Philippe de Vita, docteur en littérature et chercheur, consacre son deuxième ouvrage en l’espace de cinq ans à Jean Renoir. Le Dictionnaire Jean Renoir est un abécédaire ludique nourri par la correspondance du cinéaste et un travail de synthèse sur lequel l’auteur revient pour nous.
Vous avez publié en 2015, Jean Renoir épistolier. Fragments autobiographiques d’un honnête homme (éditions L’Harmattan). En quoi ce Dictionnaire en est-il le complément ?
Ce premier ouvrage était une version de ma thèse. Le Dictionnaire est un complément qui s’appuie, lui aussi, sur la correspondance de Jean Renoir mais avec une ligne directrice élargie : j’ai également puisé dans les romans et les autres écrits de Renoir. L’idée était de montrer le rôle de l’écriture dans sa carrière.
Vous vous appuyez une fois de plus sur sa correspondance pour tisser des liens secrets entre ses films, sa vie et ses pensées. Il apparaît à l’arrivée comme un humaniste agité par des sentiments contraires, sinon contradictoires.
C’est le moins qu’on puisse dire. Le jour où, par exemple, il accepte son contrat américain, en 1940, il est parallèlement en train d’essayer de constituer une Cité du Cinéma au large de Cannes…
S’agissant de cette période, vous pointez l’antisémitisme de certains de ses propos qui découlerait plutôt de son conformisme et d’une certaine lâcheté. Venant du réalisateur humaniste de La Grande illusion, on a le droit d’être étonné…
C’est surprenant, en effet. Quatre ans après avoir fréquenté les communistes et les syndicalistes, il tient des propos troublants. S’il était resté en France, on ne sait pas ce qu’il serait devenu. Heureusement qu’il est parti, en somme. C’est sur l’insistance de sa future deuxième épouse, Dido, qu’il s’exile. Il faut savoir que l’antisémitisme est assez ancré dans sa famille puisque son père, Auguste Renoir, était membre de la Ligue des Patriotes, un mouvement antidreyfusard. Jean avait par ailleurs des liens étroits avec Pierre Gaut, le coproducteur de Toni, un antisémite notoire. On a la trace écrite d’un déjeuner entre les deux hommes dans les années 50 où Jean Renoir s’exclame : “On va manger de l’Israélite !”.
Votre Dictionnaire met en lumière deux blessures importantes : le départ de la France occupée pour les États-Unis et ses difficultés pour composer avec les studios américains. Pensez-vous qu’il regrettait cette parenthèse américaine ?
Il n’a pas considéré cette parenthèse comme une perte de temps. Il a vraiment voulu signer là-bas un grand succès du niveau de La Grande illusion, très renommé aux États-Unis. Quand il a vu que ce n’était pas possible au sein du système des studios, il a travaillé en indépendant, notamment sur Le Journal d’une femme de chambre. Finalement, aucun de ses films n’a marché, mais il n’était pas mécontent de ce qu’il avait réalisé. Rétrospectivement, on peut tout de même estimer que sa carrière américaine est en demi-teinte.
La correspondance date surtout de l’après-guerre. Vous écrivez qu’elle a permis à Renoir de conforter en quelque sorte sa légende.
J’ai essayé modestement dans ce dictionnaire de trier le vrai du faux. Ce qu’il y a d’intéressant dans une correspondance comme celle-ci, c’est que l’auteur y tient un discours qui n’est pas public. Il ne faut cependant pas croire qu’on lit un Renoir tout à fait transparent. Même dans des lettres, on peut se mettre en scène et jouer un rôle.
On découvre aussi un Renoir moins connu, celui qui a écrit un certain nombre de romans et de pièces dans la dernière partie de sa vie. Que valent ces écrits ?
Le désir d’écriture remonte au début des années 40, à son arrivée aux États-Unis. Il ne le mettra en pratique que dans les années 50, et surtout dans les années 60-70. De mon point de vue, l’ouvrage sur son père, Pierre-Auguste Renoir, mon père, et son premier roman, Les cahiers du Capitaine Georges, sont de très grande qualité. Il dictera les romans suivants, en raison de son affaiblissement, qui me paraissent moins aboutis. Renoir n’a pas le statut d’écrivain mais l’écriture a joué un rôle capital dans la deuxième moitié de son existence.
Pourquoi n’y a-t-il pas d’entrée “Michel Simon” ? Ni d’entrée “Musique” ?
Je n’ai pas trouvé d’échanges entre Michel Simon et Renoir tout simplement ; ni avec ses compositeurs, à part avec Darius Milhaud que je mentionne. Ce n’est pas un dictionnaire exhaustif, je tiens à le préciser. Je suis vraiment un spécialiste d’écriture. Si j’avais voulu traiter toutes les thématiques de son œuvre, j’aurais élaboré un ouvrage collectif.
Que reste-t-il de Jean Renoir ?
Renoir est très estimé dans le monde, il est sur un piédestal. Il disait lui-même à la fin de sa vie qu’il en avait « marre d’être visité comme une pièce de musée ». Ses films demandent à être revus sans le filtre de cette légende intouchable dont les jeunes auraient tendance à se méfier. Il faut le rendre plus accessible, tout simplement.