C'est un écrin qui fait vivre le cinéma dans le Val d'Oise depuis les années 1920. À une heure de Paris, au cœur de la petite commune de Beaumont-sur-Oise, se trouve Le Palace, un édifice au style Art déco dont l'histoire remonte au tout début du XXe siècle, et à l'Exposition universelle de 1900. Le bâtiment fut construit en 1914 et « au départ, raconte Ludovic Ledru, l'actuel directeur du cinéma, il s’agissait d’une salle polyvalente datant des années 1900, où se trouvait notamment une piste de skating, c'est à dire du patin à roulettes. On a encore les traces de l'ancien parquet dans le bâtiment d'ailleurs. » Dès le début, les propriétaires du lieu décident de miser sur la pluridisciplinarité. « Les propriétaires ont très vite décidé de construire une salle de concert et ils sont allés se servir en matériaux à l'Exposition universelle de Paris qui venait de se terminer. On le voit encore aujourd'hui sous la cabine de projection : les équerres qui la soutiennent sont dans le style Eiffel. C'est la famille Villain qui était derrière ce projet à l'époque. Ils possédaient également le café situé juste à côté. Les gens venaient au bistro acheter leurs places pour le soir... »
Le cinéma pour le grand public n'existait pas encore. Et c'est seulement en 1920 que Le Palace va trouver sa raison de vivre et lancer ses premières projections : « Il n'y avait pas la place à l'intérieur, alors ils ont collé une cabine à l'extérieur, sur la façade », poursuit le directeur. « Le projectionniste devait passer par une échelle à l'extérieur. Et aujourd'hui encore, cette cabine est toujours notre cabine de projection et on y accède toujours de la même façon. »
En 1928, un nouveau propriétaire prend les commandes du Palace, avec M. Laroque, puis c'est la famille Courteaux qui reprend le cinéma en 1937. Elle décide alors d'entreprendre de grands travaux et fait installer un balcon, qui prend un tiers de la salle, faisant passer sa capacité à 600 places. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'édifice est réquisitionné par les Allemands, qui transforment Le Palace en Soldaten Kino, un cinéma pour les soldats de la Wehrmacht, qui ne passe que des films de propagande.
Style Art déco
Avec l’après-guerre commence une période de flottement et d’incertitude pour le cinéma. L'établissement est vendu à la famille Durighello qui va profiter du grand boom du cinéma en France pour lancer de gros travaux de restructuration. Du 5 août au 24 septembre 1952, le cinéma change de look : « Le plafond a entièrement été repensé, les fauteuils ont été relookés et la façade est repensée dans un style Art déco, très en vogue dans les années 1930. On n’a jamais su pourquoi cette architecture avait été choisie, mais elle devient alors, en quelque sorte, la signature du cinéma », reconnaît Ludovic Ledru. Ce dernier évoque un autre mystère, qui orne cette façade unique en France. « Il y a trois cercles sur cette façade. On dirait les anneaux olympiques, mais on ne sait pas exactement ce qu'ils sont censés représenter... » Quoiqu’il en soit, et malgré ces énigmes architecturales, la configuration de la salle ne bougera plus beaucoup. Et deviendra un symbole patrimonial. Si Le Palace projette des films depuis plus de 100 ans, il est en effet devenu, au fil des décennies, un lieu emblématique de la culture française. C'est là que le jeune Charles Aznavour donna son premier récital au milieu des années 1940. « Parce qu'il habitait à Presles, juste à côté » explique Ludovic Ledru. C'est aussi là que, dans les années 1980, s’installe La Dernière Séance, l'émission cinéphile présentée par Eddy Mitchell. « Il va faire plusieurs tournages ici, se souvient Ludovic Ledru avant de partir filmer l'émission du côté de Romainville, pour des raisons pratiques. Le Palace et son esthétique collaient vraiment à l'image du cinéma qu'Eddy Mitchell, fan de films des années 1950, aimait. » Et puis dans les années 1990, Les Nuls viennent y tourner une scène de leur comédie La Cité de la Peur, « celle du flashback en noir et blanc, où ils parlent du festival Cinéma et moutarde »…
Encore 22 000 spectateurs par an
Il y a 30 ans, l’édifice a été inscrit aux Monuments historiques, pour être définitivement protégé : « La municipalité a repris le cinéma en 1990. Le lieu était en danger : dans les années 1980, tous les cinémas mono-écran ont périclité. C'est une loi de Jack Lang qui a permis aux collectivités de reprendre ces cinémas historiques et la mairie de Beaumont-sur-Oise en a profité pour le racheter et le garder en l'état. » Aujourd'hui Le Palace est classé Art et essai. « On est toujours un cinéma mono-écran, ce qui n'est pas simple avec tous les films qui sortent. Mais on est un cinéma de proximité, et les habitants sont attachés au lieu. Ce qui n’empêche pas d’assurer son entretien : on prépare d’ailleurs une grosse rénovation de la salle », dévoile le directeur, qui se réjouit de proposer environ un millier de séances par an. « On fait aussi beaucoup d'éducation à l'image. On a un partenariat avec le lycée, qui a d'ailleurs participé au César des Lycéens cette année. On propose également des séances spéciales pour le très jeune public. C’est grâce à toutes ces activités que Le Palace peut s’enorgueillir d’accueillir en moyenne 22 000 spectateurs chaque année. »