Le Katorza, temple du cinéma nantais depuis 100 ans

Le Katorza, temple du cinéma nantais depuis 100 ans

19 décembre 2019
Cinéma
Le cinéma Katorza à Nantes
Le cinéma Katorza à Nantes Thierry Butzbach
Cinéma de centre-ville très prisé des Nantais, avec une programmation pointue, mais populaire, orientée art et essai, le Katorza fête ses cent ans. Petite histoire hors du commun d’un cinéma qui ne l’est pas moins.

Des origines foraines

Venu de la Tunisie, Salomon Kétorza arrive en France en 1877 et commence à la fin des années 1890 une activité de cinéma ambulant, « le plus grand circuit de cinéma forain de France », précise Caroline Grimault, l’actuelle directrice du Katorza. Avec ses frères, il acquiert un projecteur Méliès en 1898 et s’installe dans les foires, notamment celle de Nantes. Il se sédentarise au moment de la Première Guerre mondiale, sent venir le déclin du cinéma forain et décide alors d’acheter plusieurs terrains à Nantes. Après avoir été le directeur de l’Apollo (qui deviendra le rival du Katorza), il acquiert un autre cinéma qu’il ne parvient pas à ouvrir, allant d’autorisations provisoires en fermetures, notamment en raison des normes incendie, la pellicule étant hautement inflammable. A force de persévérance, il finit par concrétiser son projet, et le Katorza ouvre officiellement ses portes le 4 juin 1920, rue Corneille, d’où il n’a pas bougé depuis. Le premier film projeté est Barrabas, de Louis Feuillade.

Destruction durant la Seconde Guerre mondiale

Kétorza meurt quelques années plus tard, à 65 ans. Sa veuve embauche alors une jeune secrétaire qui marquera profondément l’histoire du Katorza : Gabrielle Nouaille. Elle devient la compagne du nouveau directeur, Marcel Heitzeberg. Ce dernier décède dans un accident de voiture, en 1932. Gabrielle Nouaille rachète alors le bail du cinéma en 1941 et poursuit l’exploitation du cinéma jusqu’à 1943. Le 16 septembre de cette année, lors d’un bombardement, le Katorza est détruit en grande partie, et seuls quelques murs et le balcon restent debout. « Mais Gabrielle Nouaille ne doute pas que les Américains vont gagner la guerre et que le cinéma va renaître de ses cendres », assure Caroline Grimault. Elle devient la propriétaire du cinéma après-guerre et entreprend de restaurer les lieux. Le 30 avril 1951, le cinéma rouvre, flambant neuf, avec une salle unique de 1 200 places.

À la pointe de la technologie

Alors que le CinemaScope commence à attirer l’attention dans les salles anglaises et américaines, Gabrielle Nouaille a l’intuition que la technologie pourra remettre le Katorza sur la carte des cinémas nantais. À l’époque, la concurrence est en effet très rude, notamment face à l’Apollo, l’autre salle historique. Elle casse donc la scène du cinéma et, en 1953, « passe un accord avec Jack Warner de Warner Bros et la Metro-Goldwyn-Mayer, pour pouvoir diffuser des films en CinemaScope. C’est la première salle hors de Paris à être capable projeter des films dans ce format. » Fort de cette exclusivité technologique, le Katorza programme notamment La Tunique d’Henry Koster, le premier long métrage exploité en CinemaScope.

Jacques Demy et le Katorza

Gabrielle Nouaille meurt d’un cancer en 1959. Son successeur, Jean-Serge Pineau, fait la connaissance de Jacques Demy et de sa compagne Agnès Varda. Le directeur du Katorza et le réalisateur deviennent bientôt amis. Demy cherche des décors pour son nouveau film, Lola, mais dispose d’un budget très limité. Pineau lui propose de tourner des scènes dans le bar de son cinéma, tout en lui permettant de visionner les rushes dans la salle. La première de Lola aura évidemment lieu au Katorza, que Pineau va faire passer au 70 mm et transformer en multisalles. À la fin des années 1960, il sent en effet qu’un seul film à l’affiche ne suffit pas à faire rentrer assez d’argent : il scinde la salle en deux et lance dans la foulée une troisième salle, orientée art et essai. C’est l’ADN du Katorza d’aujourd’hui. Pineau se met alors à travailler avec les ciné-clubs nantais et également l’antenne nantaise de la Cinémathèque française.

