Quel a été le point de départ de votre scénario ?
L’idée du film m’est venue en octobre 2019 quand Guy Joao se fait arrêter en Écosse parce qu’on l’a pris pour Xavier Dupont de Ligonnès. Un pauvre monsieur en préretraite après une carrière d’ouvrier chez Renault, qui va simplement voir sa compagne à Glasgow. Et tout à coup, les polices européennes lui tombent dessus. Il passe vingt-six heures d’horreur, à côté de prisonniers qui hurlent, il se fait torturer mentalement… Ce qui me marque quand je découvre son visage, c’est que Guy Joao est un petit bonhomme ordinaire, on dirait presque un dessin de Sempé ! Mais il faut se souvenir qu’à ce moment-là, on se fait collectivement avoir : on veut tous que ce soit Dupont de Ligonnès. Quand il est confirmé qu’il ne s’agit pas de lui, je me demande ce que pourrait être en train de vivre le vrai Xavier Dupont de Ligonnès, en supposant qu’il soit toujours en vie. Je l’imagine en train de boire des cocktails au bord d’une plage en Argentine, avec à ses côtés une belle femme qu’il vient d’épouser.
Vous vous inspirez donc du réel pour créer de la comédie…
En effet, il y a énormément d’ingrédients du réel, car avec ma collaboratrice Amélie Philippe, nous avons étudié l’affaire durant plus d’un an. Je crois que j’ai tout lu sur le sujet. Et la réalité dépasse la fiction : si Guy Joao a été arrêté, c’est parce que la police a des indicateurs, qu’elle note comme on note les chauffeurs Uber. Celui qui a appelé les forces de l’ordre avait six étoiles sur six, et leur a dit : « J’ai devant moi Dupont de Ligonnès. » Et elles l’ont cru, forcément ! C’est extraordinaire comme situation, presque digne d’un scénario des frères Coen. J’y ai tout de suite vu un potentiel énorme. Et puis il y avait évidemment la fascination autour du criminel : ce que provoque XDL est historique, il est presque au niveau de Landru dans l’imaginaire collectif. Il suffit de voir combien d’exemplaires du magazine Society consacré à « l’affaire » ont été vendus !
Mais comment transforme-t-on une fascination morbide en sujet de comédie ? Vous vous êtes posé des limites ?
On peut raconter des choses horribles de différentes façons. Moi, je le fais à travers le rire, parce que je crois à sa noblesse, à sa puissance sauvage, comme dirait Bergson. C’est mon angle, dans mes pièces de théâtre [avec sa compagnie Les Chiens de Navarre - ndlr] comme dans mes films. Ici, je montre le diable dans un contexte de comédie. Évidemment, il fallait laisser passer du temps car en octobre 2019, personne ne rit de l’arrestation de Guy Joao. Et pourtant c’est d’un comique à peine croyable : les médias, les policiers… Tout le monde est risible dans cette histoire. Pour autant, je traite mes personnages sans cynisme, sans me moquer. Ça ne m’intéresse pas de mépriser. Il s’agit surtout de montrer le ridicule de chacun. C’est ma manière de me réconcilier avec l’humanité.
Une humanité qui, dans votre cinéma, est prise dans une sorte de bulle de folie..
Je crois que la réalité est pire. (Rires.) Disons que je m’attaque ici au paradoxe entre notre fascination pour le morbide et les faits divers, et la façon dont nous aimons nous voir sains d’esprit. Il y a une partie de nous qui veut se protéger de la monstruosité humaine.
Celle qu’on garde soigneusement cachée.
Oui, et pourtant elle existe. Mais quand on montre ce refoulement, c’est là que ça devient du cinéma. Il y a beaucoup de puritanisme dans la fiction aujourd’hui, et c’est à mon sens extrêmement dangereux. Quand on me reproche d’être tout à coup ultraviolent dans une scène, je me demande toujours dans quel monde vit la personne qui me dit cela. La fiction est aussi faite pour montrer le mal, afin qu’il y en ait moins dans la réalité. Je crois à cette fonction-là. Tant mieux s’il existe des films feel good, mais le cinéma ne peut pas être uniquement composé de bons sentiments.
Votre Xavier Dupont de Ligonnès, Paul Bernardin, est montré comme quelqu’un de très sympathique. Alors que le personnage de Guy Joao, alias Michel Uzès, est lui assez détestable. Le ressort comique était aussi à cet endroit ?
Tout à fait. Il aurait été facile de présenter un Guy Joao un peu chèvre… Je trouvais très intéressant que le faux Dupont de Ligonnès [joué par Gaëtan Peau] ressemble à un assassin, et que le vrai [Laurent Stocker] soit quelqu’un de lumineux. Dans cette configuration, j’aime qu’on puisse avoir des doutes sur la culpabilité de Michel Uzès. Il fallait jouer avec les codes du cinéma, complexifier le personnage, le rendre détestable et pourtant innocent. Le rapport à l’attachement du spectateur envers ce type est ambigu, et c’est ce qui me plaît.
Le casting de Bernardin a-t-il été compliqué ?
Tout le contraire : le choix de Laurent Stocker a été immédiat. Je ne voulais pas quelqu’un qui ressemble trop à Ligonnès, et quoi de plus éloigné d’un grand brun qu’un petit blond ? Ça me permettait de me mettre à distance du biopic, de rester dans le jeu. Et il n’y a pas plus sympathique que Laurent Stocker, ce qui rejoignait mon envie d’un personnage qui dégage quelque chose de joyeux, presque enfantin. Il ne fallait pas qu’il y ait une ombre d’assassin en lui. Du moins, au début.
Jusqu’à la scène du crime. Et là, on n’est plus du tout dans la comédie…
On est tous fascinés par ce criminel. On lit ce qui s’écrit à son sujet et on en rigole même entre nous. Comme disait Claude Chabrol sur Landru, il faut bien qu’on se marre : on a besoin d’une catharsis. Sauf qu’à un moment, on doit tout de même montrer que c’est un tueur d’enfants qui suçaient leurs doudous durant leur sommeil. C’est un mec immonde et c’est pour cela que je décide de briser le miroir. Je le fais pour nous rappeler que le fantasme qu’on pose sur cet homme est obscène. Et je nous mets tous dans le même sac, moi y compris. Vous voulez voir le monstre ? Vous allez le voir et vous allez être écœurés. Avec Irréversible, Gaspar Noé avait montré un viol pendant de longues minutes, ce qui interrogeait sur l’esthétique de la violence à l’écran. Montrer la partie cachée de l’iceberg, c’est ça le cinéma pour moi. C’est un art qui est fait pour diviser, susciter des émotions. Après Oranges sanguines (2021), j’ai carrément reçu des lettres d’insultes. Je le comprends, mais je me dis aussi que j’ai réussi ma mission. Que j’ai réveillé quelque chose chez le spectateur. Dans la vie, la violence, elle vous tombe dessus. On n’y est jamais préparé. Et je considère que le cinéma doit être un échantillon de la vie.
LES PISTOLETS EN PLASTIQUE
Réalisé par Jean-Christophe Meurisse
Écrit par Jean-Christophe Meurisse (aide au scénario d’Amélie Philippe)
Superviseur musical : Thibault Deboaisne
Production : Mamma Roman et Kick’n Rush
Distribution : BAC Films
Sortie : le 26 juin 2024
Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisation