Comment ce festival s’est-il monté ?
Christian Landais : La « reconquête » du public jeune est un sujet qui traverse l’ensemble des industries culturelles. Quand nous avons pris connaissance de l’appel à projets 15-25 ans du CNC [dont l’objectif est de soutenir des actions de diffusion culturelle à destination des jeunes âgés de 15 à 25 ans pour une durée maximale de trois – NDLR], nous avons réfléchi à la meilleure façon de capter ce public spécifique, particulièrement sollicité et confronté à des sources multiples d’intérêts sur les réseaux. Aujourd’hui, les Youtubeurs, les streamers, les influenceurs s’avèrent des médiateurs privilégiés pour s’adresser aux adolescents et aux jeunes adultes. Sous la houlette d’Éric Busidan, qui m’a précédé à la fonction de délégué général, l’ADRC a construit Les Mycéliades en duo avec Images en bibliothèques autour de la rencontre entre la salle de cinéma et la médiathèque, deux équipements culturels de proximité et de diffusion. Dérivé du mot « mycélium », le festival renvoie à cette image de filaments. Nous avons en effet souhaité créer des passerelles entre le cinéma, la littérature (romans, BD, mangas), la création numérique et le jeu vidéo en faisant dialoguer scientifiques, auteurs, universitaires et créateurs du Web.
Emmanuel Didier : Le festival repose sur deux piliers : la vulgarisation scientifique et la démocratisation culturelle. Nos deux structures ont réfléchi très tôt, avant même de connaître le résultat de cet appel à projets, à la manière de rendre cet événement attractif auprès des 15-25 ans, notre cible première, que nous avons élargie aux 15-35 ans. Choisir la science-fiction – genre par ailleurs très présent sur le Web – comme fil rouge du festival permettait à la fois de parler de la culture sous toutes ses formes et de rendre la science accessible. Il existe un vivier de talents, de créateurs et de vidéastes à mobiliser sur ce sujet. L’objectif était qu’ils puissent incarner le festival auprès de leur communauté. Nous avons établi une première liste d’intervenantes et intervenants possibles, noué des partenariats avec des maisons d’édition, des revues scientifiques ainsi que des établissements comme le Centre national d’études spatiales (CNES) ou la société savante SFE (Société française d’exobiologie) afin de proposer des animations aux salles de cinéma et aux médiathèques participantes. Cette année encore, nous nous associons aux bibliothèques universitaires de villes comme Metz et Nancy avec l’objectif de tisser des liens avec les cinémas (Le Klub à Metz, le Caméo à Nancy). La complémentarité guide le festival : tiktokers, universitaires, cinéastes sont tout autant légitimes pour aborder la science-fiction, chacun à leur endroit.
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En quoi le festival a-t-il également l’ambition de valoriser les dynamiques de territoire ?
C.L : Développer l’action culturelle dans les territoires fait partie de l’ADN de l’ADRC. Tous nos projets, du festival Play it Again dont le rôle est de valoriser les films de patrimoine aux Mycéliades, s’inscrivent dans cette perspective. Évidemment, nous adaptons nos actions à la diversité des territoires. En février 2023, la 1ère édition des Mycéliades a été lancée dans des villes universitaires assez importantes afin de gagner en visibilité. Nous avons progressivement étendu la manifestation à des villes plus petites jusqu’aux communes rurales. Par exemple, nous travaillons avec le cinéma itinérant Cinémobile qui organise des projections et des rencontres sur les places de village. L’ambition est de toucher l’ensemble du tissu territorial français.
E.D : D’édition en édition, nous augmentons le nombre de villes et de structures partenaires tout en nous assurant de rester dans un cadre que nous pouvons maîtriser.
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Justement, comment s’organise concrètement le festival ?
