Au début des années 1980, une poignée de passionnés mordus d’images se regroupent en association Loi 1901 et créent Cinéco – Ciné pour cinéma, Co pour collectif. Ce circuit de cinéma itinérant est destiné aux habitants du Gard et de la Lozère éloignés des villes. « À l’époque, il faut rouler deux heures pour trouver les premières salles de cinémas Art et Essai, souligne Vincent Kopf, directeur de Cinéco et vice-président de l’ANCI (Association Nationale des Cinémas Itinérants). Le territoire des Cévennes est particulier : 10 % de la population habite en ville. Les 90 % restants sont dispersés dans des hameaux en montagne. Cinéco a été créé par un public de cinéphiles qui a souhaité faire du cinéma chez lui, dans les vallées cévenoles, à défaut de pouvoir y aller ailleurs.»
Du 16mm au numérique
Quand l’aventure Cinéco démarre en 1983, l’époque est au format 16mm. « Des débuts modestes », rappelle Michel Lafont, trésorier de l’association, projectionniste et bénévole historique, membre du bureau Cinéco de la commune gardoise de Lasalle (1130 habitants environ) aux portes des Cévennes.« Cinéco se déplaçait dans trois ou quatre villages et projetait 12 films par an (1 par mois) contre une centaine actuellement. » À l’époque, les bénévoles transportent de village en village l’unique projecteur de la structure qu’ils déplacent au gré des séances. La décennie 1990 marque ensuite l’arrivée du 35 mm. L’offre de films en 16mm se raréfie. Il faut s’équiper de nouveaux projecteurs que Cinéco obtient grâce aux subventions publiques. « L’arrivée du 35mm a permis à Cinéco d’accéder à tous les films en cinquième semaine avec une montée en charge en termes d’offre et de séance », note Vincent Kopf. Cinéco embauche son premier salarié et agrandit son périmètre de diffusion. Nouvelle révolution en 2014 : la bobine et l’argentique laissent place au numérique, ce qui démultiplie encore les possibilités. Dix ans plus tard, Cinéco se déploie sur près de 100 communes dont 80 régulières. « L’équivalent en surface d’un grand département. Nous allons jusque dans le Piémont, autour d’Alès, au-dessus de Mende… ».
Une programmation éclectique
La structure s’appuie sur une équipe de 9 salariés et 120 bénévoles. Tous font partie du conseil d’administration qui décide une fois par trimestre de la programmation. « Nous programmons entre 4 et 5 films par mois. Nous conservons les 2/3 des propositions de chacun des villages intégrés au circuit. Le dernier tiers de la programmation est apporté par les membres présents le jour de la réunion avec un vote à la clé, résume Vincent Kopf. C’est un fonctionnement très collégial. » Courts et longs métrages, fiction, documentaire, animation, drame, comédie, œuvres françaises ou étrangères, doublées ou en version sous-titrée française… Cinéco propose une programmation éclectique. « Nous n’avons pas de concurrence sur notre zone. Nous devons donc offrir des films de qualité et diversifiés, souligne Vincent Kopf dont la structure diffuse un court métrage en avant séance à chaque projection. Nous avons par ailleurs la chance de pouvoir découvrir en avant-première des films en festivals (Cannes, Clermont-Ferrand…) et faisons également partie du groupe Inédit de l’Association Française des Cinémas Art et Essai - AFCAE [dont la mission est de favoriser l’accès aux salles, sur tous les territoires, de films recommandés Art et Essai, ndlr]. Le réseau de promotion et de diffusion des œuvres est très efficace en France. Il nous permet d’être connecté à l’actualité et de programmer les films dans les temps ».
En plein air et en salle
Cineco projette certains films en « circuit libre ». En effet, « les villages peuvent ajouter des propositions d’œuvres en fin de mois, un cinéma à la carte en quelque sorte », explique Michel Lafont. En dehors de sa programmation itinérante, la structure organise aussi des événements spécifiques : ciné-débats, projections imaginées dans le cadre de festivals (festivals Jeune Public, festivals de films documentaires comme Doc Cévennes, etc.) Elle conçoit également une « Nuit du court métrage » chaque été. Cette programmation qui se déroule à la belle étoile, parfois jusqu’à l’aube, est composée de pépites repérées dans des festivals comme celui du court métrage de Clermont-Ferrand. « Nous travaillons par ailleurs avec l’Agence du court métrage, ajoute Vincent Kopf. Nous avons organisé la sixième Nuit du court métrage cette année. Et ça fonctionne bien ».
Le plein air représente une petite partie de l’activité de Cinéco. « La majorité de nos projections se déroulent dans des salles municipales, communales, salles des fêtes, où nous n’avons qu’à emporter le son et le projecteur, note Vincent Kopf. Concernant le plein air, nous projetons en extérieur l’été, principalement dans le Gard, pour des raisons de climat. Nous projetons sur des places de village, sur des ponts, dans des prés, des grottes… ». En 2023, 80 projections ont été organisées en extérieur pour une moyenne de 100 spectateurs chacune. « Le défi du plein air réside dans le fait que nous devons transporter tout l’équipement : le système son, le projecteur, l’écran…, explique Vincent Kopf. Il faut nous adapter pour être le plus léger possible, d’autant que les équipes utilisent leur propre véhicule pour transporter le matériel. » Cinéco dispose notamment de 6 écrans gonflables « de 6 et 8 mètres, précise Vincent Kopf, ce qui assure une qualité de projection très correcte en extérieur ». Autre défi : l’absence de locaux. Pour y remédier, Cinéco mise sur une organisation au cordeau.« Chacun des 6 projecteurs NEC 2K dont dispose la structure est conservé dans un village. Les opérateurs-projectionnistes (bénévoles ou salariés) viennent les chercher, les déplacent pour les projections et le cycle recommence pour la projection suivante ». Outre les défis de logistique et le travail lié à la projection des films, les équipes de Cinéco assurent également le suivi de projets événementiels, les tâches de communication ou encore la gestion technique des projecteurs.
