En 1969, Gérard Oury vient de remporter un grand succès avec Le Cerveau porté par le duo Belmondo-Bourvil. Le film totalise alors 5 547 305 entrées. Le cinéaste met tout de suite en chantier une libre adaptation de Ruy Blas, la pièce de théâtre en cinq actes de Victor Hugo. Comme pour La Grande Vadrouille et Le Cerveau, Gérard Oury écrit le scénario avec sa fille Danièle Thompson et Marcel Jullian. L’intrigue se passe dans l’Espagne du XVIIe siècle. Le ministre des Finances du roi d’Espagne, Don Salluste (Louis de Funès), profite de ses fonctions pour s’enrichir. La reine (Karin Schubert) entend chasser de la cour cet énergumène. Pour sauver sa tête, ce dernier demande à son valet, Blaze (Yves Montand) de la séduire.
Dès la fin du tournage de La Grande Vadrouille, Gérard Oury avait promis à Louis de Funès et Bourvil de leur écrire un autre projet spécialement pour eux. Pour éviter la redite, le cinéaste a toutefois préféré enchaîner avec Bourvil mais sans de Funès pour Le Cerveau. La Folie des grandeurs, qui ne s’appelle pas encore ainsi, est mis sur les rails fin 1969, début 1970. Louis de Funès jouera Don Salluste et Bourvil, le valet Blaze. Malheureusement, Bourvil est sorti du tournage du Cerveau éreinté, d’autant qu’il a enchaîné avec Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville et Le Mur de l’Atlantique de Marcel Camus. En réalité, l’acteur est atteint d’un cancer et ses jours sont désormais comptés. Gérard Oury et son producteur Alain Poiré décident tout de même de poursuivre la préparation du film.
Les scénaristes continuent de s’amuser avec la prose de Victor Hugo. « Le but du jeu, explique Danièle Thompson à Jean-Pierre Lavoignat dans l’ouvrage Gérard Oury, mon père l’as des as (éditions de La Martinière), est de tordre complètement chaque scène pour la transformer en situation de comédie, alors que la pièce, machiavélique histoire de vengeance, est très noire. » La scénariste devenue plus tard réalisatrice concède également : « On louche un peu du côté de L’Avare, on piquera d’ailleurs deux répliques à Molière et on fait [de Don Salluste], un courtisan obsédé par l’argent. » Cette relecture permet l’écriture de la célèbre réplique : « Monseignor, il est huit or, l’or de se réveiller… »
Le premier titre envisagé pour cette parodie de Ruy Blas était Les Sombres Héros. Peu convaincue par ce titre qu’elle ne trouve pas franchement prometteur pour une comédie, Danièle Thompson propose La Folie des grandeurs.
Le tournage de La Folie des grandeurs est prévu pour le printemps 1971 en Espagne. Le 23 septembre 1970, Bourvil meurt à l’âge de 53 ans. Gérard Oury interrompt un séjour à New York où vit sa fille, pour assister aux obsèques de l’acteur. La production de La Folie des grandeurs est arrêtée. Sans Bourvil, le film est devenu impossible.
Quelques jours après le décès de Bourvil, Gérard Oury assiste à une soirée mondaine en l’honneur du chef opérateur Henri Decaë qui, après Le Cercle rouge, doit signer la lumière de La Folie des grandeurs. C’est ce soir-là que Simone Signoret suggère à Gérard Oury d’engager Yves Montand pour remplacer Bouril. Les deux acteurs ont un profil opposé, mais l’idée séduit le cinéaste. « On avait conçu pour Bourvil un valet de comédie, genre Sganarelle, précise Danièle Thompson. Montand sera plus proche de Scapin. Avec lui, le valet peut devenir un séducteur dont la reine tombe amoureuse au premier regard, et non petit à petit en raison de sa gentillesse, de son dévouement et de son honnêteté comme cela aurait été le cas avec Bourvil. »
La Folie des grandeurs se tourne en Espagne dans une ambiance studieuse et festive. L’Espagne est encore franquiste et il a fallu toute la persuasion nécessaire de l’intellectuel Jorge Semprún pour qu’Yves Montand, communiste revendiqué, accepte de tourner dans un pays encore sous le joug d’un régime dictatorial. « S’amusant et jouant de leurs différences, aussi bien physiques que politiques, Montand et de Funès s’entendent très bien, ajoute Danièle Thompson. Chacun veut être à la hauteur de l’autre. Et cela les pousse à se dépasser. »
Le tournage de La Folie des grandeurs se déroule successivement à Barcelone, Pedraza, Madrid, Tolède, Séville et Grenade. Les séquences dans le désert ont été tournées près d’Almeria, là même où David Lean avait placé ses caméras pour Laurence d’Arabie. C’est lors d’un dîner à Genève passé très en amont du tournage que Gérard Oury, accompagné de sa femme Michèle Morgan, est parvenu à obtenir du futur roi d’Espagne, Juan Carlos, les autorisations de tournage dans des lieux historiques habituellement fermés au public. La musique du film signée Michel Polnareff s’inspire autant du flamenco traditionnel que des compositions d’Ennio Morricone pour les westerns spaghettis de Sergio Leone.
La Folie des grandeurs sort en décembre 1971 et dépasse d’une courte tête Le Cerveau avec 5 563 354 entrées. L’accueil critique est bon. Ainsi, Henry Chapier parle dans Combat « d’un conte voltairien issu de l’imagination d’un homme bien né, c’est-à-dire d’un être libre, au zénith de son pouvoir d’expression (…) Il restait, entre les slogans contestataires ou une amertume à la Jean Anouilh, une voie à trouver : non pas celle du rire farceur, mais celle du sourire malicieux et railleur. »
Gérard Oury va dès lors poursuivre sa route avec son acteur fétiche, Louis de Funès. Ce sera Les Aventures de Rabbi Jacob et ses sept millions d’entrées. Concernant le chapitre de La Folie des grandeurs, Danièle Thompson le clôt en rappelant un dicton que ne cessait de lui répéter son père : « Je n’ai qu’un message : quand les hommes rient, ils ne sont pas méchants. »
LA FOLIE DES GRANDEURS
Écrit par Gérard Oury, Danièle Thompson et Marcel Jullian
Produit par Alain Poiré
Musique de Michel Polnareff
Photo de Henri Decaë