E.D : Nous travaillons de concert avec Images en bibliothèques. Nous coordonnons les intervenants, les événements et la logistique avec les structures participantes. Nous accompagnons ces dernières dans leurs propositions éditoriales (ateliers, rencontres, débats, discussions autour de films et d’œuvres). L’objectif est de les aider à s’emparer du sujet. Au-delà de la programmation, nous les soutenons également financièrement en prenant en charge certains frais dont ceux relatifs aux intervenants. Nous avons conservé ce schéma depuis la 1ère édition du festival, mais avons la chance cette année d’être accompagnés par une agence en relations presse et influence. Le festival nécessite en effet un travail d’animation, de proposition et de coordination important. Certains intervenants partent ainsi en tournée dans plusieurs villes. L’une de nos missions consiste à organiser leur plan de route. C’est le cas, par exemple, du « Capitaine » Renaud Jesionek qui décrypte les représentations de la science-fiction sur la chaîne YouTube Nexus VI. Il voyage dans 13 villes cette année. Un grand nombre d’ambassadeurs et ambassadrices sont ainsi sur les routes : les vidéastes Marie Treibert, Modiie ou encore Théo Drieu (Balade Mentale). Des auteurs et des autrices (Catherine Dufour, Audrey Pleynet, Nicolas Martin…) sont également présents un peu partout en France.
C.L : Le festival est aussi une histoire de rencontres avec des événements et manifestations annexes. Je pense aux Nuits des étoiles organisées en été, mais aussi en hiver, par l’Association française d’astronomie. Cette collaboration nous permet de mettre au programme du festival des séances d’observations astronomiques.
E.D : Nous nous sommes également rapprochés d’autres festivals tels que Play Azur à Nice consacré à la création Web ou encore les Hypermondes à Mérignac dédié à la science-fiction.
Après « Besoin d’espace » en 2023 et « Voyages infinis » en 2024, le festival a pour thème, cette année, les « Intelligences ». Comment choisissez-vous les thématiques de vos éditions ?
E.D : Lancer le festival autour de la question spatiale était une évidence d’autant qu’il existe de nombreuses œuvres sur le sujet, entre autres cinématographiques comme Proxima signé Alice Winocour ou Interstellar de Christopher Nolan. La thématique des voyages spatiaux-temporels était aussi nourrie par le 7e art, la littérature, le jeu vidéo. Cette année, le thème des « Intelligences », notamment l’IA, intéressait particulièrement les structures. Nous avons élargi le sujet aux intelligences extra-terrestres et humaines. Là encore, il s’agit de jouer sur la complémentarité des disciplines et des acteurs. Parmi les temps forts de cette édition, le dimanche 16 février, en clôture du festival, nous projetons le film Strange Days de Kathryn Bigelow en 35mm au cinéma Le Grand Action à Paris. C’est un film dont il existe peu de copies disponibles. Cette projection sera suivie d’un débat avec Jennifer Padjemi, journaliste et autrice du livre Féminismes et pop culture, Stéphanie Nicot, essayiste et éditrice en science-fiction et Arthur Cios, rédacteur en chef adjoint et chef de la rubrique cinéma de Konbini. Il s’agit d’aborder l’angle de la science-fiction par le prisme du féminin. Enfin, nous sommes déjà en cours de réflexion sur la thématique de la prochaine édition toujours autour de la science-fiction.
C.L : Parmi d’autres temps forts du festival, je citerais aussi la tournée avec Romain Filstroff, vidéaste de la chaîne Linguisticae qui mêle vocables et concepts scientifiques. Les Mycéliades a pour objectif de faire se rencontrer différents univers afin de rendre la science-fiction vivante et ludique auprès du public 15-25 ans.
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Comment a évolué Les Mycéliades depuis sa première édition ?
E.D : Le festival a pris de l’ampleur puisque 75 villes y participent désormais contre 60 la première année. Nous avons également doublé le nombre d’intervenants. Cette édition 2025 propose également plus d’animations. Nous avons accentué la communication numérique en organisant par exemple des sessions en direct sur Twitch (notamment avec les streamers Ponce et Modiie) ou encore en nouant de nouveaux partenariats avec des médias plébiscités par la cible des 15-25 ans, tels que Konbini. C’est la grande nouveauté de cette édition. Il était nécessaire d’élargir notre présence médiatique pour capter davantage l’attention du public jeune.
