Les Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson (1945)
En 1972, face à un journaliste, Robert Bresson accepte exceptionnellement de revenir sur sa collaboration avec Jean Cocteau sur Les Dames du Bois de Boulogne : « Nos conceptions du cinématographe n’étaient pas les mêmes. Mais tout ce qui aurait pu nous diviser était au contraire prétexte à une entente profonde. » Et Bresson de lister les points de divergence : « recherche du gag tragique », « procédés du théâtre », « son goût du merveilleux réaliste »… Le futur cinéaste de Pickpocket signait alors son deuxième long métrage. L’épure stylistique qui marquera bientôt son cinéma n’est pas encore pleinement affirmée. Le dialoguiste Jean Cocteau peut glisser ici et là quelques mots d’auteur, tel ce bel aphorisme emprunté au poète Pierre Reverdy : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ! ». L’intrigue des Dames du Bois de Boulogne s’inspire d’un épisode de Jacques le Fataliste de Diderot. Il raconte le jeu dangereux d’une femme qui, pour se venger d’un amant, le met dans les bras d’une autre. Tourné en France sous l’Occupation, ce drame dont le récit a été « modernisé », est sublimé par la prestation de Maria Casarès d’une grande modernité. Une modernité caractérisée par une retenue exemplaire voulue par le cinéaste refusant toute emphase. Robert Bresson reniera plus tard ce film qu’il retire systématiquement de sa filmographie. A sa sortie Les Dames du Bois de Boulogne fut largement conspué par une critique qui trouvait le travail de Cocteau « mince ». Le critique André Bazin aura ainsi cette formule assassine : « Il n’a fallu que le bruit d’un essuie-glace d’automobile sur un texte de Diderot pour en faire un dialogue racinien. » Plus récemment, Emmanuel Mouret s’est inspiré du même texte de Diderot pour son Mademoiselle de Joncquières.
Ruy Blas de Pierre Billon (1948)
Jean Cocteau adapte ici la célèbre pièce de Victor Hugo dont l’intrigue se situe au Royaume d’Espagne à la fin du XVIIe siècle. Ruy Blas raconte le destin rocambolesque d’un esclave déguisé en noble (Jean Marais) qui va courtiser et se faire aimer de la reine (Danielle Darrieux). L’artisan de cette usurpation, Don Salluste (Marcel Herrand), dévoile son odieux stratagème censé déstabiliser le pouvoir. Présent sur le tournage en qualité d’assistant, le futur réalisateur de La Boum, Claude Pinoteau, explique que le poète se substituait volontiers au réalisateur Pierre Billon. Cocteau participait notamment à l’élaboration des décors aidé de son complice et acteur principal du film, Jean Marais. Ainsi l’idée de suspendre des draps noirs dans l’arrière-plan du décor pour créer une sensation « de profondeur étrange » est de Cocteau lui-même. Pinoteau raconte également dans son livre-souvenir Derrière la caméra avec Jean Cocteau (ed. Horizon Illimité) : « Sa présence sur le plateau et aux projections, sa complicité avec les acteurs, n’offensaient pas Pierre Billon qui savait ce qu’un tel talent pouvait apporter à sa réalisation. »
Les Enfants terribles de Jean-Pierre Melville (1950)
Dans Le Cinéma selon Jean-Pierre Melville (ed. Les Cahiers du Cinéma), Melville confesse à propos de sa relation avec Jean Cocteau dont il adaptait ici la prose : « Nos rapports étaient très très bons, aussi longtemps que je n’ai pas tourné ; très très mauvais, à partir du moment où j’ai commencé à tourner. » Beau joueur, il conclut par : « Il faut dire que je n’étais pas du tout facile à cette époque-là… » C’est après avoir vu Le Silence de la mer que Cocteau contacte Melville pour lui proposer d’adapter à l’écran son roman Les Enfants terribles. Le poète entend toutefois garder la main sur ce projet. L’assistant réalisateur du film, Claude Pinoteau, se souvient, dans son livre-mémoire, de ce jour où le poète lui glissa dans la poche une lettre pliée en quatre qu’il devait transmettre à Melville. Le futur réalisateur du Cercle Rouge