La polémique Je vous salue, Marie

Sorti début 1985, Je vous salue Marie de Jean-Luc Godard ne semble pas poser de problèmes aux Français. Mais Jean-Serge Pineau sent qu’une polémique pourrait naître : « Il a vu le film et qu’il peut heurter la bien-pensance catholique assez forte à Nantes. C’est ici que tout va se cristalliser » raconte Caroline Grimault. Des intégristes se mettent à prier devant le Katorza pour empêcher les gens de rentrer dans la salle et la situation dégénère le 6 février, quand une échauffourée éclate avec des spectateurs mécontents. Le Katorza fait alors la une des journaux télévisés. « Des villes l’ont retiré de l’affiche, mais le maire de Nantes a refusé. C’est à cette époque que naît la réputation subversive du Katorza. Pourtant c’est un cinéma populaire, qui passe des Lelouch, des Belmondo, le James Bond de Noël… »

Rachat par Cinéville

En 1993, le Gaumont de Nantes ouvre 12 salles – au lieu de 6 – et des projets de multiplexes se profilent en périphérie. En tout, on parle d’un potentiel de 42 salles. Pineau, craignant cette nouvelle concurrence, convainc sa famille, propriétaire du Katorza, de revendre. Pour assurer la pérennité du cinéma, Cinéville prend la gérance et affirme, à travers le nouveau directeur, Philippe Hervouët, son identité autour du cinéma d’auteur et de la version originale.

Absurde séance

En 2000, un des agents d’accueil du Katorza, Jean-Maurice Bigeard, grand amateur de « cinéma bis », propose à Philippe Hervouët de monter une séance décalée : L’Absurde séance. « Au départ, c’était toutes les semaines, maintenant tous les quinze jours, un jeudi sur deux. C’est un moment festif et drôle qui amène des générations plus jeunes à fréquenter le Katorza, ce qui aide à faire tomber la barrière “temple de la culture d’une salle art et essai” » explique Caroline Grimault.

Des festivals à foison

Cinéma attaché à la version originale, le Katorza noue rapide des liens très forts avec les festivals nantais qui fleurissent dans les années 1980-1990. Ainsi naissent des partenariats avec le Festival des Trois Continents ou le Festival du Cinéma espagnol (quelques années plus tard, Univerciné ou Cinépride les rejoindront) : « On a dix festivals dans l’année, ce qui est énorme, analyse Caroline Grimault. On intervient avec eux sur la programmation, notamment sur la négociation d’avant-premières, de sorties de films, de films inédits distribués. On les aide aussi sur la mise en place de la communication. »

Célébration des 100 ans

Rebaptisé « Le Cinéma des Nantais », le Katorza a commencé à fêter son centenaire il y a quelques mois. « Le premier clap a eu lieu durant les Journées du patrimoine, où l’on a parcouru 100 ans de cinémas à travers une quinzaine de films qui ont marqué l’histoire de la salle. » Une séance « Cent ans » aura également lieu durant plusieurs festivals dont le cinéma est partenaire. « Le deuxième clap sera au réveillon du 31 décembre, avec une soirée spéciale. Et pour le troisième clap, on fera une séance en plein air le 19 juin. Le 20, toutes les séances seront à 1 euro, certainement avec une avant-première », assure Caroline Grimault. Par ailleurs, un livre sur l’histoire du Katorza, agrémenté de photos d’archives, sortira au premier semestre 2020. Le meilleur moyen de boucler la boucle.

Le Katorza, 3, rue Corneille, à Nantes. https://nantes.katorza.fr