Un territoire de cinéma
Le cinéma fantastique n’est pas qu’une histoire de personnages, donc d’acteurs et d’actrices : il est surtout affaire de territoire. Qu’il s’agisse de l’exploration d’un monde inconnu ou du surgissement d’un autre univers dans le nôtre. Jacky Caillou, qui sort en salles ce 2 novembre, brouille un peu plus les pistes entre les territoires du cinéma fantastique. Le héros éponyme est le petit-fils d’une guérisseuse d’un coin perdu des Alpes qui, à la mort de sa grand-mère, héritera de ses pouvoirs. L’échéance approche, et quand une jeune femme atteinte d’un mal inconnu vient lui rendre visite, il sait qu’elle sera sa première épreuve...
Né en 1987, Lucas Delangle, diplômé de la Fémis en réalisation, signe là son premier long métrage, directement nourri de sa propre biographie : « Je suis né dans un petit village de la Sarthe, un territoire de bocages tout proche de la Mayenne, plein de magnétiseurs et de guérisseurs, raconte-t-il. Mon père y était médecin généraliste et il connaissait beaucoup de magnétiseurs. Il était très cartésien et n’y croyait pas du tout. Quand j’étais enfant, il me racontait leurs histoires. Je m’ennuyais beaucoup et ces histoires me fascinaient, comme s’il pouvait arriver quelque chose d’extraordinaire ou de magique dans cette région. Je m’y suis intéressé et j’ai commencé à rencontrer des gens, sans savoir que j’allais réaliser un film. » Son film est justement « une fiction naturaliste, sur un territoire, mais avec un présupposé fantastique. C’est un monde dans lequel il est possible qu’il y ait des miracles et que quelqu’un se transforme en loup. Ça pourrait ressembler à du réalisme magique. » La source rurale et familiale de Jacky Caillou fait écho à celle d’Ogre d’Arnaud Malherbe (sorti en avril 2022), où une jeune institutrice et son enfant emménagent dans un village et sont confrontés à une présence maléfique. Comme le raconte Malherbe, « j’ai été élevé à la campagne et j’ai longtemps eu une chambre située à l’écart du reste de la maison. J’ai donc nourri très tôt un rapport étroit à l’obscurité et aux bruits nocturnes. Tout cela a sans doute généré des fantasmes, des images et des sensations en moi. Et puis, il y a quelques années, tandis que je rendais visite à mes parents, sans raison, j’ai été, en pleine nuit, saisi par un frisson primal qui m’a instantanément reconnecté à mon enfance. J’ai aussi travaillé à l’écriture de ce film à une époque où mes enfants avaient des terreurs nocturnes, et cela a sans doute activé mon propre imaginaire. J’ai eu ainsi le désir de mêler la terreur enfantine, l’univers du conte avec une autre réalité qui m’est familière et qui est celle de la campagne reculée, hors des radars. » Ogre et Jacky Caillou sont donc, fondamentalement, des films réalistes avant toute chose. Un réalisme lié à leurs territoires...
Filmer la magie
C’est dans sa concrétisation en termes de cinéma pur que le cinéma fantastique se heurte à des contraintes techniques : la force du film tient souvent à ses effets spéciaux, et à la façon de les doser. Comment filmer des monstres, des créatures, des forces surnaturelles ? Comment évoquer en images les pouvoirs d’un jeune guérisseur ? Lucas Delangle explique sa méthode : « La magie étant une force invisible, il faut trouver une façon de la matérialiser tout le temps à l’image. Ça passe par des gros plans sur les mains, les visages (celui qui est magnétisé et celui qui magnétise), par une intensité, et puis par l’air qui existe entre les mains et le corps. Par exemple, il y a un travelling sur les mains de Jacky qui s’approchent du dos d’Elsa où l’on sent la distance : quand on arrive sur elle, son dos se raidit. L’idée était de passer toujours par le corps, de ne pas appuyer l’action par des sons ou des effets spéciaux, mais plutôt par des choses très simples comme l’ombre des mains de Jacky sur le dos d’Elsa. Ce sont ces motifs visuels qui créent la magie. » De son côté, Ogre joue aussi avec la subtilité et la suggestion, même s’il confronte son jeune héros – et donc son public – à la créature du titre à la fin du film, dans une séquence qui prend justement le contre-pied des attentes : « Pendant longtemps, l’ogre n’était qu’une présence, une ombre, une idée : nous sommes d’abord partis sur l’idée d’une forme un peu abstraite. À coups de croquis et de réflexions trop compliquées autour des effets spéciaux, il s’est peu à peu transformé en être de chair et de sang. Je savais que je voulais aller à contre-courant de l’imagerie populaire de l’ogre comme on peut en trouver chez Perrault et Gustave Doré?; un gros bonhomme rougeaud, disons. Je voulais qu’il ne soit ni obèse ni bestial, mais très maigre parce qu’affamé. »
Une distinction impossible
Dans le cas de Jacky Caillou, impossible de séparer le fantastique du réalisme. L’idée initiale est née d’un court métrage documentaire tourné autour d’une véritable guérisseuse : « Edwige Blondiau, qui joue Gisèle, la grand-mère de Jacky, était dans ce documentaire et m’a tellement plu que j’avais envie de refaire un film avec elle, continue Lucas Delangle. Je voulais lui donner un rôle de grande guérisseuse très respectée, qu’on vient voir de loin, alors qu’elle n’est pas du tout évanescente. Elle a un côté très terrien, avec son accent, sa gouaille du Nord. Ça me plaisait de la plonger dans une fiction faite avec les gens du territoire, où je mélange les acteurs et ceux qui n’en sont pas. » Le mélange entre acteurs professionnels et non professionnels fait donc écho à la dualité entre naturalisme et réalisme du film, qui finit par ne plus en être une. La référence absolue en termes de cinéma de Jacky Caillou est Alain Guiraudie, réalisateur de L’Inconnu du lac ou de Rester vertical. Des fables fantastiques réalistes « de terroir », associant un lieu, une légende et des comédiens pros et amateurs. Un cinéaste qui, selon Lucas Delangle, « maîtrise le mélange des genres et la fiction ancrée dans un territoire. Il a beaucoup d’humour, et arrive à faire coexister acteurs et non-professionnels dans une belle authenticité. » Comme le résume de son côté Arnaud Malherbe : « Il me semble que le fantastique ne peut surgir qu’à partir du moment où il intervient dans un univers vraisemblable. » Le réalisateur d’Ogre voulait « réaliser un film fantastique authentiquement français, inscrit dans un territoire donné, le Morvan, que je connais bien pour y séjourner souvent depuis vingt ans, dans une maison isolée et privée d’électricité. J’ai beaucoup rêvé au film en me promenant dans cette région. Il était donc indispensable pour moi de le tourner à cet endroit. Quant à l’ogre, historiquement, c’est une figure fantastique française, tout en étant, bien sûr, universelle. J’aimais l’idée de jouer avec un ancrage culturel. »
Jacky Caillou
De Lucas Delangle
Scénario : Lucas Delangle, Olivier Strauss
Avec Thomas Parigi, Edwige Blondiau, Lou Lampros
Production : Les Films du Clan
Distribution : Arizona Films Distribution
Soutiens du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme)