De quand date votre rencontre avec Bruno Dumont ?
Jean Bréhat : Nous avons commencé à travailler ensemble à partir de 1996, au moment de la préparation de La Vie de Jésus. Le responsable de l’aide au cinéma de la région Hauts-de-France, avec qui nous avions déjà collaboré sur un film de Rachid Bouchareb, m’envoie alors un scénario. Il me dit en substance : « Je n’ai rien compris mais j’ai l’impression que c’est bien ! » Les scénarios de Bruno Dumont ne sont pas des scénarios classiques. Ce sont plutôt des essais littéraires, sans découpage. La syntaxe particulière est proche du style de Patrick Modiano ou d’Antoine Volodine. Il arrive qu’il n’y ait pas de verbe, que la phrase fasse dix lignes, sans dialogue… Bref, nous l’avons lu et trouvé génial. Bruno est venu nous voir. J’ai tout de suite aimé le personnage malgré sa distance et son apparente froideur. Il dégage une profondeur métaphysique dans son attitude. Quelque chose qui vous dit : « Il y a quelqu’un derrière… »
Comment produit-on ce type de scénario atypique ?
Nous retranscrivons tous les scénarios de Bruno Dumont. Une personne est à chaque fois en charge de travailler le découpage et d’en extraire une forme proche d’un scénario classique. Il peut arriver que nous fassions lire directement la prose de Bruno à des personnes dont nous savons qu’elles sauront l’apprécier en l’état. À la lecture, nous ne sommes pas certains d’avoir tout compris, en effet, pour autant des images finissent par se former. C’est l’essentiel.
Avec L’Empire, Bruno Dumont ajoute une dimension fantastique avec des effets spéciaux. En tant que producteur, comment abordez-vous cela ?
Bruno est quelqu’un qui sait s’adapter. Prenez Jeanne : nous avons dû faire le film avec un budget très inférieur à celui que nous avions prévu au départ. Il a remplacé le château fort par un bunker avec un drapeau planté à son sommet ! Le résultat est très poétique. Bruno est très inventif dans la contrainte. Sur L’Empire, en revanche, il n’était pas possible de lésiner sur les moyens alloués aux effets spéciaux. Très vite nous avons évalué l’argent qu’il nous faudrait pour modéliser les vaisseaux dans l’espace et les intégrer aux images. Il nous fallait à peu près 1,4 million d’euros. Sans cette somme, tout était à revoir ou alors à faire du bricolage façon Méliès ou Ed Wood. Ce n’était pas l’idée. Nous voulions du grandiose, être à la hauteur de La Guerre des étoiles. Le budget total du film avoisine les 7,5 millions d’euros. Cela reste très cher pour un film de Bruno Dumont…
Qu’est-ce qui a rendu les effets spéciaux particulièrement onéreux ?
Nous sommes partis de photographies d’un vaisseau pris sous toutes les coutures, en l’occurrence ici des bâtiments religieux. Ils ont ensuite été modélisés en 3D sur un ordinateur, puis l’image a été intégrée au décor en jouant sur les ombres… Cela demande beaucoup de calculs informatiques, de personnes et de temps. Les effets spéciaux de L’Empire ont nécessité six mois de travail non-stop. Ils ont été réalisés en France chez MPC Paris. Il a fallu être le plus précis possible dans nos choix, quitte à sacrifier certains plans ou séquences pour pouvoir tenir le budget.
Y a-t-il eu de grands bouleversements dans la manière de produire le film par rapport aux précédents ?
Pas vraiment. Nous savions au préalable qui serait susceptible de nous suivre dans cette aventure. Il a toutefois fallu que nous regroupions plus de monde. Nous avons eu la chance que notre vendeur à l’étranger, Memento Films, et notre distributeur, ARP, soient particulièrement généreux. Hormis les effets spéciaux réalisés en postproduction, le tournage dans le Nord en prises de vues réelles n’a pas été si différent que celui de P’tit Quinquin par exemple.
L'empire
Écrit et réalisé par Bruno Dumont
Photographie : David Chambille
Décors : Erwan Legal, Celia Marolleau, Peppie Biller
Montage : Bruno Dumont et Desideria Rayner
Production : Jean Bréhat et Bertrand Faivre
Distribution : ARP Sélection
Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide automatique aux effets visuels numériques, Aide sélective aux effets visuels numériques