découvrit alors une liste de recommandations qu’il retourna illico à l’envoyeur. Il faut dire que Les Enfants terribles, à la portée autobiographique évidente, tient particulièrement à cœur à son auteur. Il s’agit du récit d’un amour exclusif, celui d’un frère et d’une sœur, bien nés, dont les passions extérieures vont faire vaciller l’équilibre tragique. Cocteau a imposé la présence en haut de l’affiche d’Edouard Dermit, son nouveau protégé. Melville, producteur de son film, parvient toutefois à tenir la barre. Une autre anecdote raconte que le temps d’une journée, Melville a accepté de céder à tous les désirs du poète pour mieux tromper « l’ennemi » : « Cocteau était ravi puisqu’il avait eu son jour de tournage, explique-t-il. J’adorais cet homme. Il était l’intelligence, le charme, le talent… un être d’élite quoi ! »
La Princesse de Clèves de Jean Delannoy (1961)
Jean Delannoy doit beaucoup à Jean Cocteau. C’est en effet le poète qui glisse son nom à la production pour la mise en scène de L’Eternel Retour (1943). Ce film poético-médiéval dans la veine des Visiteurs du soir - gros succès de l’époque - est très librement inspiré de la légende de Tristan et Iseut. Delannoy pris en tenaille entre son interprète principal, Jean Marais, et l’instigateur du projet, Jean Cocteau, dut se plier à leurs exigences artistiques respectives. L’Eternel Retour rencontra un vif succès sous l’Occupation. Près de vingt ans plus tard, c’est autour du célèbre roman de Madame de La Fayette que le trio Cocteau-Marais-Delannoy se reforme. Cette (super) production est censée sublimer le film en costumes à la française. En réalité cet ambitieux projet était déjà dans les esprits dès la sortie de L’Eternel Retour mais il nécessitait d’énormes moyens, impensables à l’époque. Et de fait, les séquences du jeu de paume (l’ancêtre du tennis) et de bal impressionnent par l’ampleur de la mise en scène. Au scénario, Jean Cocteau n’a pas hésité à se réapproprier l’œuvre de Madame de La Fayette introduisant de nouveaux personnages (le nain bouffon par exemple) ou en prenant des libertés avec la fin du récit pour le plier à sa verve romantique.
Thomas l’imposteur de Georges Franju (1965)
C’est grâce à un article élogieux de Jean Cocteau dans Paris-Presse, L’intransigeant que le nom de Georges Franju sort de l’ombre. A propos de son court métrage Le Sang des bêtes en 1948, plongée sans concession dans les abattoirs de la Villette, le poète écrit : « Un monde noble et ignoble qui roule sa dernière vague de sang sur une nappe blanche où le gastronome ne doit plus songer au calvaire des victimes dans la chair desquelles il plante sa fourchette. » Ainsi lorsque Franju se tourne vers Cocteau pour lui demander l’autorisation d’adapter son roman Thomas l’imposteur, le poète accepte de bonne grâce : « Je te donne Thomas. C’est par toi que je veux être trahi ! » Cocteau va toutefois superviser le scénario. Malheureusement, il ne verra jamais le film terminé, puisque cette adaptation sortira un an et demi après sa mort. Face à une critique hostile, Franju dira d’ailleurs : « J’aurais dû faire Thomas l’Imposteur du vivant de Cocteau. Il aurait au moins eu un défenseur. » L’intrigue de Thomas l’Imposteur se situe durant la Première Guerre mondiale. Une riche princesse participe à l’effort de guerre en transformant son hôtel particulier en hôpital pour les soldats. Un jour débarque un jeune homme qui se dit officier et neveu d’un célèbre général. Emmanuelle Riva, déjà vue chez Franju dans Thérèse Desqueyroux, joue la princesse. Le film n’est pas seulement un (injuste) échec critique, c’est aussi un fiasco public. Franju s’en explique à un journaliste : « Les personnages sont impalpables chez Cocteau. Thomas n’est même pas un aventurier, c’est un caractère aventureux (…) Chez Cocteau tout est tragique et rien n’est dramatique. Parce qu’il n’y a pas de conflit. La tragédie étant la guerre ! »