentenaires en effet, issus d’une classe moyenne bourgeoise éduquée. Des Bac + 4 qui s’interrogent sur leur avenir. Soit parce qu’ils ne souhaitent pas s’intégrer dans le monde du travail, soit parce qu’ils y sont intégrés mais déçus par rapport à leurs envies et leurs ambitions. Cet élément-là constitue la grande différence avec ma génération où nous rentrions, nous, de manière naturelle, dans ce monde du travail dès la fin de nos études.
Cette génération, vous ne la regardez pour autant jamais du haut de la vôtre, pas plus que vous ne jetez un regard pessimiste sur elle, allant ainsi à l’inverse du discours ambiant…
Tout simplement parce que je suis très optimiste pour eux et que je tenais à le montrer. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu inscrire cette histoire dans le cadre de la comédie.
Mes personnages s’illusionnent. Ils ont une fausse idée d’eux-mêmes. Lucie (Lucie Zhang), se voit comme une punk de l’amour mais n’en a pas la légèreté. Noémie (Noémie Merlant) se trompe, elle, d’orientation sexuelle. Je vois dans Les Olympiades un conte moral, comme aurait dit notre ami Rohmer.
Parler d’amour implique de tourner des scènes d’amour, une autre première dans votre cinéma. Comment les avez-vous abordées ?
Ça me paraissait en effet indispensable… mais ce sont des choses qui me mettent vraiment mal à l’aise. Le demander à une toute jeune personne comme Lucie Zhang empreinte de sa culture chinoise n’a rien de simple. Donc j’ai souhaité que mes comédiens travaillent ces scènes-là de leur côté et les prennent en charge en amont, sans que je sois présent. Ainsi, ils m’ont donné ce dont ils avaient envie. Je ne me voyais pas faire mon Marc Dorcel !
C’est aussi parce que vous abordiez ce sujet inédit pour vous que vous avez décidé de renouveler largement votre équipe, au scénario comme on l’évoquait plus tôt, mais aussi à l’image, avec Paul Guilhaume, et à la musique, avec Rone ?
Ce changement d’équipe n’était absolument pas une volonté de départ. Il s’est fait en fonction des impossibilités de certains et de mes envies de travailler avec d’autres. Mais c’est bien d’avoir des expériences excellentes avec des gens… puis de changer. Pour être surpris, pour se renouveler soi-même, il faut ouvrir les fenêtres de temps en temps. Prenons le cas de la musique.
On a alors essayé d’autres musiques, notamment celles de Labrinth qui avait signé la BO de la série Euphoria, mais sans plus de succès. C’est alors que j’ai contacté Rone, dont j’avais aimé le travail sur La Nuit venue qui lui avait valu un César, mais aussi sur le spectacle Room With a View qu’il avait fait avec les danseurs du Ballet national de Marseille. On a communiqué à distance : je lui donnais des indications puis il créait seul dans son studio face aux images. Le fait est qu’au fur et à mesure du montage et de ma réception de ses morceaux, la musique s’est faite de plus en présente dans Les Olympiades. Elle occupe 45 minutes du film contre 25 au départ. Ce qui permet aussi une plus grande variété, des morceaux très épurés et d’autres très saturés. Rone fut comme un ange tombé du ciel sur ce projet.
Et c’est en le rencontrant sur le tournage des derniers épisodes du Bureau des légendes que vous avez vu en Paul Guilhaume le directeur de la photo parfait pour Les Olympiades ?
Je dois d’abord dire que le passage par la série m’a redynamisé. Techniquement, j’ai soudain vu un territoire nouveau s’ouvrir devant moi : la possibilité de tourner à deux caméras, le steadycam… Ça m’a offert une liberté folle ! Or, pour Les Olympiades, je voulais dès le départ un tournage rapide, à l’inverse de celui des Frères Sisters dont j’étais sorti épuisé, car il était précisément trop long et trop lourd à porter. Grâce au Bureau des légendes, je m’étais découvert très à l’aise dans un timing serré. Ces nouveaux « outils » ont donc rendu la chose possible tout comme la collaboration avec Paul qui s’est prolongée avec la même fluidité. Nous avons construit ensemble à l’image cette volonté de décoller Paris de son romantisme, de son aspect ville-musée pour aller vers quelque chose de plus graphique. D’où le choix d’inscrire l’action dans le 13e arrondissement parisien des Olympiades que je connais très bien et qui me permet de filmer Paris comme une métropole asiatique. D’où aussi le choix du noir et blanc – avec comme matrice la deuxième partie du générique du Manhattan de Woody Allen – pour cette même idée de décaler le regard habituel sur notre capitale et l’inscrire dans celui que pose sur elle la génération de mes personnages. Une fois ce film terminé et après avoir goûté à ce miel, ça m’ennuierait de revenir à une machine trop lourde. Car la légèreté permet que toute votre attention soit à ce que vous faites et non détournée sur les difficultés à le faire.
LES OLYMPIADES
Scénario : Céline Sciamma, Léa Mysius et Jacques Audiard d’après Adrien Tomine
Photographie : Paul Guilhaume
Musique : Rone
Montage : Juliette Welfling
Production : Page 114, France 2 Cinéma
Distribution : Memento Distribution
Ventes internationales : Playtime
Soutien du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme)