Ixcanul (2015)
C’est au milieu des années 2010 que le public découvre Jayro Bustamante, qui décroche un Ours d’argent avec son tout premier long métrage. Né au Guatemala en 1977, ce fils de médecins a rêvé très tôt de cinéma. Mais faute d’écoles dans son pays, il a dû économiser pour se rendre en Europe suivre des études cinématographiques d’abord à Paris (au Conservatoire libre du cinéma français) puis à Rome (Centre Expérimental Cinématographique). Dans la foulée, il signe en 2006 un premier court métrage d’animation puis très vite, retourne au Guatemala pour développer les suivants. « J’avais besoin de commencer par mes racines » expliquait-il alors dans le dossier de presse d’Ixcanul. L’intrigue suit le parcours d’une jeune Maya de 17 ans, vivant avec ses parents dans une plantation de café sur les flancs d’un volcan guatémaltèque, qui tente d’échapper au mariage arrangé. Ce premier long est largement inspiré par l’histoire de Maria, une femme maya que lui a présentée sa mère. « Elle avait rencontré Maria lors d’une campagne de vaccination et celle-ci lui avait raconté qu’elle avait été mise en prison car on la soupçonnait d’avoir vendu son enfant et qu’elle n’avait pas protesté, empêtrée dans sa culpabilité d’avoir essayé d’avorter. » A travers l’histoire de cette femme, Jayro Bustamante décide de traiter de la discrimination très forte dont est victime le peuple indien maya dans son pays. Ayant grandi dans la région où se déroule le récit, il signe un film intime, politique et poétique, dans un parfait équilibre entre réalisme pur et lyrisme tragique.
Tremblements (2019)
Après avoir filmé les grands espaces, le cinéaste pose sa caméra en ville. Mais si l’on quitte les volcans d’Ixcanul pour la capitale du Guatemala, la démarche de Jayro Bustamante n’a pas varié d’un pouce : s’intéresser aux tabous qui gangrènent son pays. Il fait ici coup double en dénonçant deux phénomènes liés : l’homophobie institutionnalisée et le poids des églises évangélistes. L’histoire est celle de Pablo, religieux pratiquant, marié et père de deux enfants, qui tombe amoureux d’un autre homme. Cette nouvelle orientation sexuelle lui vaut les foudres de sa famille et de l’Eglise qui entreprennent de le « soigner » via une thérapie de conversion. Comme pour Ixcanul, tout part d’une histoire vraie qu’on lui a racontée. « Dans la foulée de mon premier long métrage, j’ai rencontré un homme qui m’a parlé de sa vie et de son homosexualité », expliquait le réalisateur dans le dossier de presse de Tremblements. « Et ce qui aurait pu être le simple récit d’un coming out s’est vite transformé en quelque chose de beaucoup plus complexe. Car au fil de son témoignage, je découvrais que j’avais en face de moi un homme homosexuel et… homophobe, contradictions qui venaient du poids de la société dans laquelle il avait grandi. » Très remué par cet échange, Jayro Bustamante décide alors de mener une enquête et découvre que, dans son pays, la plupart des gays sont poussés par leur famille à aller consulter un psy ou à suivre un traitement de choc. Et comme preuve ultime de ce sujet tabou , 80% des comédiens qu’il rencontre lors des auditions renoncent à jouer dans son film quand ils découvrent le sujet. « Dans mon pays, il est difficile de vivre en dehors des préceptes religieux, de s’échapper du cadre admis par la majorité et de vivre selon ses propres désirs. Mais si les églises évangélistes ont pu prendre une telle importance au Guatemala, c’est à cause des carences de l’Etat. Elles se sont substituées à lui et la plupart des psys censés « guérir » les gays sont liés à l’une de ces églises. Il n’est donc plus question de soins mais d’endoctrinement ». Une fois encore, Bustamente ne cherche jamais à appuyer les choses. Conscient de la force de son sujet, il le développe par une approche documentaire qui rend le résultat encore plus implacable.
La Llorona (2020)
Jayro Bustamante achève sa trilogie consacrée aux tabous de la société guatémaltèque en s’intéressant à la figure de son ex-président, Efraín Ríos Montt. Celui-ci, arrivé au pouvoir en 1982 par un coup d’Etat, provoqua lors de sa seule année de règne la plus violente guerre civile qu’ait connue le pays (entre 150 000 et 200 000 morts). Condamné à 80 ans de prison en 2013 pour génocide et crimes contre l’humanité, il a vu son jugement suspendu pour vice de procédure. Directement inspiré par cet homme politique, le personnage central de La Llorona est l’un des généraux guatémaltèques responsables du génocide des Indiens mayas. Lorsqu’il rentre chez lui, il se retrouve hanté par une Llorana, un fantôme, qui cherche ses deux fils, conçus hors mariage, qu’elle a noyés pour redevenir une femme mariée respectable. Son film est d’abord envisagé comme un devoir de mémoire. « Au Guatemala, on nie tout ce qui s’est passé », explique-t-il dans le dossier de presse. « En Europe après la Deuxième Guerre mondiale, on a parlé pour tenter de soigner. Au Guatemala, on préfère penser que les militaires ont sauvé le pays. Des années de procès ont été jetées à la poubelle en une semaine par les pouvoirs de quelques grandes familles et de l’armée, qui sont remontés jusqu’à la Cour suprême. Laquelle a finalement décidé de dire : ‘non, il n’y a pas eu de génocide ni de génocidaires’. Et personne n’a réagi ! » En utilisant les codes du cinéma fantastique, La Llorona ambitionne d’éclairer une population dans le déni, de la confronter au passé pour vivre un futur plus apaisé.
La Llorona, qui sort ce mercredi 22 janvier, a reçu l’aide aux cinémas du monde du CNC.