Haceldama ou Le Prix du sang (1919)
Julien Duvivier naît le 8 octobre 1896 à Lille. A 20 ans, on le voit comme comédien sur scène à l’Odéon où son metteur en scène André Antoine lui conseille de s’orienter vers le cinéma. Il suit son conseil, entre à la Gaumont, commence à travailler à la fois comme scénariste et assistant pour Louis Feuillade et Marcel L’Herbier. Et puis, en 1919, il passe derrière la caméra pour le premier de ses 67 films. Un film muet qui raconte comment une femme de chambre fait venir du Mexique un malfrat qu'elle charge de supprimer son patron pour s’emparer de sa fortune. C’est un western tourné au cœur de la Corrèze, le tout premier jamais réalisé dans cette région de France. Le public ne sera pas au rendez-vous, et la critique parle d’une œuvre à l’intrigue aussi anecdotique qu’embrouillée et reproche le jeu ampoulé des comédiens. Mais pour Julien Duvivier, l’essentiel est ailleurs. Si le western était jusque-là l’apanage unique des productions américaines, le cinéaste revendique une liberté totale et aucun genre ne lui est interdit. Il ne se départira jamais de ce mantra.
David Golder (1931)
Au départ, il y a un roman à succès d’Irène Némirovsky publié en 1929 qui divisa la critique, certains voyant des accents antisémites dans la description de son héros (un banquier juif ukrainien qui se ruine pour sa fille) et de son entourage, d’autres louant à l’inverse la subtilité du rapport à la judéité. Julien Duvivier, lui, est bouleversé par sa lecture et il décide de porter à l’écran ce roman pour en faire son premier film parlant, en restant extrêmement fidèle à l’intrigue. Devant sa caméra, il fait appel à certains comédiens qui avaient joué quelques mois plus tôt la pièce de Fernand Nozière, inspirée très librement de la même œuvre pour la transformer en quasi-vaudeville. Parmi eux, un impressionnant homme de théâtre sous-employé jusque-là au cinéma : Harry Baur. Les producteurs de Duvivier se montrent réticents face à ce choix du réalisateur et sont très inquiets de la réputation tempétueuse de l’acteur. Mais il tient bon et l’impose. Ce choix sera visionnaire. Le parfait mélange entre la personnalité puissante de Baur et son jeu tout en finesse fascine la critique et le public qui se rue en masse découvrir ce David Golder, offrant son premier succès à Julien Duvivier, malgré la noirceur assumée de son adaptation. En un seul long métrage, Harry Baur s’impose comme un monstre sacré. Son amitié tumultueuse avec le réalisateur donnera naissance à cinq autres films : Les Cinq Gentlemen maudits, Poil de Carotte, La Tête d’un homme (où il incarne le commissaire Maigret), Golgotha et Le Golem. Ils vont ainsi écrire ensemble quelques-unes des plus belles pages du cinéma français des années 30.
Toute la ville danse (1938)
Julien Duvivier aime décidément varier les genres. Dans la foulée du film à sketches Un carnet de bal, il part pour la première fois aux Etats-Unis réaliser cette biographie musicale romancée sur la vie de Johann Strauss. C’est le succès de son Pépé le Moko qui avait attiré l’attention des patrons de la MGM. Lorsqu’il prend la direction de ce biopic, il succède à Victor Fleming, le premier réalisateur engagé sur le projet. Fleming - qui va enchaîner Autant en emporte le vent et Le Magicien d’Oz l’année suivante - quitte Toute la ville danse après 7 semaines de travail et il ne sera pas crédité - tout comme Josef von Sternberg, venu en renfort au moment du montage. Malgré un tournage chaotique, le résultat aura un grand admirateur : le producteur David O. Selznick qui, au cœur du tournage d’Autant en emporte le vent, incitera toute son équipe à aller découvrir au cinéma ce qu’il considérait comme l’une des meilleures réalisations techniques d’un film hollywoodien depuis des années. Julien Duvivier, lui, retournera aux Etats-Unis, pendant la Seconde Guerre mondiale pour signer cinq films entre 1941 et 1944 : Lydia, les deux films à sketches Six destins et Obsessions, L’Imposteur et Destiny (pour lequel il ne sera pas crédité).
La Grande Vie (1960)
En 1952 avec Le Petit Monde de don Camillo, Julien Duvivier entame une fructueuse collaboration avec l’écrivain et futur auteur de La Nuit des temps, René Barjavel. Suivent Le Retour de don Camillo, L’Homme à l’imperméable, Boulevard, un des sketchs des Dix commandements, Chair de poule et cette Grande vie, tourné en Allemagne. Le tandem adapte ici La Jeune fille en soie artificielle, un roman d’Irmgard Keun publié en 1932, avec l’aide de Robert Adolf Stemmle, le coscénariste de La Kermesse héroïque. Pour jouer le rôle principal, une petite dactylo idéaliste à la recherche du grand amour, le cinéaste fait appel à l’italienne Giulietta Masina, révélée six ans plus tôt par La Strada de son mari Federico Fellini. Ce sera l’une des deux seules fois qu’elle tournera sous la direction d’un cinéaste français avec Aujourd’hui peut-être… de Jean-Louis Bertuccelli, son dernier long métrage en 1991.
Diaboliquement vôtre (1967)
Lorsqu’il se lance dans ce projet, Julien Duvivier sort de quatre ans d’inactivité passés à lutter contre une grave maladie. Il décide d’adapter Manie de la persécution, un roman de Louis C. Thomas, auteur régulier du feuilleton Les Cinq dernières minutes. Pour ce film noir qui raconte la quête d’identité d’un homme devenu amnésique à la suite d'un grave accident de voiture, il s’entoure de Paul Gégauff, complice d’écriture habituel de Claude Chabrol, et dirige pour la première fois Alain Delon. Le film est surtout un véritable exploit technique puisque Duvivier parvient à tourner deux versions différentes– l’une en français, l’autre en anglais – en seulement cinq semaines et trois jours ! Le cinéaste sort épuisé de ce tournage et est victime d’une crise cardiaque au volant de sa voiture le 29 octobre 1967, quelques jours avant de visionner le premier montage de Diaboliquement vôtre, qui sortira deux mois après sa disparition.