C.L : Par ailleurs, outre l’accompagnement d’une agence en relations presse et influence comme évoqué en début d’entretien, nous avons mené également une campagne d’affichage dynamiques via des écrans LED un peu partout sur le territoire afin de toucher les jeunes des communes rurales.
Et en termes de fréquentation ?
E.D : L’année dernière, la fréquentation des salles de cinéma par les festivaliers a doublé par rapport à la première édition. Au total, les cinémas et médiathèques ont accueilli environ 23 000 festivaliers en 2024 contre 13 000 en 2023. Cette année, l’objectif est de faire mieux en termes de nombre de spectateurs mais également d’animations. Ainsi, 292 animations ont été organisées l’an passé en salles de cinéma – au-delà des projections classiques du festival – et 313 dans les médiathèques, soit plus de 600 animations sur 15 jours de festival. Lors de cette même édition, 95 % du public de la médiathèque de Cannes ayant assisté aux animations avaient entre 15 et 25 ans. Ils représentaient 75 % des spectateurs du cinéma Le Sémaphore de Nîmes et 70 % de ceux de la médiathèque de Strasbourg. Les chiffres diffèrent en fonction de la typologie des villes, mais il s’agit de résultats très satisfaisants.
Quels sont les principaux défis d’un tel festival ?
C.L : Je dirais qu’il s’agit de faire travailler deux types de structures, les cinémas et les médiathèques, aux fonctionnements très différents par leurs cultures de travail et leurs calendriers. Nous sommes heureux d’avoir, d’une part, suscité l’intérêt des exploitants et des responsables de médiathèques sur ce projet, d’autre part d’avoir réussi à les faire collaborer. Cette année, 26 longs métrages sont programmés dans le cadre du festival. Il s’agit d’un travail ambitieux à mener, notamment les discussions avec les ayants droit et les diffuseurs. Nous avons recruté une coordinatrice qui intervient à la fois sur Les Mycéliades et sur Play it Again. Avoir convaincu le milieu extra-cinématographique de participer aux Mycéliades est également un autre défi relevé. Ainsi nous avons pu compter sur le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ou encore celui de la Fondation Audiens-Générations-Institut de France, laquelle nous a récompensé du Prix Emergence [qui distingue des initiatives culturelles innovantes et solidaires – NDLR]
E.D : Effectivement, il faut réussir à coordonner des structures aux temporalités différentes et trouver un terrain d’accord en termes de communication. Tout le matériel que nous fournissons aux structures participantes (affiches, visuels, templates…) doit être prêt rapidement, environ six mois avant le début du festival. Il a également fallu convaincre des créateurs du Web, des influenceurs, des vidéastes qui n’ont pas les mêmes usages que les exploitants indépendants –la cible de l’ADRC –, ou les auteurs et médiathèques – cible d’Images en bibliothèques. Comme l’ADRC, cette structure a recruté une coordinatrice pour travailler sur le festival. Tout cela a pu se faire grâce à l’impulsion donné par l’appel à projets 15-25 ans.
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Fort de cette expérimentation réussie, une quatrième édition est en préparation pour 2026. Comment envisagez-vous la suite ?
C.L : Les Mycéliades est désormais intégré à la subvention globale attribuée par le CNC à l’ADRC. Ce soutien financier est important comme celui du ministère de l’Enseignement et de la Recherche puisqu’il nous permet de pérenniser le festival. La société savante SFE et le CNES nous accompagnent également financièrement. Nous continuons de construire cet événement jour après jour en suivant de près l’actualité des appels à projets et fonds de soutien sur le territoire.
E.D : Cet appel à projets a eu un effet levier sur notre propre motivation à aller trouver des financements. Il nous a lancés dans une dynamique nouvelle, celle d’allier à la fois le travail de programmation éditoriale et la collecte de fonds externes.
C.L : Les Mycéliades est une source d’inspiration continue pour l’ADRC, à la fois pour le festival Play it Again mais également pour nos animations que nous développons tout au long de l’année. Cette expérimentation que nous avons réussi à transformer en rendez-vous à part entière avec la collaboration d’Images en bibliothèques nous a appris une nouvelle façon de dialoguer avec le public.
Les Mycéliades, jusqu'au dimanche 16 février, partout en France.