Un fait d’arme pour commencer. Au mitan des années quatre-vingt-dix, Janine Bertrand, siège au comité de la Cinémathèque Française dirigée alors par Dominique Païni. En fouillant dans les entrailles de la célèbre institution, elle met la main avec son équipe, sur un trésor considéré comme perdu : une copie de Bessie à Broadway (The Matinee Idol, 1928) le dernier film muet que Frank Capra tourna pour la Columbia. Pour tout cinéphile soucieux de faire perdurer la mémoire vive du cinéma comme Janine Bertrand, ce genre de découverte constitue un couronnement voire un aboutissement. Bertrand accompagna alors la restauration du film de Capra - comédie autour d’un chanteur célèbre qui intègre par accident un petit orchestre de province - et œuvra avec force et conviction pour son rayonnement qui dépassa forcément les murs de la Cinémathèque Française.
L’activité de Janine Bertrand ne se limitait pas non plus à un périmètre défini. Tout a commencé bien plus tôt au tout début des années 60. L’avènement de la Nouvelle Vague coïncide avec la multiplication des ciné-clubs qui permettent de « former » des nouveaux cinéphiles en dehors des circuits commerciaux traditionnels. Janine Bertrand s’investit corps et âme dans cette aventure. Passée par l’IDHEC (l’ex-Fémis), elle possède une formation spécifique sur la diffusion des films et bien-sûr, leur réception auprès du public. Un ciné-club se doit, en effet, d’éditorialiser sa programmation, présenter les films, organiser des débats avec des spécialistes. C’est cet esprit citoyen qu’il convient de préserver.
Janine Bertrand participe ainsi en 1960 à la création d’Inter Film, une fédération du mouvement des ciné-clubs en France ayant pour but d’aider celles et ceux qui veulent créer le leur. Sur le site internet d’Inter Film, on peut lire : « Le ciné-club est partout : dans les écoles, collèges, lycées, facultés et grandes écoles ; dans les entreprises, les Maisons de Jeunes… et dans les lieux que le cinéma commercial a désertés (campagnes, petites villes, banlieues et quartiers).» La notion d’engagement est, on s’en doute, au cœur du processus. Avant la création d’Inter Film, Janine Bertrand était membre de la Fédération française des ciné-clubs, proche du parti communiste.
« L’amour du cinéma ne s’enseigne pas. Il se transmet. », écrit Bertrand Tavernier toujours sur le site d’Inter film. « Qu’est-ce qu’un spectateur passif ? Rien. Qu’est-ce qu’un spectateur curieux ? Tout. » Inter film a ainsi favorisé le redécouverte des films de Jean Vigo, Jean Grémillon, Jacques Tati ou encore Pierre Etaix et plus proche de nous Nuri Bilge Ceylan. Aimée des cinéastes qui trouvaient en elle, une écoute et un regard incomparable, cette cinéphile curieuse a avancé dans l’ombre pour permettre à d’autres de trouver la lumière.
Janine Bertrand est décédée le 18 octobre dernier. L’esprit des ciné-clubs qu’elle a réussi à préserver, demeure.