Un film sur la musique
Ce n’est pas pour rien que la réalisatrice berlinoise Ina Weisse a choisi de situer son deuxième long métrage (après un premier, L’Architecte, tourné en 2008 mais resté inédit dans les salles françaises) dans le monde de la musique. Elle comme sa coscénariste Daphne Charizani ont joué du violon et du violoncelle pendant des années et même fait partie d’un orchestre. « Nous étions donc familières de ce milieu et du processus souvent pénible des exercices quotidiens », explique la cinéaste. Et en tandem, elles ont donc imaginé l’histoire d’Anna (incarnée par Nina Hoss, la comédienne fétiche de Christian Petzold, fer de lance de la nouvelle Nouvelle Vague allemande), une prof de violon au Conservatoire qui, après avoir poussé à l’admission d’un élève que ses collègues trouvaient trop juste, va entraîner ce dernier aux examens de fin d’année de manière très intensive. Comme si plus rien d’autre ne devait compter ni pour elle, ni pour lui. « Il s’agissait pour nous de décrire ce processus chronophage qui exige une précision de chaque instant : le travail de la musique ». Et ce de l’intérieur puisque c’est même pendant les premiers repérages dans une école de musique qu’Ina Weisse a rencontré le jeune Ilya Monti - qui incarne l’élève d’Anna – avant de l’accompagner tout au long des deux années qui vont précéder le tournage. Enfin, la musique joue aussi un rôle essentiel dans l’atmosphère même entourant le récit : « Le fait qu’on interrompe souvent à l’écran les morceaux de musique de façon brutale a ainsi été décidé très tôt au court du montage et détermine le rythme du film tout entier ». Ce sentiment d’intranquillité permanente qui le traverse de part en part.
Un film sur une femme obsessionnelle
Mais aussi importante et juste que soit la représentation du monde de la musique à l’écran, elle sert aussi d’écrin à une histoire qui transcende cet univers : le portrait d’une femme prise au piège de son obsession à avoir raison contre tout le monde et par ricochet, à apaiser ses propres doutes et tourments intimes. « J’ai tenté ici de décrire la déchirure intime et l’état d’insécurité de cette femme. Anna est convaincue que tout doit être subordonné à la musique mais que même si on se donne à fond, rien ne sera jamais assez bon ni assez achevé. Et cette pression augmente alors qu’elle est en difficulté au sein du quartet où elle joue elle-même. »
Cette intransigeance envers son élève raconte surtout son incapacité à affronter ses peurs, ses échecs et ses limites. « Anna a beaucoup de mal avec ses angoisses », résume Ina Weisse. Et cette dernière le traduit à l’écran par une mise en scène qui, derrière un apparent classicisme, fait monter, sans jamais rien laisser paraître, une tension de plus en plus étouffante. Celle vécue en son for intérieur par une mère toute en contradictions autodestructrices qui transmet aux autres la pression qui pèse sur elle. « En cela, elle se rend coupable et elle le sait. »
Un film sur une famille qui implose
La relation entre Anna et son élève a forcément des dommages collatéraux pour l’entourage de cette prof. Son fils apprenti musicien se sent relégué, méprisé et voit monter en lui une jalousie de plus en plus incontrôlable. Et son mari, un homme amoureux qui entoure sa femme d’une bienveillance qui augmente avec les angoisses de cette dernière. « Il voit ses problèmes mais il n’intervient pas parce que, selon lui, chacun doit décider soi-même de sa vie. Les contraintes et les limitations lui sont étrangères. Il est là pour elle, conscient du danger qui menace sa famille. » Il y a donc beaucoup de non-dits dans les relations de ce trio qu’on retrouve dans la manière dont Ina Weisse évoque la liaison adultérine d’Anna. Comme quelque chose d’acté, connu de son mari, mais qui n’altère en rien la relation du couple. Ce parti pris symbolise l’absence de tout discours moralisateur dans L’Audition, laissant le spectateur libre de choisir son camp sans lui forcer la main et de guetter les dommages collatéraux de cette bombe à retardement émotionnelle sur cette famille.
L’Audition, en salles le 6 novembre, a bénéficié de l’aide sélective à la distribution (aide au programme).