Permettre à tous de voir des films sur grand écran
Si la ligne éditoriale de Cinéco est diversifiée, elle s’adapte néanmoins « à la sociologie des vallées, des territoires et des publics, rappelle Vincent Kopf. Sur ce territoire qui compte environ 5 à 7 habitants au km², le public de Cineco est un public cinéphile constitué historiquement de néo-ruraux, précise-t-il. Nous avons également des jeunes et des enfants. En revanche, le public des 15-25 ans n’existe pas sur notre territoire. À partir du lycée, les jeunes partent en effet en internat. Ils sont absents en semaine. Puis, très souvent après leur baccalauréat, ils quittent la région. » En plus de son activité historique de cinéma itinérant dans les villages cévenols, Cinéco diversifie ses activités auprès de publics spécifiques. Pendant les vacances scolaires, la structure projette des films pour le jeune public. Elle mène également des activités d’éducation à l’image dans les écoles, sous son propre dispositif, et dans les collèges des alentours dans le cadre du dispositif national Collège au cinéma. Ainsi, en 2023, 102 séances ont été organisées dans 27 écoles rassemblant 3 829 élèves et 12 séances dans 4 collèges touchant 592 collégiens. « Par ailleurs, chaque mois, un groupe d’une vingtaine d’adolescents d’un village de notre périmètre choisit un film que nous ajoutons dans notre programmation mensuelle. Récemment, nous avons projeté Flow [de Gints Zilbalodis], Sauvages [de Claude Barras] et Vaïana 2. Les adolescents sont un public difficile à toucher. Nous avions imaginé ce projet il y a quelques années. Nous avons dû l’arrêter en raison du Covid et nous le relançons aujourd’hui ». La structure intervient par ailleurs auprès des publics empêchés : détenus, personnes âgées en EHPAD ou encore personnes en situation de handicap.
Pérenniser le fonctionnement
Les recettes de Cinéco proviennent pour 30 % d’entre elles de la billetterie (avec des tarifs compris entre 4 et 6 euros), 20 % de subventions publiques et 50 % de prestations annexes. Concernant les dépenses, le renouvellement des équipements, notamment des projecteurs numériques dont le vieillissement peut être accéléré en raison des conditions de projection spécifiques à l’itinérance, est un poste important pour Cinéco. « Mais il y a surtout un effort constant de formation, de suivi, de maintenance et de remise à niveau des projecteurs », précise Vincent Kopf.
En mai 2024, au Festival de Cannes, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a annoncé une enveloppe globale d’1,5 million d’euros dédiée à l’accompagnement des circuits itinérants. Ce soutien est mis en œuvre par le CNC dans le cadre de l’aide sélective à la petite et moyenne exploitation. Il répond à deux objectifs : permettre aux cinémas itinérants de renouveler leurs équipements et développer l’emploi dans ce secteur. À l’heure où le secteur cinématographique opère sa transition écologique, Cinéco a prévu de se doter d'un projecteur modifié laser pour un test en situation réelle dans le cadre des expérimentations menées par l'ANCI. « L'objectif est de garantir le fonctionnement de la structure pour les dix ans à venir », explique Vincent Kopf qui rappelle en parallèle « que l’activité itinérante est une petite niche dans le secteur de l’exploitation. Les projecteurs des circuits itinérants fonctionnent peu en comparaison de ceux des salles de cinéma classiques qui ont tout intérêt à passer en premier à la technologie laser. Nous disposons de 4 projecteurs issus de la première numérisation de 2011-2012. Nous en prenons soin. Ils sont en bon état même après avoir été transportés par les équipes dans des conditions parfois difficiles sur des routes sinueuses. Le passage des salles physiques à la technologie laser ouvre un marché de l’occasion pour les circuits itinérants afin de s’équiper en complément de projecteurs plus récents. Nous sommes confiants en l’avenir. »
Un lien entre les vallées
En quarante ans, les équipes de Cinéco ont parcouru pas moins de 900 000 kilomètres. En 2023, la structure a projeté 106 films dont 19 en VO pour un public de 23 214 spectateurs sur près de 100 communes. Depuis sa création, Cineco a organisé 16 906 séances itinérantes touchant près de 500 000 spectateurs (soit près de 10 fois la population de la Lozère). « Les lieux de rencontre se perdent dans les zones rurales, relève Vincent Kopf. Faire la démarche de sortir de chez soi pour aller partager un film est important. Le cinéma permet de voyager, de s’ouvrir à d’autres cultures. Il participe à l’altérité et à accepter l’autre dans sa différence. » Michel Lafont croit également à la dimension sociale et citoyenne du cinéma. « L’émotion partagée à 20 ou 30 personnes dépasse largement celle que l’on peut éprouver seul devant son téléviseur. Ce sens du collectif que permet Cinéco en amenant le cinéma au plus près des habitants est fondamental. Le cinéma lutte contre l’isolement. Ici, il permet de relier les vallées cévenoles entre elles ». Créer du lien entre les territoires et leurs habitants, un aspect essentiel dans les zones rurales. « Les chiffres le montrent : nous avons retrouvé une belle fréquentation au niveau national, se réjouit Vincent Kopf. Ne l’oublions pas, le cinéma est souvent la lumière qui brille le plus, du matin au soir, dans certains villages »