« Ogre est né de la résurgence de sensations de jeunesse… », explique Arnaud Malherbe, 49 ans. Ce premier long métrage est un conte fantastique autour d’une jeune institutrice (Ana Girardot) et de son fils de 8 ans (Giovanni Pucci) qui débarquent dans une maison au milieu d’une vaste forêt. Les villageois alentour parlent d’une disparition inquiétante et d’une créature maléfique tout droit sortie des vieilles légendes… Dès lors le monde s’assombrit, les fantômes rôdent et le petit garçon commence à sentir une présence autour de lui. « Résurgence », vraiment ? Arnaud Malherbe précise : « J’ai grandi dans la maison de mes parents dans le Perche aux confins de la Normandie. La fenêtre de ma chambre donnait sur une forêt. Le soir venu, j’étais horrifié par ces ténèbres… » Le cinéma, on le sait, est un exorcisme. Avec Ogre, le réalisateur va jusqu’au bout de ses angoisses d’enfant et matérialise « la bête » à l’écran. L’effet est saisissant et prouve, si besoin en était, que le cinéma fantastique français fait désormais entrer les monstres dans son cadre. La Nuée de Just Philippot avait ouvert une brèche à l’été 2021. « Je ne sais pas si on peut parler de vague, de vaguelette ou de brume, mais il se passe clairement quelque chose. J’aime l’idée que nous, cinéastes français, proposions des choses singulières et n’essayons pas de copier les films américains. C’est le signe d’une maturité… »
Ogre a été tourné en plein cœur du parc naturel régional du Morvan, non loin de la maison où le réalisateur passe ses vacances depuis une vingtaine d’années. Là et pas ailleurs. « Certains économistes aiment à répéter : “Il faut penser global et agir local.” Je l’applique à l’échelle de mon film. Ma femme a une maison de famille un peu isolée dans le Morvan. Dans certains endroits de cette région plutôt désertique, le temps semble s’être arrêté. Le récit de mon film se passe dans un temps indéfini, cela rajoute à l’atmosphère étrange… » Et de fait, dans Ogre, le réel passe son temps à se dérober, les choses et les êtres renvoient des signes qu’il est difficile d’interpréter avec certitude. L’angoisse naît de cet inconfort. Quant à la figure de l’ogre, propre aux contes, Arnaud Malherbe s’étonne qu’elle ne soit pas plus présente dans les films, « alors que les vampires et les zombies pullulent ».
« Une seconde vie possible »
Arnaud Malherbe a donc grandi en Normandie au sein d’une famille où le cinéma n’occupait pas une place particulière. « Personnellement, je ne regardais pas tellement de films, j’étais plus dans l’ennui, les livres et les raids en vélocross avec mes copains. Tout a changé à mon arrivée à Paris… » L’étudiant en journalisme écume alors les salles du Quartier latin, au point de délaisser ses cours. Un poste à Ouest France l’oblige toutefois à quitter un temps Paris avant un retour pour intégrer la rédaction de L’Express. « J’y faisais des reportages de proximité. Comme j’étais tout le temps fourré au cinéma, le service culture m’a demandé d’écrire quelques critiques. » Plus que les chefs-d’œuvre, ce sont « les mauvais » films qui « inspirent » celui qui pense alors secrètement « à une seconde vie possible », « je me disais que je pouvais faire aussi bien que les pires films que je voyais, peut-être mieux ».
Le jeune homme va quitter la rédaction de L’Express, s’octroyer une année sabbatique pour tenter le concours de la Fémis. Il intègre la célèbre école de cinéma dans la section scénario. « Je voulais vivre autre chose, raconter des histoires… Quand j’y pense, c’était un grand saut dans l’inconnu… » Arnaud Malherbe multiplie les projets : l’écriture d’un court métrage qu’il réalisera bientôt, Dans leur peau avec Fred Testot, primé au Festival du film fantastique de Gérardmer en 2008 et la coécriture avec son ex-collègue de L’Express, Dalila Kerchouche, du téléfilm Harkis (2006), diffusé sur France 2. Arnaud Malherbe habite alors en plein cœur de Paris dans le quartier de Belleville. Il s’imprègne du lieu et signe une histoire qui prend la forme d’un film noir. Belleville Story se décline en téléfilm primé au Festival de la fiction de La Rochelle qu’il réalise lui-même, et en bande dessinée avec le dessinateur Vincent Perriot. Il y aura aussi la série Chefs, coécrite avec sa compagne, Marion Festraëts : « Nous aimions l’univers de la grande cuisine auquel nous avons ajouté du fantastique et de la poésie. » Chefs sera diffusée entre 2015 et 2016 sur France 2.
Retour aux sources
Arnaud Malherbe a déjà Ogre en tête, mais le scénario n’intéresse pas grand monde. « Beaucoup de gens n’étaient pas prêts à nous suivre dans un film avec une proposition fantastique aussi forte... » C’est à ce moment-là que le cinéaste reçoit le Grand Prix Climax. Cette distinction dédiée au film de genre francophone a pour but de mettre en valeur des projets encore au stade du scénario. « Pour la première fois, j’avais un retour positif… Je me suis dit qu’il fallait continuer à se battre. Très vite, je me suis retrouvé finaliste du programme de soutien dédié au cinéma de genre du CNC. Le jury était notamment composé de Julia Ducournau et Quentin Dupieux. L’intelligence de leur lecture m’a permis de faire un grand pas. Les planètes se sont soudain alignées…» Entre-temps, le réalisateur a créé avec succès la série Moloch pour Arte dans laquelle des individus prennent feu de façon inexplicable.
Ogre lui offre aujourd’hui un retour aux sources. Avec le directeur du cinéma de Mortagne-au-Perche, Arnaud Malherbe s’apprête, en effet, à organiser une projection exceptionnelle d’Ogre en plein air au cœur de la forêt. Cette même forêt qui suscitait tant d’angoisse à l’enfant qu’il était, seul dans sa chambre de la maison familiale.
Ogre
D’Arnaud Malherbe
Scénario d’Arnaud Malherbe et Sebastian Sepulveda
Musique de Flemming Nordkrog
Photo : Pénélope Pourriat
Produit par Laurent Lavolé, Xavier Rigault et Marc-Antoine Robert
Distribution : The Jokers / Les Bookmakers